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180. La division tripartite des devoirs est consacrée. Il ne faut pas la contester. Mais nous voulons l'éclaircir, en faisant remarquer que les trois classes de devoirs ne se présentent pas isolées l'une de l'autre. Tout devoir réunit, dans une proportion plus ou moins inégale, les trois aspects qui nous montrent Dieu, autrui et nous-mêmes. En effet (nous l'avons expliqué plus haut, no 42), puisque toute action ou abstention produit à la fois un résultat matériel fâcheux ou désirable dans les rapports de l'agent avec Dieu, avec lui-même, avec autrui, ces trois mêmes aspects corrélatifs ne peuvent pas ne pas se retrouver indivisiblement confondus dans l'appréciation de la nature licite ou illicite de l'action ou de l'abstention.

181. Et d'abord il y a, dans tout devoir rempli envers autrui, un devoir rempli envers nous-mêmes. Quand je conserve votre vie, je conserve un instrument en état de servir à l'œuvre qui doit me profiter comme à vous1.

182. De même, il y a dans tout devoir rempli envers moi-même une portion de devoir rempli envers autrui. Quand je conserve ma vie, je conserve un instrument en état de servir à l'œuvre qui doit vous profiter comme à moi. « Il faut vivre par con« science, » dit énergiquement M. Damiron. « Il faut, << dit Tissot, nous faire moyen pour nos semblables, « afin qu'ils se fassent moyens pour nous 2. » C'est

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1 « C'est toujours pécher contre soi que de violer les devoirs qui nous «<lient aux autres.» (D'HOLBACH, Morale universelle, section I, chap. vi.) 2 Ethique.

ainsi que les devoirs les plus vulgaires de l'hygiène sont, aux yeux de la logique exacte, des devoirs envers autrui bien autant qu'envers nous-mêmes. A plus forte raison, les excès qui produisent les maladies, la mutilation volontaire pour s'exempter du service militaire, le duel sont des fautes envers autrui. C'est par là surtout que le suicide est un crime 3.

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J'ai vu pourtant des moralistes essayer d'isoler du devoir envers autrui le devoir envers soi-même. Le devoir envers soi-même subsisterait, disent-ils, pour un homme, «< alors même que cet homme cesserait « d'être en rapport avec les autres. » Dans l'isolement le plus complet, ajoute-t-on, le suicide ne lui serait pas permis. Nous répondons : Le suicide est défendu, parce que la supposition de la cessation des rapports d'un homme avec les autres êtres est mathématiquement impossible. Qu'on nous donne, si l'on peut, des exemples de cette supposition! les

«Par une palette de sang, l'honneur est satisfait. Cette palette de ⚫ sang fait d'un gredin un honnête homme. On ne sait si on doit rire de tant de folie ou en pleurer. (J. SIMON, Le Devoir, part. IV, chap. II.)

Tissot, Ethique, pag. 143, 145, 219, etc.

Nous ne comprenons pas cette phrase de M. Cousin: Les relations les ⚫ plus constantes que je soutiens sont avec un être qui est moi-même. ▾ (Le Vrai, le beau, le bien, 13e leçon.) — Nous comprenons encore moins cette autre phrase: « Le gouvernement ne peut sévir contre le mensonge, ⚫ l'intempérance, l'imprudence, la mollesse, l'avarice, l'égoïsme, sinon « quand ces vices deviennent préjudiciables à autrui. » Dans quel cas peuvent-ils ne pas être préjudiciables à autrui ?.......

3 « Il y a plus de constance à user la chaîne qui nous tient qu'à la << rompre, et plus d'épreuves de fermeté en Regulus qu'en Caton. »

(MONTAIGNE, Essais, liv. II, chap. I.)

• Cousin, Le Vrai, le beau, le bien, 15° leçon.

