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<< encore que de vaincre... que le repos dans l'amour << ne peut être tout au plus qu'une halte dans la car« rière, une trève dans la lutte, ou plutôt une autre << manière de combattre 1. » Si le mysticisme in tuto, que Bossuet oppose au quiétisme, prêche le repos, «ce << repos c'est un acte, le plus parfait de tous les actes, << qui, loin d'être l'inaction, nous met pour ainsi dire <«<< tout en action pour Dieu. » S'il parle de la mort, «< cette mort n'est pas l'anéantissement de notre « âme ou de ses facultés, c'est l'anéantissement de « l'égoïsme 2. >>

Cherchons le vrai au milieu des deux opinions extrêmes. En donnant la liberté à un être fini, Dieu la lui a donnée finie! Il doit exister un point d'intersection où la tutelle octroyée à notre raison se croise avec la tutelle conservée par la puissance divine; où se concilient, sauvegardées dans une proportion légitime, cette liberté limitée et cette illimitée majesté 3.

152. Homme, poursuis ta tâche avec courage! Peutêtre ce point d'intersection t'apparaîtra. Suppose un

1 M. Cousin, Le Vrai, le beau, le bien, 5o leçon.

2 Bossuet (cité par M. l'abbé Gratry, De la connaissance de Dieu, tome I, pag. 334, 429, etc.)

3 L'histoire de la philosophie est éminemment curieuse. Pour la faire utile, il faudrait ne pas se borner à passer en revue les apparitions successives des systèmes différents tour à tour enseignés dans les siècles passés. Je trouve beaucoup plus spirituel qu'exact ce passage de SainteBeuve (Port-Royul, liv. II, pag. 374) : « L'esprit humain a, je le crois, une << infinité de manières différentes de faire le tour de sa loge et d'en fureter « les coins; mais elles peuvent se rapporter à quatre ou cinq principales. « Ce qui a fait dire qu'en matière de philosophie, et si on ne s'élève pas au<< delà, l'humanité joue aux quatre coins changés. »

Pour moi, si j'entreprenais ce grand ouvrage, je ferais tourner tous les systèmes philosophiques sur un seul pivot, savoir, sur l'examen de la manière dont tous ces systèmes ont compris la liberté de l'homme. Tout est là.

instant que tu es arrivé dans le lointain des âges, au jour annoncé par Bacon (transibunt dies, augebitur scientia), où toutes les sciences que tu explores auront dit leur dernier mot. Quand tu auras forcé l'univers à te révéler toutes les lois physiques et morales, quand la souffrance et le désordre résultant de la violation de toute loi, le bonheur et l'ordre résultant de l'accomplissement de toute loi se montreront sans obscurité à ton intelligence..... Alors dis-moi, que fera ta liberté? Crois-tu qu'elle osera encore hésiter entre le bien et le mal ainsi mis à découvert? S'il était possible qu'il n'y eût plus que « les nuages de nos pas<«<sions sur le soleil divin', » l'action de Dieu sur cette liberté ne se montrerait-elle pas tout entière par le seul déploiement du merveilleux panorama de la vérité 2?

153. Mais de cet avenir à peine entrevu, retombons dans le présent. Dans le présent, ignorance, perplexités, misères... Eh bien, au milieu de cet état transitoire, chaque âme passant dans ce monde n'a-t-elle rien à attendre de Dieu? Elle ne peut le croire, car elle souffre. Elle jette un cri vers lui. Ce cri, c'est la prière. C'est la demande d'un peu de lumière pour savoir, d'un peu de force pour lutter, d'un peu de consolation pour se résigner.

154. C'est ici que la philosophie arrive à cette

1 M. l'abbé Gratry, De la connaissance de Dieu.

2 « Les choses tout à fait mauvaises, on ne les veut pas,» dit Platon (Gorgias, traduction de M. Cousin).

« Il suffit de bien juger pour bien faire... Omnis peccans est ignorans. (DESCARTES.)

partie d'elle-même que nous avons appelée religion 1. Sans cette partie, elle est incomplète. La raison qui s'est bien comprise ne peut croire que tout lien soit brisé entre elle et son auteur. Dire à l'homme, tu peux tout, même forcer la main à Dieu, c'est lui inspirer un dangereux orgueil. Sans le décourager, sans nier les mérites du bon usage de la liberté, ne faut-il pas lui laisser entrevoir quelque chose à obtenir de la bonté du père des humains?

