de compléter les dénombrements qu'on en a présentés jusqu'à ce jour.

60. D'après ce qui précède, on voit pourquoi les idées nécessaires prennent le nom d'idées premières, bien que, dans l'ordre chronologique, elles n'apparaissent qu'au second rang, après que les idées venues de la sensation les ont réveillées.-C'est d'abord parce qu'elles ont l'avantage par l'importance: en effet c'est sur elles seulement que l'intelligence peut édifier des jugements. C'est ensuite parce qu'elles sont indéfinissables, faute de rencontrer au dessus d'elles aucune idée supérieure dont elles puissent être présentées comme des subdivisions.

61. Avec Leibnitz, avec Reid, avec Kant, admettons deux modes d'acquisition des idées la sensation et les formes de l'intelligence. Inclinons-nous devant l'observation attentive qui constate leur présence, et suivant le conseil de Platon, élevons-nous vers Dieu sur les deux ailes qu'il nous a données.

TITRE II.

CLASSEMENT DE L'IDÉE DU DEVOIR PARMI LES IDÉES
NÉCESSAIRES.

62. N'admet-on qu'une seule manière d'acquérir les idées, la sensation? Il faudra en faire sortir l'idée du devoir, ou nier cette idée elle-même. Admet-on deux manières, la sensation et les formes mêmes de l'intelligence humaine? Le débat s'ouvrira entre toutes deux pour se disputer l'idée du devoir.

63. Le jugement du débat sera facile. — Rappelons-nous que nous avons placé parmi les idées nécessaires l'idée de cause. Or l'idée de cause prend deux qualifications, selon qu'elle agit sur des êtres libres ou non libres.

64. On appelle cause matérielle, cause efficiente, cause proprement dite, la cause qui pousse fatalement un sujet non libre vers un effet inévitable.On appelle cause impulsive ou cause finale, la per

spective d'un but souhaitable, invitant, sans le contraindre, un être libre à tendre vers ce but.

65. Entre une cause et son effet éloigné se placent des causes intermédiaires servant de passage de l'un à l'autre, comme les points-milieu d'une ligne tracent le passage du premier au dernier point de cette ligne. Considérée dans cette place subordonnée, la cause prend le nom de moyen.

Cela posé, qu'est-ce que l'idée du devoir? C'est l'idée de la direction donnée à la volonté d'un être libre. Qu'est-ce que l'idée de cette direction? C'est l'idée du moyen qu'un être libre a d'arriver à un but souhaitable, dont la perspective lui est montrée comme cause impulsive ou finale 1.

Conclusion: l'idée du devoir, idée de cause et de moyen, est nécessaire.

66. En conséquence l'idée du devoir se manifeste, comme toute idée nécessaire, dans les formes mêmes de l'intelligence. C'est là que, comme les idées de substance, d'espace, de durée, elle a pour mission de n'apparaître qu'à l'occasion de la sensation, mais d'apparaître toujours présente à l'occasion de toute sensation. Si vous êtes un être libre, en prenant ce livre, vous vous êtes dit, lecteur : Fais-je bien? fais-je mal? A chaque emploi de ses organes, par une loi

Remplir le devoir, c'est «nous proposer une fin conforme à notre nature, puis diriger convenablement à cette fin principale nos propres actions. » (PUFFENDORFF, Droit de la nature et des gens, liv. II, chap, iv). << Tout homme qui pèche s'égare et s'éloigne de son but. » (MARC-AURÈLE). L'idée du devoir à accomplir est constamment exprimée dans le Coran, par la métaphore du chemin droit à suivre. (Voyez notamment ch. 11, vers. 152, 154, 245, 274; ch. iv, verset 70; ch, vi, vers. 70, 150, 154, 162, etc., etc.)

inévitable, chacun s'en dit autant. Impossible de chercher le mouvement ou de rester dans l'inertie, de tendre à l'idéal ou de s'absorber dans le positif, impossible de vivre ou de mourir, sans que la question du juste et de l'injuste soit là. De même que nous ne pouvons concevoir que quelque chose a été fait, sans nous demander: Qui l'a fait? quand l'a-t-on fait? où l'a-t-on fait? nous ne pouvons le concevoir sans nous demander: L'a-t-on fait justement ou injuste

ment?

67. Jusqu'à présent, nos regards ont aperçu seulement le domaine des idées. Spectateurs attentifs, nous avons vu, sur ce théâtre commode, d'innombrables combinaisons se succéder pour l'amusement de notre intelligence. Nous avons reconnu qu'un génie bienfaisant nous a du moins envoyé les rêves les plus variés.

Mais sous ces rêves de corps et d'esprits, y a-t-il existence réelle des corps et des esprits?

Sous l'idée du devoir, notamment, y a-t-il existence réelle du devoir?