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LIVRE III.

CONSCIENCE DU DEVOIR: SENTIMENT RELATIF
DE L'AMOUR DU DEVOIR.

Le pilote dirige le cours du vaisseau selon la manière dont l'aiguille de la boussole est tournée... Ainsi l'homme agit avec l'intention d'obéir au législateur.. (PUFFENDORFF, Droit de la nature et des gens, liv. I, chap. VII.)

228. Insuffisance du mobile rationnel pour inviter à l'application du devoir.

229. Nécessité d'un mobile passionnel, savoir: de la justice ou amour du devoir.

230. Division de ce livre.

228. L'idée rationnelle du devoir suffit-elle, par cela seul qu'elle est aperçue, pour exciter suffisamment l'homme à y conformer ses actes? - Des philosophes paraissent admettre l'affirmative. Ils placent les motifs rationnels parmi les mobiles des actions, sur la même ligue que les autres mobiles qu'ils appellent passionnels1.

1 M. Droz (Philosophie morale, chap. v) semble signaler, comme pouvant agir l'un sans l'autre, des mobiles différents.-Il appelle mobiles naturels (il faudrait dire passionnels), l'amour de soi, le désir de plaire à la Divinité, le désir d'être utile à nos semblables.—Il appelle mobile scientifique (il saudrait dire mobile rationnel), le désir de se conformer à l'idée abstraite des lois morales. Il appelle mobile philosophique (c'est encore le mobile rationnel), le désir de se perfectionner.

229. Des psychologues plus attentifs ne font agir l'idée sur la volonté que par l'intermédiaire de la passion. Ils tiennent un grand compte, pour éclairer l'âme, des motifs rationnels; mais il faut la passion pour changer en mobile le froid assentiment de la raison convaincue. La passion, c'est, suivant Plutarque, « le vent sans lequel le vaisseau ne peut « avancer. »> Clarke la signale en nous sous les noms d'amour de la beauté intérieure du bien, et de haine de la laideur intrinsèque du mal1.

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M. Jules Simon admet cette analyse plus exacte du mécanisme de l'homme. Il dit que, pour agir, « tout « l'homme est nécessaire à l'homme..... que l'homme « fait son devoir parce qu'il craint les conséquences « de la faute, ou parce qu'il a horreur du crime, ou << parce qu'il aime la vertu. »

« Oderunt peccare boni, virtutis amore. »

(HORAT.)

C'est ainsi qu'à côté des passions mauvaises qui font obstacle au devoir, la sensibilité contient la passion sainte qui aspire à l'accomplir. Cette passion s'appelle justice ou amour du devoir. Son contraire est l'injustice.

230. L'objet de ce livre est d'analyser les notions

Relig. natur., tom. II, ch. ш, no 7 : cité par Hubner, Essai sur l'histoire du droit naturel (partie II, § 13).

2 Le Devoir, partie II.

3 Par figure de langage, on emploie abusivement le mot justice comme synonyme du mot devoir. On confond ainsi le sentiment qui aspire et l'objet auquel il aspire.-C'est ainsi que M. Jules Simon s'exprime sans cesse, quand il appelle amour de la justice ce que, avec Ulpien, nous appelons plus exactement la justice.

de justice et d'injustice (Titre I); de les comparer aux notions d'intérêt bien entendu ou mal entendu (Titre II); et enfin de signaler, dans la conscience de chaque homme, à côté de la révélation absolue du premier principe du devoir, la relativité du sentiment de justice et d'injustice (Titre III).

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231. Ulpien a donné de la justice cette définition devenue classique : « Justitia est constans et perpetua « voluntas jus suum cuique tribuendi1. Les mots

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1 Ulpien, Princ., Instit. de justitia et jure.; Frag. 10, Dig., eodem, lib. I, tit. 1.

<< Justitia est animi habitus, communi utilitate comparata, suam cuique « tribuens dignitatem. » (CICER.)

perpetua voluntas indiquent, non pas le fait de l'existence isolée de tels ou tels actes bons, mais l'état habituel de l'âme bien résolue à accomplir une série indéfinie d'actes bons. Il ne suffit pas d'avoir une louable intention tel jour pour prétendre qu'on observe la justice, comme il ne suffit pas d'être brave tel jour pour prétendre qu'on a du courage. « Les vertus et «les vices ne diffèrent des devoirs et des péchés que << comme les habitudes diffèrent des actions'. »

232. La justice est l'amour du devoir. Mais ce mot amour du devoir désigne une abstraction. Transformons cette abstraction en réalité : nous trouvons l'amour des êtres à qui doit profiter l'accomplissement de notre devoir.

Nous avons vu que, par toute action ou abstention, nous produisons des résultats souhaitables ou fâcheux dans nos rapports avec Dieu, avec autrui, avec nous-mêmes. Pour aspirer aux résultats souhaitables, faut-il que la volonté soit éveillée par trois mobiles passionnels, l'un dans nos rapports avec Dieu, l'autre dans nos rapports avec autrui, le troisième dans nos rapports avec nous-même? Oui, mais par quels mobiles? Par trois amours, suivant M. Jules Simon. Il présente ainsi, comme éléments de la justice, l'amour de Dieu, l'amour d'autrui, l'amour de soi. — Nous

1 Leibnitz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain.

« Je trouve qu'il y a bien à dire entre les beautés et saillies de l'âme, ou une résolue et constante habitude. »

(MONTAIGNE, Essais, liv. II, chap. xxIx.)

2 Richard Cumberland fait remarquer que, dans la définition de la justice, voluntas jus suum cuique tribuendi, le mot cuique doit comprendre Dieu. (De legibus naturæ, cap. vii, § 3.)

tombons d'accord avec lui pour les deux premiers.Quant au troisième, nous croyons qu'il doit être autrement présenté. Nous remplaçons le mouvement passionnel amour de soi, par un mouvement passionnel sinon contraire, du moins très différent, que nous appellerons défiance de l'amour de soi.

Analysons ces trois subdivisions de la justice.

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233. Première subdivision de la justice. Amour de Dieu, ou piété. Rien ne nous dispose mieux à rechercher la direction de la liberté par l'intelligence, que de nous élever en esprit vers celui qui nous a donné l'intelligence pour le glorifier. Cette vérité apparaît de quatre manières principales : 1° Qu'est-ce que la recherche de la direction de la liberté, si ce n'est la recherche des sages volontés de Dieu? 2° Qu'est-ce que l'action d'obéir à ces volontés, si ce n'est l'action d'honorer Dieu? 3° Qu'estce que le résultat de cette obéissance, si ce n'est le moyen de nous rapprocher de Dieu, autant que le permet notre faiblesse? Ὁμολόγια πρὸς τὸ θεῖον, comme disait Pythagore 1? Ὁμοίωσις θεῷ κατὰ τὸ δυνατόν, comme disait Platon? Enfin qu'est-ce que la prière, si ce n'est le cri de notre faiblesse demandant à Dieu la force de lui obéir?-Par ces quatre raisons, l'Évangile a dit : « Le plus grand commandement est : Tu aimeras « le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton << âme, de toute ta pensée. Diliges Dominum Deum « tuum ex toto corde tuo et ex tota anima tua, et ex

1 Tennemann, Manuel de l'histoire de la philosophie, S 94. Id., ibid., § 136.

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