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trouvera-t-on dans l'histoire d'Ugolin, de Robinson, de Philoctète? Ugolin, Robinson, Philoctète ne peuvent avoir la certitude de n'être pas délivrés. Quand cette certitude serait possible, un homme est en rapport non seulement avec ses contemporains, mais avec ceux qui sont morts avant lui, et avec ceux qui vivront après lui1. Ugolin peut prier pour ses enfants morts les premiers, et ensevelir pieusement leurs restes. Robinson peut bâtir un abri pour un autre naufragé que le vent jettera quelque jour dans son île. Puis l'exemple du courage, laissé comme leçon à la postérité, n'est-ce donc rien? Et enfin la résignation de ces hommes à leur sort, en expiation de leurs fautes passées, ne peut-elle pas être un perfectionnement moral, une augmentation de leurs forces et de leur dignité, pour l'accomplissement de devoirs inconnus qui peuvent les attendre, après la mort, envers d'autres êtres ??.... Dans quelque supposition que ce soit, «< on n'est point innocent quand on nuit à soi« même 3. >>

183. Ainsi, persévérons à reconnaître l'indivisibi

Il est en rapport aussi avec d'autres êtres que les hommes. Robinson peut bâtir des ruches pour les abeilles. Pélisson nourrissait son araignée. 2 Barbeyrac et Puffendorff ne peuvent concevoir l'existence d'un devoir envers soi-même considéré isolément :

• L'homme est l'objet des devoirs qui le regardent lui-même, mais il ⚫ n'en est pas le fondement. S'il est obligé de se conserver par exemple ou ⚫ de se perfectionner, ce n'est pas à cause de lui-même précisément. »

(BARBEYRAC.)

• L'homme n'est tenu de se conserver qu'en tant que créature de Dieu, ⚫ et membre de la société humaine à laquelle Dieu veut que chacun tâche de se rendre utile. »

PUFFENDORFF, Droit de la nature et des gens, liv. I, chap. vi, § 7. 3 Joubert, Pensées.

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lité du devoir envers autrui et du devoir envers nousmêmes. Ils constituent les deux termes d'un seul rapport, du rapport d'équilibre entre l'aspiration d'autrui et la nôtre au but de la création.-Voilà une première .vérité.

En admettrons-nous une seconde? Les devoirs d'adoration et de reconnaissance envers Dieu nous paraîtront-ils de même nécessairement unis avec les devoirs envers autrui et envers nous?

Sans nul doute. En effet, d'un côté, en prenant pour point de départ la violation des devoirs envers autrui et envers soi-même, comment arriver à l'observation des devoirs envers Dieu? Qui comprendra cette possibilité? Ce n'est pas du moins l'Evangéliste saint Jean, cité dans l'épigraphe de ce titre.--«Aimer Dieu, « a dit de même Kant, c'est garder ses préceptes... <<< La religion est l'accomplissement de tous les de« voirs considérés comme prescrits par la Divinité 1.» Et Socrate avait dit avant Kant : «La piété est un hom«mage à Dieu par la pratique des bonnes actions 2. » Ajoutons même que, loin de se contenter de vœux stériles, Dieu prend pour offenses des paroles sorties des lèvres, quand nulle œuvre pratique ne les suit 3. -D'un autre côté, peut-on, en prenant pour point de départ l'observation des devoirs envers Dieu, arriver

1 Droz (Philosophie morale, chap. Ix) ne reconnaît pas de plus sublime définition de la religion.

2 Manuel de l'histoire de la philosophie, par Tennemann, § 115.

3

• Relinque ibi munus tuum ante altare, et vade prius reconciliari

» fratri tuo; et tunc veniens, offeres munus tuum. »

(SAINT MATHIEU, chap. v, § 3, vers. 24.)

à la violation des devoirs envers autrui et soi-même? Comment cela serait-il? L'amour de Dieu peut-il exister sans nous inspirer le culte de tout bien1?

TITRE III.

UNIVERSALITÉ DE L'APPLICATION DU DEVOIR.

a Singulorum hominum felicitas perpetuo pendet « immediate quidem a multis, remote vero et quoad minutiores ejus partes a plerisque omnibus qui coma mune bonum spectant. »>

(CUMBERLAND, De legibus naturæ, cap. v, § 30.),

183. Division de ce titre.

184. Sous cet intitulé: Universalité de l'application du devoir, sont renfermées deux propositions importantes, savoir: 1° Il n'y a point d'actions libres indifférentes; - 2o Le droit ne se distingue pas du devoir. Expliquons ces deux propositions.

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185. Nulle action libre ne peut être à la fois juste et injuste. Mais en est-il qui ne soient par ellesmêmes ni justes ni injustes, de sorte qu'on puisse les

1 « Comme le fer, mis au feu, perd toute sa rouille et devient tout én« flammé, ainsi l'homme qui se donne entièrement à Dieu, se dépouille de la tiédeur et se transforme en un homme nouveau. »

(Imitation de Jésus Christ, liv. II, chap. iv.)

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