Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

mière partie de son ouvrage, analyste attentif de la passion dans la seconde, il aborde, dans la troisième, l'idée du devoir, et la trouve au fond de la conscience. Jusque là nous ne pouvons qu'être entièrement d'accord avec lui. Nous partageons également, et ses convictions ardentes contre le matérialisme, et ses répugnances généreuses contre les raffinements dangereux de maint casuiste. Mais Épicure et Escobar ne sont que de mauvais raisonneurs, sur lesquels il faut marcher droit, sans peur. Pour M. Simon, il semble que ce soient d'odieux fantômes, dont la vue le fait reculer trop loin. La répulsion qu'ils lui inspirent le rejette dans l'opinion qui voit toute décision morale écrite dans l'inspiration infaillible. Aussi l'idée du juste et la connaissance du juste (choses si différentes!) sont identifiées dans une foule de passages de son livre 1.

Cette identification apparaît surtout dans le chapitre où l'auteur sacrifie impitoyablement à l'école de la conscience, toutes les autres écoles, quelles qu'elles soient, savoir:

1. Et l'école mystique, qui recherche dans l'extase la volonté de Dieu;

2o Et une autre école mystique, qui essaie de la comprendre par le reflet qu'elle en cherche dans le monde; pensant que « si le soleil contemplé en face « nous éblouit, nous pouvons lui tourner le dos pour

Nous citerons les phrases suivantes: «Tous les hommes voient la jusice (P. 295)..... Si le droit de l'un suppose dans l'autre un devoir, n'est-il pas évident que tout le monde doit connaître le droit, ou il n'y a point de droit (312).....» etc., etc.

<< le contempler dans la surface du lac où se réfléchit « son image. »>

3o Et l'école naturaliste, qui cherche le juste dans l'étude des rapports de tous les êtres;

4. Et l'école historique, qui croit à la tradition; 5o Et les écoles psychologiques, qui cherchent le juste dans l'analyse de l'âme humaine 1....

Tel est le premier courant d'idées que nous trouvons dans l'ouvrage de M. Jules Simon.

[ocr errors]

Mais un autre courant vient lutter en sens inverse. Sans y faire attention, l'auteur laisse échapper cette phrase: « SE TROMPER SUR LE DROIT, n'est-ce pas en« core croire au droit?» Il contredit ainsi, par une hypothèse qui devrait lui paraître IMPOSSIBLE, la faculté, attribuée par lui à la conscience, de ne se tromper jamais. Nous ne nous étonnons de cette conpas tradiction. La nécessité de raisonner devait presser de son irrésistible étreinte le savant philosophe. Aussi il veut pour elle un aliment. « Il y a une science, « dit-il, des grands principes de la morale. » Ainsi il reparaît dans nos rangs. Dieu soit loué! nous aurions trop déploré son absence. Et il reparaît, apportant cette excellente formule que nous signons des deux mains: «Toute science commence par un « acte de foi. Être philosophe, c'est croire à la puis«sance de la raison, et s'efforcer, par le moyen de la << raison, de sonder le reste 3. »

Mais comment ces deux courants d'idées vont-ils

Le Devoir, part. III, chap. III.

2 Page 402.

3 Page 318,

faire confluent? Qu'est-ce donc que cette science qui veut savoir, distincte d'une conscience qui sait tout? \\ nous est impossible de résoudre ce problème. M. Jules Simon arrive-t-il, sur ce point, à l'unité d'une doctrine nette? Tantôt il confond entièrement cette science avec la logique ou l'éloquence, quand il écrit : « La <<< morale est l'art d'interroger la conscience morale, et << d'exprimer clairement les réponses de l'oracle'. » Tantôt il lui donne une mission un peu plus déterminée, «< celle de former seulement un cadre, « en évitant de descendre aux circonstances particulières 2. »

La pensée de M. Jules Simon nous paraît celle-ci : La science morale ne doit être que la science du classement des vérités données sans ordre par la conscience. Ce classement est utile. Quand il est fait, la mémoire vient en aide à la conscience, trop souvent troublée; elle lui rappelle, plus aisément et plus vite, ce qui doit la guider. Qu'on me passe cette expression, la science est le bibliothécaire au service de la conscience.

