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peu vrai que la vertu, c'est-à-dire le bien moral porté à sa dernière puissance, n'est précisément que le retranchement le plus complet de l'amour de soi, considéré ici-bas. C'est dans ce sens que nous entendons cette phrase de Cicéron : « Virtus nulla po« test esse nisi erit gratuita. » M. Jules Simon, après un peu d'hésitation, en tombe d'accord. Il est tenté un instant de croire que d'Assas est mort pour choisir le bonheur personnel que lui donnait la vision de la gloire. Mais pourtant il prend parti en sens inverse. Il décide que « le bien pour le bien, sans arrièrepensée, n'est pas absolument impossible aux forces humaines »1.

236. Ainsi l'amour de soi n'est pas un des éléments essentiels de la justice. Loin de là: ce qui est essentiel, à notre avis, c'est une impulsion passionnelle tout opposée : c'est la défiance contre cet amour. Sévères envers nous-mêmes, ne nous demandons jamais: Telle chose nous plaît-elle? Demandonsnous toujours si elle nous plaît trop. Voilà, si nous ne nous trompons, la troisième disposition du cœur nécessaire pour constituer l'amour du devoir. — Hélas! quelle que soit, dans les âmes les meilleures, la bonne volonté de réunir les éléments de cet amour, la justice parfaite reste comme un type idéal dont nos efforts ne s'approchent qu'incomplètement. Qui peut reconnaître en soi cette constans et perpetua voluntas que demande la définition d'Ulpien?

237. Faisons toutefois une concession. Si l'on veut

Le Devoir, partie II, pag. 131.

conserver l'amour de soi parmi les éléments de la justice, nous y consentons, mais à une condition: c'est que cet amour se purifie en contemplant son objet sanctifié dans une autre vie. Hommes, nous ne comprenons pas ici-bas ce sentiment étrange, amour de soi. Mais nous pressentons la possibilité qu'il puisse, dans un milieu différent, devenir un sentiment légitime. Alors, si c'est précisément en s'immolant dans cette vie d'épreuve que l'amour de soi se réfugie, par anticipation, dans l'asile où il aura conscience d'être mérité, nous ne voyons qu'avantage sans inconvénient à l'admettre. - La phrase de Larochefoucauld 1: « Les vertus se perdent dans l'in« térêt comme les fleuves dans la mer, » ne fait plus horreur, si elle contient l'intérêt de l'autre vie.-A la même condition, Helvétius serait accepté.

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238. Si la justice est l'accord de l'amour de Dieu et du prochain avec une certaine défiance de l'amour de soi-même, l'injustice est évidemment le dérange

A Maximes.

ment de cet accord. Soit donc que l'on ne rende pas à Dieu ce qui lui est dû, soit qu'on partage capricieusement son amour envers le prochain, en donnant à tel homme plus, à tel autre moins qu'il ne lui appartient, soit enfin que l'on fasse prédominer l'amour de soi sur les deux autres, on est injuste.

239. C'est surtout dans cette dernière application qu'apparaît l'injustice, sous le synonyme d'égoïsme. Le mal moral n'est que « la loi d'individualité com<< battant la loi d'unité1.» Crimes, vices, guerres, tout cela n'est que l'effet du culte prédominant de soi dans les hommes sans pitié « contumeliam facientes in superbia 2. C'est ce que dit en termes simples saint Augustin, quand il voit le péché dans un seul point essentiel, la perversion de la charité; c'est ce que répète, avec plus d'emphase, je ne sais plus quel poète signalant << Mars comme le tyran, et le Droit comme « le souverain du monde. >>

240. Au surplus, de même que nous avons nié la possibilité de l'existence d'un homme dont l'intelligence ignorerait le premier principe du devoir, il faut nier l'existence d'un homme dont la sensibilité, contente seulement par l'injustice, aimerait le mal pour le mal. Le crime ne peut être que l'exception dans la vie la plus criminelle. « Ne illi quidem qui maleficio « et scelere pascuntur, possunt sine ulla particula « justitiæ vivere. » Si nous aimions les expressions

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1 Lamennais, Esquisse d'une philosophie nouvelle.

2 Machabées, lib. II, chap. 1, § 3, vers. 28.

3 Sainte-Beuve, Port-Royal, tom. II, pag. 141. 4 Cicéron, De officiis.

nouvelles, nous proposerions à l'humilité de l'homme de laisser à Dieu la justice, en se contentant pour lui-même des aspirations à la justice; et, d'autre part, effaçant le mot injustice comme une exagération calomnieuse, une supposition impossible, nous appellerions les côtés mauvais de notre cœur défaillances de la justice. Ces défaillances nous paraissent bien caractérisées dans ce passage d'un auteur1 : « Quand <<< on a la maladie de l'égoïsme moral, et qu'on néglige <«<les intérêts de ses semblables par cela qu'on n'en <«< espère aucun profit pour soi, on a toujours peur d'en faire trop; et dès lors on n'en fait pas assez. »

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luer, sous le nom de justice, l'état de l'âme qui nous fait aspirer en même temps à la glorification de Dieu

1 Pestel, Fundamenta justitiæ naturalis, traduit du latin sur la deuxième édition, partie I, section v, no 154.

et au bien-être d'autrui, en réservant tout au plus un peu de complaisance défiante envers nous-mêmes.

Mais, à côté de l'homme qui dit : « Le mouvement <«< passionnel qui m'invite à suivre le devoir s'appelle « justice, » supposons un autre homme qui s'exprime ainsi : « Le calcul qui m'invite à suivre le devoir s'ap

pelle intérêt bien entendu...» Le second choisit-il un mobile différent du mobile choisi par le premier? Oui, en ce sens que le mobile appelé justice est du domaine de la sensibilité, et que le mobile appelé intérêt bien entendu est du domaine de l'intelligence et de la sensibilité réunies. Mais attachons-nous aux résultats pratiques. Ces résultats seront-ils différents, selon qu'ils seront inspirés par l'un ou par l'autre mobile? Pour le savoir, définissons bien les mots.

Si l'on entend par calcul de l'intérêt bien entendu le fait d'un homme qui, entre les impressions égoïstes du moment, toutes oublieuses de l'intérêt d'autrui et de son propre intérêt du lendemain, choisit la plus séduisante, on abuse indignement du qualificatif bien entendu. Loin de nous la discussion sur les jeux de mots1! - Si l'on veut dire que cet homme choisit ce qui est conforme à l'intérêt général de sa destinée considéré dans son ensemble, alors le culte de cet

1 Nous regrettons de trouver ce jeu de mots dans l'éloquente préface de l'ouvrage de Benjamin Constant, intitulé La Religion. Il dit que l'intérêt bien entendu doit anéantir « tout ce qui est contraire à l'intérêt bien « entendu... Ainsi 1o détruire la pitié, le dévouement, les émotions qui distrairaient cet intérêt de ses calculs; 2° conseiller de s'abandonner aux passions pour mettre un terme aux tourments de la résistance..... en«gager un homme à flatter le pouvoir pour donner une carrière à son « fils..... » L'auteur qui a écrit ces assertions ne s'aperçoit pas qu'il appelle intérêt bien entendu, 1o la prétendue utilité pour l'homme de cesser

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