contentement de lui-même, cause de douleur qui dépasse toutes les autres.

247. La sensibilité diffère suivant la plus ou moins grande délicatesse de l'organisation des individus. La justice, qui est du domaine de la sensibilité, a donc ses degrés, correspondants à ces degrés de délicatesse. - Nous naissons les uns avec des inclinations plus prononcées, les autres avec des inclinations moins prononcées à observer le devoir. Que la physiologie puisse ou non rendre compte de ces différences, elles n'en sont pas moins réelles et incontestables 1. Voyez deux hommes aux prises avec un même trouble de leur raison les penchants plus doux de l'un le porteront plus aisément à conquérir la paix, sa volupté préférée, en dominant les préoccupations de l'impression émouvante; l'ardeur des passions de l'autre aura besoin d'appeler à son aide toute l'énergie de la résistance, pour chasser le démon.« Il se peut que

:

Boisseau, Des Peines (thèse soutenue à la Faculté de droit de Paris).

<<< vous ayez de l'aversion pour ce qui vous est avan«<tageux, et que vous aimiez ce qui vous est nuisi«ble: Dieu le sait1. >>

248. Chacun a conscience de cette étendue relative de la justice en lui. Il sait jusqu'à quel point il aime le devoir. Il mesure le désir plus ou moins grand qu'il a de bien faire, le plaisir plus ou moins grand qu'il sent à bien faire.

249. Et cette conscience, dont le siége est dans la sensibilité, devient un des éléments de la conscience morale dont le siége est dans l'intelligence. En effet, en apprenant à chacun jusqu'à quel point la justice est en lui active ou languissante, elle révèle à la conscience morale l'étendue de sa tâche, le besoin plus ou moins grand que la raison a de se fortifier pour triompher des passions plus ou moins fortes: sûre qu'elle est que le Dieu qui a départi aux divers individus des épreuves plus ou moins rudes, tiendra compte à chacun de la difficulté plus ou moins grande de les subir.

250. La connaissance des caractères et du premier principe du devoir nous est apparue comme absolue dans nos deux livres précédents. Dans le livre que nous achevons ici, nous venons au contraire de trouver un premier élément relatif de la conscience morale, l'étendue relative du sentiment de justice. Nous allons, dans les deux livres suivants, signaler d'autres éléments relatifs.

1 Le Coran, chap. 11 : la Vache, vers. 213.

LIVRE IV.

CONSCIENCE DU DEVOIR :

RÉVÉLATION RELATIVE DU MÉRITE OU DU DÉMÉRITE
DE NOS ACTIONS.

น

Obligamur per bona vel mala distincte repræsentata,

usu intellectus, rationis et judicii. »

(DARIES, Institutiones jurisprudentiæ

universalis, cap. 11, § 88.)

Nous portons dans notre cœur et les furies et les (MAXIMUS TYRIUS, dissert. III.)

• destinées. »

251. Rappel de la distinction des lois physiques et des lois morales.-Imputation: attribution à un agent libre et intelligent d'un fait conforme

ou non aux lois morales.

252. Mérite et démérite.
253. Mesure du mérite et du démé-
rite dans la conscience.

254. Division de ce livre.

251. Les lois, dont nous avons donné avec Montesquieu la large définition, se divisent (comme déjà nous l'avons vu) en deux grandes classes: les lois physiques et les lois morales. Les lois physiques exercent sur tout être une contrainte dont il ne peut éviter l'action fatale. Les lois morales, ou lois du devoir, font apparaître à uu être intelligent et libre une nécessité morale qu'il fera sagement de suivre, mais qu'il peut follement repousser1.

Sa volonté est éclairée, non supprimée par elles '.

L'agent qui, en cédant aux lois physiques, est l'occasion d'un bien ou d'un mal matériel, n'est point l'auteur de ce bien ou de ce mal. L'agent intelligent et libre qui suit ou viole les lois morales, est l'auteur du bien ou du mal qu'il produit. Considérer un être comme l'auteur d'un résultat, cela s'appelle lui imputer ce résultat.

252. On appelle mérite d'une action la réunion des caractères de cette action qui donnent à son auteur droit à éloge ou récompense. On appelle démérite d'une action la réunion des caractères de cette action qui font encourir à son auteur blâme ou punition.

Attribuer mérite ou démérite, telles sont les deux applications de l'action d'imputer. On n'attribue mérite ou démérite qu'à l'être intelligent et libre à qui l'on impute. Vous ne vous indignez pas «< contre le rocher

qui tombe sur votre tête, contre le torrent qui vous << entraîne à l'abîme2; » vous ne bénissez pas la pluie qui féconde votre champ. Vous vous indignez contre le bandit qui veut vous ôter la vie ; vous bénissez le passant courageux qui expose la sienne pour vous défendre".

253. Qui peut mesurer bien exactement le mérite ou le démérite relatif d'un acte? Après Dieu, la conscience seule de l'auteur de cet acte.

1. Obligatio necessitas moralis. Moralem autem intelligo, quæ apud << virum bonum æquipollet naturali. » LEIBNITZ.)

2 Cousin, Le vrai, le beau, le bien, 14o leçon.

3 « Pourquoi, dit Domat, souffrons-nous les douleurs sans nous mettre en colère, et que nous ne souffrons pas les injustices ou les maux que • nous causent les hommes, sans mouvements de colère? »

254. Nous allons, dans les trois titres de ce livre, analyser successivement:

1° L'imputabilité;

2o Le mérite et le démérite;

3o La conscience du mérite ou du démérite.

TITRE PREMIER.

IMPUTABILITÉ.

«Declarare aliquem esse auctorem facti, idem est ac « imputare.» (DARIES, Institutiones jurisprudentiæ universalis, cap. v, p. 213.)

255. Recherchons: 1° l'objet de l'imputabilité;