[ocr errors]

Mais la règle à tracer à ce bibliothécaire, c'est le conseil d'un spirituel diplomate: « Point de zele! » Qu'il dresse des compartiments, soit. Mais qu'il n'y range pas les volumes! Un ordre minutieux serait coupable. L'inspiration de la conscience se réserve les circonstances particulières. Si la science descendait à ces circonstances, elle tomberait dans la

1 Page 421.

2 Page 406.

casuistique. Or, il y a une mesure difficile à garder entre la théorie pure et la casuistique1.»- La casuisque! ce mot excite la colère de M. J. Simon. Il faut voir avec quelle inflexible rigueur, saisissant le fouet dont Jésus s'est servi pour chasser les vendeurs du temple, il frappe à coups redoublés sur les algébristes de l'âme humaine, sur les sacriléges qui osent faire des ouvrages de casuistique! Quoi! même en supposant, par hypothèse, ces ouvrages complets et exacts?... Oui, lecteur, même complets et exacts, l'auteur ne les accepterait pas! Complets et exacts, ils sont criminels, « parce qu'ils rendent la conscience inutile..... la dépravent..... la garrottent..... l'étouffent..... la font abdiquer..... la remplacent par un mécanisme..... » En vérité, j'en ai peur, Jésus lui-même doit sortir du temple: qu'est-ce que telle ou telle de ses admirables paraboles, sinon la solution de tel ou tel cas de conscience?

Jugez maintenant, lecteur, si nous avons eu tort d'affirmer que l'horreur d'Épicure et d'Escobar a entraîné trop loin l'intègre et élégant écrivain. Dites-le moi, je vous prie? Qu'est-ce que cette science qui n'a, d'une part rien à découvrir, et d'autre part rien à appliquer? Ebauche condamnée à rester ébauche! Nouvelle Cassandre dont la conscience se moque! Scribe sans initiative, transcrivant, sous la dictée du maître, je ne sais quels jugements sur des feuilles frustratoires, que le maître jettera au vent dès qu'il s'agira d'en tirer les conséquences! Plus semblable

1 Page 407.

encore, en vérité, au criminel d'État que les sultans font étrangler entre deux portes!!

350. La vérité (il faut la reconnaître de bonne grâce), c'est qu'un homme qui exclut le raisonnement des « sciences morales, et qui ne prend pour juge que le << sentiment intime, ne reconnaît aucune autorité à <<< laquelle il soit possible d'en appeler en cas de dis<<< cussion 2. ».

La vérité, c'est que si l'opinion vague qui flotte ou plutôt qui dort dans un grand nombre d'esprits doit être admise, si la conscience donne à tous les indivi

1 M. Simon fait son offrande à cette science si timide. C'est l'objet de la quatrième partie de son traité, intitulée l'Action. Cette offrande contient de belles pages sur l'amour envers Dieu, et d'énergiques réfutations de certains préjugés ayant cours. L'auteur fait justice complète de cette phrase coupable, qu'on va répétant: « Je ne fais de tort qu'à moi-même. » Nos devoirs envers nous-mêmes sont des devoirs envers autrui, et il nous est défendu, dit-il fort bien, d'attenter à l'ordre universel en nous. (Page 430 et suiv.) Il réfute, avec non moins de vigueur, cette autre complaisante erreur de l'égoïsme se contenter de ne pas nuire à autrui. A côté de l'obligation de ne pas nuire, il place avec raison l'obligation active de faire du bien à autrui. Au développement de ces grandes vérités, l'auteur ajoute une explication, qui pourrait être plus nette, des éléments de l'imputabilité; une discussion, qui laisse à désirer, de la question de l'existence des actions indifférentes; une analyse des mobiles de l'obéissance morale.

Pour nous, nous avons cru devoir placer tout cela dans la conscience. Restent donc seulement, dans cette quatrième partie, comme tribut apporté à la science, quelques essais de théories sur la légitime défense, la guerre et la peine de mort. Nous ne mentionnons pas (nous voyons le lecteur sourire du pédantisme de cette observation) quelques excursions peu heureuses sur l'exégèse des articles 716 et 1142 du Code Napoléon.

M. Jules Simon est trop ami de la vérité pour ne pas voir l'accomplissement d'un devoir dans notre désir d'établir un système plus fécond. C'est à lui-même que nous demanderons si la quatrième partie de son ouvrage est à la hauteur des précédentes? si elle contient vraiment un aperçu de la science du devoir? si, dans sa crainte de commettre un crime de lèseconscience, il n'a pas en réalité fini cette partie avant de l'avoir commencée ?

[blocks in formation]
« VorigeDoorgaan »