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160. SECOND SYSTÈME. - Devoir confondu avec l'ordre arbitraire créé par la convention.-Ce second système a été proposé par des philosophes moins oublieux que les sophistes grecs du respect de la dignité humaine. Si, comme ces sophistes, ils font de la distinction du bien et du mal une œuvre arbitraire, du moins ils en confient la création à l'imagination artistique de l'homme exerçant spontanément sa fantaisie.

161. Les uns représentent les peuples établissant, par convention tacite, des usages artificiels que l'habitude consolide et que l'éducation transmet de généra tion en génération. D'autres nous les montrent entrant en société par une convention expresse.-Cette convention peut être supposée de trois manières différentes: soit entre un peuple et un despote en faveur duquel ce peuple abdique toute sa volonté1; soit entre un peuple et un souverain constitutionnel s'obligeant à respecter certaines conditions de son élévation au trône2; soit entre les membres de la nation eux-mêmes s'unissant sous certaines conditions 3. - Cette dernière théorie a été celle du XVIIIe siècle : elle a été une occasion de progrès. On en faisait une arme puissante pour prêcher l'égalité, combattre les priviléges, réclamer la réforme des lois criminelles. On démontrait << que la nécessité seule ayant contraint chaque homme «‹ à céder une portion de sa liberté, il n'en avait en<< tendu mettre dans le dépôt commun que la plus

1 Hobbes.

2 Locke.

— « Sinon, non, » comme disaient les États d'Arragon. 3 Rousseau.

<< petite portion possible..... Mais si cette théorie fut <«< utile pour détruire, elle devait être impuissante « pour créer1. » C'est en s'appuyant plus ou moins étourdiment sur elle qu'on est arrivé à oublier la raison d'être de la loi pour ne plus voir que son existence. Alors on a donné cette définition vide de tout sens : « La loi est l'expression de la volonté géné<< rale,» ou l'on a dit un peu mieux, mais mal encore: « La loi est une règle tracée par une auto« rité à laquelle on est tenu d'obéir. >>

162. Reconnaissons que fonder le devoir sur la convention, c'est intéresser à l'observer un sentiment compris par les intelligences les plus étroites et respecté même chez les bandits : le sentiment de loyauté qui garde la foi donnée. Mais d'autre part, admettre ce système c'est commencer par une erreur de fait, pour finir par un cercle vicieux. L'erreur de fait consiste à fonder la société sur une base dont elle n'a pas besoin, la convention. La société, comme nous le verrons plus loin, a de tout temps existé sans convention. La sociabilité est un caractère essentiel de l'être humain. Mais sup

posons qu'en réalité la convention ait été nécessaire pour établir la société. Faire sortir le droit de la convention c'est tourner dans un cercle vicieux. D'où

↑ Boisseau, Des Peines (thèse soutenue devant la Faculté de droit de Paris).

Rousseau, Destutt de Tracy, etc., etc. Comparez les mots commune præceptum, communis reipublicæ sponsio, employés par Papinien (fr. 1, Dig. De legib., lib. I, tit. 1). Aj. Modestin (fr. 40, eodem), qui indique comme source de la loi le consentement (consensus).

sort la convention elle-même? Voilà ce qu'il reste à savoir. Elle a décrété un certain ordre: soit. Mais pour cela, quelle lumière l'a éclairée? Par quelle idée préconçue la société a-t-elle été conduite en choisissant tel despote plutôt que tel autre, pour lui confier comme au plus digne ses destinées; ou en traçant au roi constitutionnel la charte qu'il doit suivre; ou en écrivant entre les nationaux les pages du pacte social? Ne voit-on pas qu'il a fallu à la convention, pour l'inspirer, une direction supérieure (non hominum ingeniis excogitata) 1? et cette direction, que peut-elle être, sinon «< la raison humaine gouvernant les peuples « de la terre 2? »

Ajoutons ce dilemme : Ou il faut reconnaître des lois antérieures à la convention, quand ce ne serait que la loi du respect de la convention 3, ou, « s'il n'y a pas de << droit antérieur aux conventions, il ne peut pas y en <<< avoir en vertu des conventions..... Si la nature a << donné à chacun le droit de faire ce qu'il veut, quel « que soit le tort qui puisse en résulter pour les au« tres, le traité par lequel on renonce à ce droit est <«< contraire à la nature, par conséquent on est dis<< pensé de l'observer. » Comment aurait-on pu aliéner le devoir de conserver sa vie et sa liberté? Comment surtout la génération qui a fait le contrat social

