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« omnibus viribus tuis et ex omni mente tua'. Hoc « est maximum et primum mandatum 2. »

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234. Deuxième subdivision de la justice. Charité ou amour d'autrui. Des sophistes anciens et des philosophes du XVIIe siècle ont nié l'amour d'autrui, en ce sens qu'ils y ont vu seulement l'application de l'amour de soi. Aimer, disent-ils, c'est demander à autrui quelque chose qui nous manque pour nous compléter. J'éprouve, je l'avoue, un dégoût profond en lisant le dernier mot de cette doctrine dans cette définition brutale d'Helvétius : « Aimer, c'est avoir <<< besoin 3. » — Combien je préfère cette belle définition de Leibnitz : « Aimer, c'est faire son bonheur du <«<< bonheur d'autrui. » Ajoutons cette contre-partie, nécessairement sous-entendue c'est faire sa souffrance de la souffrance d'autrui.

Si cette disposition qui nous fait trouver du plaisir dans le bonheur des autres êtres sensibles, s'applique à un seul individu ou à la famille, on l'appelle amour conjugal, paternel, filial, fraternel, amitié. Si cette même disposition embrasse une classe plus étendue d'individus, elle constitue ce qu'on appelle esprit de corps, esprit de parti; si elle embrasse toute une nation, c'est esprit public, patriotisme; si elle s'étend

1 Saint Luc, chap. x, § 3, vers. 27. § 3, vers. 31.

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Saint Matthieu, chap. xxII, § 4, vers. 37.

Saint Matthieu, chap. XXII, § IV, vers 38.

chap. XII, III, vers. 31.

3 De l'Esprit (discours III, chap. xiv).

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Comp. Saint Marc,

« Amare est felicitate alterius delectari, vel, quod eodem redit, felici<tatem alienam adsciscere in suam. >>

3 « Je veux, dit Sénèque, un ami, afin d'avoir quelqu'un pour qui je puisse mourir. »

à tous les hommes, c'est philanthropie, humanité1. Montons un degré plus haut, nous trouverons des expressions plus générales encore, les mots bienveillance2, sympathie, charité, indiquant que notre sensibilité n'est indifférente au sort d'aucun être. « Si la « vie nous est chère, dit un livre sacré des Indiens, «elle doit l'être à tous les êtres. Les hommes sensi«<bles doivent avoir pitié de tout ce qui respire. La «< charité s'étend jusque-là. >>

Faire son bonheur du bonheur d'autrui : cette forme de la sensibilité produit le désir de contribuer au bonheur d'autrui. Elle inspire la bienfaisance la bienfaisance, soit avec ses divers degrés diminutifs, obligeance, complaisance, politesse, indulgence, modestie ; soit avec ses degrés augmentatifs, reconnaissance, dévouement 6, clé

1 Bentham, Traité de législation.

Le mot métaphorique fraternité est un heureux synonyme. Il est fàcheux que l'histoire y rattache des souvenirs contradictoires de violence. 2. Benevolentia est habitus amoris. >> (LEIBNITZ, Definitiones ethica.) 5 «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère ! » dit l'Écriture. 4 « Ce n'est pas celui qui se rend témoignage à lui-même qui doit être << approuvé, mais celui à qui Dieu rend témoignage. »

(Saint Paul aux Corinthiens, chap. x, vers. 18.)

5 « A celui qui te donne sur-le-champ une goutte d'eau, tu donneras en ⚫ échange une fontaine intarissable. »

(Proverbe chinois. Ferdinand DENIS, Le Brahme voyageur.) 6 << Sois semblable à l'arbre de sandal, qui, quand il est abattu, couvre << de parfum la hache qui le frappe. »

(Passage de l'Arya, écrit plus de 300 ans avant notre ère.) « Apprends de la coquille des mers de l'Orient à aimer tes ennemis et à << remplir de perles la main tendue pour te nuire.... Vois-tu cet arbre assailli << d'un nuage de cailloux? Il ne laisse tomber sur ceux qui les lancent que « des fruits délicieux et des fleurs parfumées! La voix de la nature entière « nous crie: L'homme sera-t-il le seul qui refuse de guérir la main qui s'est « blessée en le frappant? » (Distiques de Hafiz. Recerches historiques,

tom. IV; discours de William Jones.)

mence1, etc. - Faire sa souffrance de la souffrance d'autrui cette forme de la sensibilité produit le désir de consoler autrui. « Il semble, a-t-on dit, qu'on << enlève une partie de leurs maux à ceux qui les <«< confient; on ne s'exprime pas improprement en « disant qu'on les partage 2. »

Attachons-nous au mot charité, le plus général de ceux que nous venons de citer. Puisque la direction de la liberté doit amener un certain partage de biens et de maux entre les êtres créés, le plaisir qu'on éprouve à voir ses semblables heureux est la disposition la plus favorable pour procéder à ce partage. Aussi, après avoir présenté l'amour de Dieu comme le premier précepte, l'Évangile ajoute::- «Secundum autem « simile est huic : diliges proximum tanquam teip« sum. In his duobus mandatis universa lex pendet et « *. << prophetæ . - Hoc est præceptum meum, ut dili« gatis invicem, sicut dilexi vos. » — Nous verrons ultérieurement si ces saintes paroles n'ont pas un sens plus étendu; si elles ne nous donneront pas le premier principe de la science du devoir, comme les

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-

Diligite inimicos vestros benefacite, nihil inde sperantes. »
(SAINT LUC, chap. vI, S IV, vers. 35.)

