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deux ans, jouant avec une bougie allumée, va incendier. une meule de grains. Je puis éteindre dans sa main cette bougie, je ne le fais pas. Suis-je coupable du préjudice résultant de l'incendie? N'en doutons pas, sur la foi de Salvien: « In cujus enim manu est ut pro« hibeat, jubet agi si non prohibet admitti 1; » de saint Augustin: « Qui desinit obviare, quum potest, con« sentit 2; » de Brutus : « Alienæ culpæ me reum fa«cies... si provideri potui ne existeret3. »

263. Conditions de l'imputabilité. - Pour imputer à un être un fait comme son œuvre, il ne suffit pas que cet être soit, de sa nature, intelligent et libre. Il faut qu'il ait été intelligent et libre spécialement au moment où il a commis le fait.

264. Point d'imputabilité si l'intelligence manque à la liberté soit dans l'enfant très jeune dont le discernement n'est pas formé, soit dans le fou que le discernement a abandonné.

265. Point d'imputabilité, non plus, si la liberté d'action manque à l'intelligence par l'effet de la contrainte physique.-Jeté par des malfaiteurs du haut d'une fenêtre, je vous blesse en tombant... Je ne suis pas l'auteur de cette blessure: vous n'avez pas contre moi plus d'indignation que contre la balle de plomb qui vous frapperait. Si j'écrase en tombant

4 De gubern. Dei, lib. VII.

• Comm. de saint Augustin sur le psaume LXXXI.

caus. XXIII, quest. III, can. XI.

5 Epist. ad Brut., IV.

Droit canonique,

4 Nous ne parlons pas de là liberté métaphysique, inaccessible dans son sanctuaire.

ainsi un brigand aposté dans la rue et prêt à vous frapper de son poignard... je ne suis point l'auteur de votre salut: vous ne me devez pas plus de remerciments qu'à l'apoplexie qui l'eût foudroyé tout à coup1. La contrainte physique que m'ont fait subir les malfaiteurs en me précipitant, ne laisse place pour moi ni à blâme ni à éloge.

266. Les mêmes observations s'appliquent à l'erreur de fait.—OEdipe n'est ni parricide ni incestueux quand, sans le savoir et sans le vouloir, il tue son père et épouse sa mère 2. A l'inverse, le séducteur mystifié, représenté au théâtre, qui croit enlever la femme d'autrui et qui enlève la sienne, n'en est pas moins un ravisseur3.-Pour détruire ainsi l'imputabilité d'un mal produit, l'erreur doit être invincible. « Il << n'est pas nécessaire que, dans le temps de la dé<< termination ou de l'action, l'homme en ait prévu <«<les suites bonnes ou mauvaises, ou qu'après les << avoir considérées à loisir, il les ait pesées. Il suffit « qu'il ait pu faire toutes ces choses. » Il est responsable quand il a pu connaître ce qui pouvait « l'empêcher de se tromper 5. >>

267. Le résultat produit par le défaut de discer

1 Celui qui, caché pour éviter un ennemi, trahit sa présence en éter«nuant, « sera, à la vérité, affligé d'avoir éternué; cependant il ne pourra << pas s'en repentir. »

(Principes du droit naturel, traduits de l'allemand de Claproth.) 2 « Quis nomen unquam sceleris errori addidit?» (SENEC.)

3 « Si quis cum uxore sua tanquam aliena concumbat, adulter erit,

« quamvis illa adultera non sit. »>

(SENEC.)

4 Pestel, Fundamenta justitiæ naturalis, traduit du latin sur la deuxième édition (partie II, sect. vii, no 284).

5 Id., ibid., no 287.

nement, par la contrainte physique et par l'erreur de fait invincible, prend, par opposition au dol et à la faute, le nom de cas fortuit ou force majeure.