1 Cic., De legibus.

2 Montesquieu, Esprit des lois.

3 Bénard, Précis de philosophie (Morale, chap. 1).

▲ Pestel, Fundamenta justitiæ naturalis, traduit du latin sur la deuxième édition (partie II, section VIII, no 303).

aurait-elle pu enchaîner, par cette aliénation, la géné

ration suivante1?

163. TROISIÈME SYSTÈME. Devoir confondu avec l'ordre arbitraire créé par l'autorité. - Entendonsnous d'abord sur le mot autorité. Si l'on veut désigner l'autorité des législateurs humains, ce troisième système se confond avec les deux précédents. Les législateurs humains sont supposés avoir pris l'autorité par la force, ou l'avoir reçue de la convention.

164. Mais si l'on remonte jusqu'à l'autorité divine, alors se présente une théorie à examiner. Cette théorie fait du devoir la volonté arbitraire de Dieu.

3

Anaxagore disait, Gerson a répété : « Dieu ne veut <«<< pas certaines actions parce qu'elles sont bonnes, <«<< mais elles sont bonnes parce qu'il les veut; de << même que d'autres sont mauvaises parce qu'il les « défend2. » Barbeyrac se rapproche de ce sentiment, qui constitue une des subdivisions du mysticisme. M. de Bonald s'en est inspiré dans cette définition : « La loi est la volonté de Dieu et la règle de « l'homme. » — Pour soutenir ce système, on commence par poser ce prétendu principe, « qu'on ne << peut se tracer à soi-même une obligation. »> On

1 Voir dans Comte, Traité de législation (liv. I, chap. vi), la réfutation du système du Contrat social.

2 Dictionnaire des sciences philosophiques, t. II. (Article de M. Jourdain sur Gerson).

5 Voir les remarques de Barbeyrac sur le petit ouvrage de Leibnitz : Monita quædam ad Puffendorffii principia.

4 Barbeyrac, loc. cit.

<< Nemo sibi debet. Hoc verbum debere non habet nisi inter duos locum,»

(SENEC.)

applique d'abord ce principe à l'homme en disant que sa raison c'est lui-même, qu'ainsi elle ne peut rien lui ordonner. On le force à remonter à la volonté d'un supérieur, donc à celle de Dieu, pour trouver le fondement de l'obligation. Cela fait, il faut s'arrêter. En effet, Dieu, en face de lui-même et « dans son éter«< nelle génération.......... ne pouvant se diviser en supé<«<rieur et en inférieur..... n'a point de loi propre« ment dite1, » si ce n'est celle de sa volonté.

165. Nous répondons avec Leibnitz : «< Étrange << maxime de ceux qui, fondant toute obligation sur <«< la contrainte, prennent la puissance pour la me<«<< sure du droit 2!» « On ne peut pas plus sou<< tenir que la justice et la bonté dépendent de la « volonté divine, qu'on ne peut dire que la vérité << en dépend aussi paradoxe inouï qui est échappé « à Descartes! Comme si la raison pourquoi un <<< triangle a trois côtés, ou pourquoi deux choses con<< tradictoires sont incompatibles, ou enfin pourquoi << Dieu lui-même existe, c'était parce que Dieu l'a <<< ainsi voulu! Exemple remarquable qui prouve que <«<les grands hommes peuvent tomber dans de grandes

<<< erreurs. »

Mais, dira-t-on, les lois morales ne sont que parce que Dieu est. Eh sans doute! Comme celles de l'élec

1 M. l'abbé Bautain, Philosophie morale (t. II, partie théorique, chap. III, S 33).

• Leibnitz, Théodicée (préface).

Fonder le bien sur l'obligation au lieu de fonder l'obligation sur le bien, ⚫ c'est prendre l'effet pour la cause, c'est tirer le principe de la consé«quence. » (COUSIN, Le Vrai, le beau, le bien, 14o leçon.)

3 Leibnitz, Monita quædam ad Puffendorffii principia.

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