« Tous les hommes sont mes frères, mais ceux qui pleurent sont mes < enfants. >> (LAMENNAIS.)

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Charitas est benevolentia generalis. » (LEIBNITZ, Definitiones ethicæ.) Dugald Stewart fait remarquer que, s'il y a un assez grand nombre d'affections bienveillantes, il n'y en a qu'une seule malveillante, le ressentiment. « Il y a beaucoup de manières d'aimer, une seule de haïr, » ajoute Descartes. (Les Passions de l'ame, IIe partie, art. 84). Et encore, suivant Fichte, la haine n'est qu'un amour trahi.

▲ Saint Matthieu, chap. xxII, § 4, vers. 39, 40.

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Comp. Saint Luc,

- Saint Marc, chap. XII, § 3, vers. 31.

5 Saint Jean, chap. xv, § 2, vers. 12.

textes cités dans notre livre précédent nous ont donné le premier principe du devoir.

235. Troisième subdivision de la justice. Défiance de l'amour de soi. M. Simon apporte comme troisième élément de la justice l'amour de soi, c'està-dire « l'amour de la vie d'abord, et, à cause de l'a<< mour de la vie, l'amour de la vie heureuse, et enfin << l'amour de la vie active ou de l'expansion naturelle <«<< de nos facultés '.»-Nous critiquons le classement de l'amour de soi parmi les éléments de la justice. Nous ne pouvons accepter cette proposition: « L'amour « de soi est le seul motif de tous nos amours 2. >> Nous reconnaissons que l'homme a l'instinct de la conservation et du perfectionnement, ajoutons et le désir du bonheur. Nous reconnaissons encore qu'il a des devoirs envers lui-même. Pourquoi? Nous l'avons dit, pour se maintenir en état de remplir ses devoirs indivisibles envers Dieu et autrui. - Mais l'amour de soi, un mouvement passionnel envers soi-même, présenté comme un des éléments de la justice! Que signifie cela?

Rien d'exact, suivant nous. L'amour de soi, en tant qu'amour, n'a qu'une existence de fait. Lui donner une existence de droit, c'est introduire dans la place

Le Devoir, partie II, pag. 133. L'auteur ajoute :

« L'amour de la vie, c'est le désir de continuer d'être.

« L'amour du bien-être, c'est l'amour de la santé, des plaisirs des sens, de la propriété, de l'estime dans une foule de degrés, du pouvoir.

« L'amour de la vie active, c'est l'amour du plaisir d'exercer nos facultés

<< soit physiques, soit intellectuelles, l'amour du mouvement comme de la << science. >>

2 Id., partie II, chap. iv.

le traître qui doit la livrer. En d'autres termes, cet amour n'est que pour être sans cesse combattu et vaincu par l'amour de Dieu et d'autrui. Je comprends très bien cette proposition : « J'aime trop peu « Dieu et autrui;» je ne comprends pas cette proposition: « Je m'aime. » Quand Pascal dit : « Il faut <«<< n'aimer que Dieu, et ne haïr que soi1,» il est d'accord avec nous sur ce point 2.

Je m'aime! Et comment le pourrais-je? Je puis bien me faire illusion sur autrui, croire que je vois dans autrui le bien digne d'amour, dans sa forme affirmative... Mais me faire illusion sur moi? voir en moi le bien sous sa forme affirmative? est-ce possible? En me considérant moi-même, n'ai-je pas avant tout, et pour ainsi dire uniquement, conscience de ce qui me manque? Est-il un homme qui puisse raisonnablement s'aimer dans sa forme actuelle en ce monde? Non, répond saint Paul : « Erunt homines seipsos amantes..... insipientia eorum manifesta « erit3. »>

Laissons le sentiment et raisonnons. Si la justice exige absolument qu'on s'aime, l'amour de soi ne pourrait disparaître d'un fait sans que ce fait devînt, dans une certaine proportion, immoral. Or, cela est si

1 Pensées.

2 Leibnitz ne comprend pas non plus cette proposition « Je m'aime, » puisque, suivant lui, aimer c'est faire son bonheur du bonheur d'autrui. 3 Deuxième épître de saint Paul à Timothée, chap. III, vers. 2 et 9. Il est vrai que Sénèque renvoie le reproche de folie à celui qui nie que l'homme s'aime : « Modus ergo diligendi præcipiendum est homini, id est « quomodo se diligat aut prosit sibi. Quin autem se diligat aut prosit sibi, « dubitare dementis est. >> (SÉNÈQUE.)

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