268. Le bien ou le mal qu'on fait sous l'empire d'une contrainte morale est-il imputable? - La ques tion est mal posée. Il faut demander si ce qui est bien ou mal quand on le fait librement, est bien ou mal quand on le fait sous l'empire de la contrainte morale. La science du devoir pourra seule répondre à cette question très compliquée, qui porte sur l'objet même du devoir, et non sur l'imputabilité. Nous la traiterons plus loin.

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Autre question. L'erreur de droit, c'est-à-dire l'insuffisance de lumières sur la moralité ou l'immoralité d'un fait, détruit-elle l'imputabilité? Par exemple, que faut-il penser d'un seigneur franc d'autrefois, soumettant, par confiance en Dieu, un accusé à l'épreuve de l'eau bouillante ou du duel judiciaire? Absoudra-t-on son erreur de juge par son erreur de théologien?

s'il

Cette question ne peut être résolue qu'après une autre préjudicielle : c'est celle de savoir si l'erreur de droit, par insuffisance de lumières, est possible ; peut arriver qu'un homme, par ignorance, croie à la moralité d'un acte immoral, ou à l'immoralité d'un acte moral. C'est dans le livre suivant, en recherchant si la connaissance de tous les objets du devoir est donnée par la conscience d'une manière absolue ou d'une manière relative, que nous examinerons cette question importante. Si elle doit être résolue par l'affirmative, l'erreur de droit, aussi

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269. Le mérite et le démérite ont des degrés. Ces degrés se mesurent: 1° d'après la nature des faits; 2o d'après leur multiplicité; 3° d'après la sensibilité de l'agent; 4o d'après son éducation; 5o faut-il ajouter: d'après le mobile de l'action1?

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270. Mesure du mérite ou du démérite d'après la nature du fait. N'en déplaise à Dracon, tous les faits immoraux ne sont pas égaux. Se venger de son ennemi en le mystifiant est moins mal que s'en venger en le tuant. De même, tous les faits moraux ne sont pas de la même valeur. Donner aux pauvres

1 Comp. Saturninus, fr. 16, § 1, Dig., De pœnis (lib. XLVIII, tit. 19): « Sed hæc genera consideranda sunt septem modis, causis, persona, loco, << tempore, qualitate, quantitate et eventu. >>

<< Le rabbin Moïse veut que l'on considère la grandeur du péché, le « nombre des péchés semblables qu'on a commis, le degré du désir et la « facilité de l'action. >>

(GROTIUS, De jure belli et pacis, liv. II, chap. 20.)

une partie de son nécessaire est plus charitable que leur donner seulement son superflu.

271. Mesure du mérite et du démérite d'après la multiplicité des faits. Une série de bonnes actions vaut mieux qu'une bonne action isolée. Une mauvaise action isolée est moins coupable que l'habitude des mauvaises actions. Dans la mauvaise action isolée, la volonté surprise par une première attaque est plus excusable d'une première défaillance. Elle l'est beaucoup moins quand elle cède à la seconde apparition de la tentation mauvaise; elle n'est plus entièrement innocente de son retour, quand elle ne l'a pas suffisamment combattue dans son origine. En remontant attentivement le cours de notre vie, combien de fois ne verronsnous pas tel ou tel désir coupable qui nous agite aujourd'hui, avoir son germe dans quelque défaut précédent de résistance, dans une défaillance de la liberté inattentive à repousser le premier envahissement du mal? Et s'il était vrai que ce mal pût prendre d'assez profondes racines pour étouffer la liberté, ce serait d'avoir perdu notre liberté que nous serions responsables.

272. Mesure du mérite et du démérite d'après la sensibilité de l'agent. - Nous avons vu les degrés de la sensibilité différer suivant les individus. La lutte de la raison contre la passion est plus ou moins rude en proportion de ces degrés. Il y a des victoires plus ou moins chèrement achetées, en conséquence plus ou moins dignes d'estime. Il y a des chutes plus ou moins expliquées par des circonstances atténuantes. Placez

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