Les plus haut placés entre les philosophes ont aperçu cette nécessité. Platon, dans le Ménon, rapporte la vertu à la grâce. Écoutons, parmi les jurisconsultes proprement dits, Puffendorff: « Si << Dieu devient en quelque manière débiteur des hom<< mes, ce n'est jamais qu'en vertu d'une pro<< messe gratuite. » Et Descartes fait aussi cet aveu « Nous ne pouvons ne pas croire que toute «< chose dépende de Dieu, et que par conséquent notre << libre arbitre n'en est pas exempt

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155. Mais ce lien entre le Créateur et la créature, ce lien révélé par ce qu'on appelle la foi naturelle *,

1 Les premiers chrétiens appelaient la religion philosophie. Religion, quod ligat : «Ce qui rattache le fini à l'infini,» suivant saint Augustin, ou « ce qui rallie et unit ensemble les hommes, que leurs pas⚫sions rendaient sauvages... » suivant Fénelon.

2 Analyse d'une leçon de M. Adolphe Garnier, par M. Rigault.

(Journal des Débats du 8 mars 1855.) Montesquieu (Esprit des lois, liv. X) emprunte aussi cette pensée à Platon: « Ceux-là sont impies envers les dieux qui nient leur existence, ou • qui l'accordent, mais soutiennent qu'ils ne se mêlent pas des choses ■ d'ici-bas. >>

3 Droit de la nature et des gens (liv. I, chap. IX, S 5.)

4 Lettre vir à la princesse Palatine. Édition Garnier.

Voir M. l'abbé Gratry, De la connaissance de Dieu, partie II, chap. III.

quelle étendue a-t-il? Il n'est pas de question plus fondamentale que celle-là. Bossuet la pose en disant : « L'homme s'agite et Dieu le mène1; » mais qui la résoudra? Elle divisait, chez les Juifs, les pharisiens et les sadducéens, comme chez les mahométans elle divise les sectateurs d'Omar et ceux d'Ali". C'est par elle évidemment que la raison, sentant son impuissance, arrive à reconnaître « la possibilité, « l'utilité et la nécessité d'une révélation divine". >>

Qu'il nous suffise d'avoir ainsi montré par quel chemin la raison droite arrive à la religion naturelle, puis à la révélée. Il appartient aux apôtres de cette religion révélée de formuler plus complétement la conciliation de la liberté et de la grâce. Difficile est cette conciliation. Après avoir combattu les Manichéens qui donnaient trop peu au libre arbitre, saint Augustin combattit Pélage qui donnait trop à ce libre arbitre. Il mérita le nom de docteur de la grâce en faisant pencher du côté de celle-ci la balance.-Saint Thomas d'Aquin la fit pencher plus encore, et trouva pour adversaires les Franciscains et d'autres théologiens. Calvin fit de l'homme un instrument passif de la volonté divine. Luther fut moins absolu. Les successeurs de Calvin eux-mêmes abandonnèrent sa

1 « Mot profond et vrai, s'il veut dire que l'homme ne peut point con«trarier les desseins de Dieu en abusant de la liberté, et qu'il servira << malgré lui l'ordre du monde par ses malheurs et son expiation!

(M. LABOULAYE, Journal des Débats du 5 mars 1854.)

2 Le Coran dit, comme l'Église chrétienne, que « la foi est une faveur ⚫ de Dieu, qu'il l'accorde à qui il veut.» (Chap. XLII : l'Assemblée, vers. 4). 3 Perrone, II, 1308, cité par M. l'abbé Gratry (De la connaissance de Dieu, partie II, chap. Iv).

doctrine. - Molina et Suarez prêchèrent la conciliation de la grâce avec la liberté. On sait leur lutte contre les Jansénistes et la condamnation de ces derniers par les décisions pontificales des années 1653, 1656 et 1665. Chaque fois que ce problème s'agite, l'humanité sent s'agiter sa destinée tout entière. Qu'elle se repose dans ce terme moyen enseigné par l'Église : La grâce n'impose aucune violence au libre arbitre1; le libre arbitre est impuissant s'il n'est aidé.

Nous n'avons pas à approfondir cette grande question. Mais puisqu'à chaque découverte que feront les sciences, doit apparaître un des rayons qui illumineront ces mystères, essayons humblement d'apporter notre tribut en éclairant, s'il se peut, la direction de la liberté, de cette incontestable liberté, « qui s'étend << aussi loin que Dieu l'a voulu, limitée par la destina<tion que Dieu lui a donnée 2. >>

«

1 Gratiæ efficacia nullum infert homini necessitatem: sed homo liber « est in actibus salutaribus. »

(M. l'abbé Gratry, Compendium fidei catholicæ; à la fin du Traité de la connaissance de Dieu.)

«La volonté peut résister à la grâce sans cela je n'aurais aucun mérite « ni aucun démérite. C'est le principe de toute morale. »

(FENELON, De l'existence de Dieu.)

2 Stahl, cité par M. Tillard, Analyse, classement et nomenclature des divers ordres de lois et de phénomènes moraux et politiques, § 9.

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