les plus éloignés. Le Code Napoléon, prenant un terme milieu, n'assure plus cette réserve qu'aux ascendants et aux descendants.- De ces trois décisions, laquelle est le produit pur de l'inspiration infaillible 1?

Chaque jour de la vie de l'humanité amène, suivant nous, à la place de l'erreur de la veille, une demi-vérité seulement. Prétendez-vous, au contraire, qu'elle atteint des résultats complets? Alors dites-nous, si vous le pouvez, à quelle minute précise de quelle année, l'humanité, barbare encore l'instant d'auparavant, s'est trouvée subitement illuminée de la plénitude des rayons de la science morale!

Que dis-je, l'humanité! Dans un même siècle, les peuples qui la composent ne se trouvent pas d'accord. Parmi les législateurs d'une même époque, tel a continué à arracher aux accusés un aveu incertain par la torture, tel autre a flétri avec indignation cette cruauté. Lequel a bien lu la loi morale?

326. Certes, grande est la valeur de l'autorité générale! C'est la valeur des leçons de l'histoire. Toute école de moralistes comme de jurisconsultes, de chimistes comme de physiciens, doit être historique. Toute science emprunte d'indispensables enseignements au passé, qui est un de ses trois aspects. «< His«toria testis temporum, lux veritatis, vita memoriæ, « magistra vitæ, scientia vetustatis est 2. » La patrie

1 Lorsque, dit Locke, la mode avait rendu les duels honorables, on commettait des meurtres sans aucun remords de conscience; et aujourd'hui c'est un grand déshonneur, en certain lieu, d'être innocent sur cet article. »

2 Cicer., De oratore.

de Cujas ne peut renier les trésors que l'étude des antiquités a fournis à ce grand romaniste.

Mais n'abusons pas même des bonnes choses! Cujas ne se servait de l'histoire que pour arriver à mieux. De nos jours on se borne à la fouiller avec curiosité. Aussi, en croyant continuer Cujas, l'école historique s'écarte de ce jurisconsulte 1. Trop « courbée sur le passé 2, » elle conteste à la science sa mission dernière, la prévision du perfectionnement dans l'avenir. Restituons-lui cette mission.

Admettre l'autorité générale comme dernier critérium de la certitude, c'est admettre la «< victoire de la « coutume contre l'idée, du fait contre la théorie3, « de l'instinct irréfléchi contre la raison plus médita«<tive.» Découragement trop grand! Trop grande défiance de la raison! Le génie d'un penseur peut devancer son siècle, et, luttant avec avantage contre les traditions, démontrer les vices des institutions que l'autorité générale n'a pas encore sapées *.

1 Pascal Duprat, journal le Droit, no du 7 octobre 1845.

2 Id., ibid.

ibid.

3 Id., Le même écrivain signale, dans la Revue indépendante (tome XV, livraison du 25 août 1844), le lien d'affinité des doctrines contrerévolutionnaires de Savigny avec celles d'Edmond Burcke et de De Maistre.

▲ « Sommes-nous jetés sur la terre comme des êtres tirant toute leur vie « de ce qui n'est plus? La perfectibilité humaine n'est-elle pas en nous « aussi bien qu'elle fut en nos pères? Ne serons-nous jamais utiles qu'à la « condition de ne plus exister? Et les morts seront-ils appelés seuls à régir « le monde ? >> (ROUSSEL, Encyclopédie du droit, Appendice.)

CHAPITRE V.

CINQUIÈME SUBDIVISION DU PREMIER SYSTÈME,

DETERMINATION

ABSOLUE DES OBJETS DU DEVOIR PAR LA CONSCIENCE UNIVERSELLE PRIMITIVE, ATTESTÉE PAR LA TRADITION.

a

« Nous ne sommes pas venus au monde pour faire

« des lois, mais pour obéir à celles que nous avons trou

vées, et nous contenter de la sagesse de nos pères

a comme de leur terre et de leur soleil. » (BALZAC.)

327. Tradition. Autorité générale dans sa première inspiration. 327. L'humanité peut avoir des entraînements passionnés, aussi bien que l'individu. Pour nous en garantir, il faut interroger l'autorité générale dans le calme de ses premières inspirations. Pour cela, disent certains philosophes, remontons à l'autorité générale primitive, telle que nous la transmet la tradition.

Accepter la tradition, c'est admettre avec une légitime modestie, comme dit Bentham, un préjugé en faveur des préjugés. Mais faut-il résolument conclure ainsi de ce qui a été à ce qui doit être? Fautil absorber l'étude complète du devoir dans l'étude de ses origines, c'est-à-dire d'un de ses éléments?

328. Les inspirations primitives de 329. Elles peuvent être plus trom

l'autorité générale peuvent

être trompeuses.

peuses que les inspirations ultérieures.

328. L'histoire est là pour prouver que nous ne

pouvons nous endormir sur la foi de nos pères. Combien de fois, par des réformes dont la légitimité a été démontrée, le temps n'a-t-il pas protesté contre l'infaillibilité de ces traditions anciennes, « reçues d'une <«< résolution indubitable, et qui n'ont appui qu'en la «barbe chenue et rides de l'usage1!»

La liberté humaine a pu faire le mal dès les premiers jours de son existence; donc la tradition n'est pas la démonstration du bien. Une certaine probabilité de vérité peut s'attacher à ce qu'elle recommande; mais accepter cette probabilité pour certitude, c'est prendre le fait pour sa raison d'être. Quelque haut que

nous remontions dans les siècles passés, il faudra bien trouver l'explication de la tradition hors de la tradition même; car, à un jour donné, elle a été nouvelleté. Écoutez la puissante ironie de Pascal : « Si « l'antiquité, dit-il, est la règle de la créance, les an<«< ciens étaient donc sans règle?»>

329. La foi exclusive à la tradition ne repose pas seulement sur un cercle vicieux : elle prête à une attaque plus directe encore. Si l'autorité générale, considérée dans le présent, est un critérium philosophique incertain, l'autorité générale ancienne est un critérium plus incertain. — Dans l'individu, «<les in<«clinations ou les sentiments se développent ou se <«<< rectifient à mesure que les facultés intellectuelles « s'étendent; et il serait difficile de voir pourquoi les <«< inclinations d'un individu ignorant et trompé pren«draient le nom de naturelles, plutôt que les incli

1 Montaigne, Essais, liv. I, chap. XXII.

<< nations d'un homme qui est éclairé, et qui a donné « à ses sentiments une bonne direction 1. >> Dans l'humanité il en est de même. De deux générations successives, celle qui précède ne peut avoir autant d'expérience que celle qui la suit. « Les gouffres « de l'ignorance se comblent par le nombre même de « ceux qui s'y précipitent. Les siècles antérieurs sont « des enfants perdus, qui reçoivent les coups de la « fortune pour ceux qui leur succèdent 2. » En un mot, comme dit Bacon, « l'antiquité des temps est << la jeunesse du monde. »

TITRE II.

DEUXIÈME SYSTÈME. · CONSCIENCE : DÉTERMINATION TANTOT ABSOLUE, TANTOT RELATIVE, DES OBJETS DU DEVOIR.