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refuge aux malades. Tous les arbres furent coupés aux environs de la place. On fit à la hâte des boulevards en terre devant la porte Saint-Nicolas et la poterne Saint-Jean. On plaça de l'artillerie sur les tours; on amena dans la ville du bois coupé à Saurupt ou dans la forêt de Haye1. Il semble pourtant qu'on ait négligé de faire des provisions de vivres ; et un malheur rendit cette négligence plus funeste. Chaque jour les habitants de Nancy, qui étaient en somme encore à cette époque de véritables ruraux, envoyaient leurs bêtes rouges' paître hors des remparts, sous la conduite du herdier communal. Le 20 octobre, le comte de Campo-Basso, devenu depuis quelques jours gouverneur de Rosières, surprit ce troupeau près de la léproserie de la Madeleine et s'en empara 3. C'était là une grosse perte pour une ville qui allait être assiégée. Les Nancéiens s'en consolèrent en faisant eux aussi quelques prises. Ils se mirent un jour en embuscade près du moulin de Lemoncourt +, non loin de Nomeny, sachant qu'une bande d'Anglais au service de la Bourgogne devait passer par là; ils firent environ 100 ou 120 prisonniers. Un autre jour, ils apprirent que l'archidiacre de Cologne, Georges Hessler, le futur évêque-cardinal de Liège, devait passer près de la Commanderie de Cuite-Fève, entre Rosières et Saint-Nicolas. Il allait au nom de l'Empereur rejoindre le Téméraire pour convertir en paix définitive la trêve du 12 juin signée à Neuss. On tomba sur l'homme d'église et on le fit prisonnier, lui et ses vingt chevaux. Mais il fit de grandes protestations pacifiques et les Lorrains finirent par le laisser passer. « En se despartant, remercya toute la bande; por leur payement, la bénédiction, le signe de la croix leur donna". »

Quand, le 24 octobre, le Téméraire parut devant Nancy, il n'avait peut-être pas l'intention de commencer immédiatement un siège en règle. Il avait avec lui peu d'artillerie, 12 serpentines seulement 7. Mais ce jour-là la garnison fit une sortie, et les Alsaciens furent repoussés vers les remparts. Malgré la vigueur qu'ils montrèrent, Charles se rendit maître des deux faubourgs de SaintThiébaut et de Saint-Nicolas. Il résolut dès lors d'y demeurer et de commencer les approches. Il fit dire au bâtard de Lorraine qu'à la suite de son agression, il ne pouvait plus être compris dans la trêve de Soleuvre. Désormais, la lutte était déclarée entre la Bourgogne et la Lorraine. Singulier reproche fait à un

1. Chronique de Lorraine, pp. 164 et 177.

2. On entendait par là les vaches et le gros troupeau, en opposition avec les bêtes blanches, moutons et petit troupeau.

3. Chronique de Lorraine, p. 175. La date du 20 octobre est donnée par cette chronique; mais elle pourrait bien ne pas être tout à fait exacte.

4. Lemoncourt, autrefois canton de Delme, auj. Alsace-Lorraine. Nous acceptons la correction proposée par l'abbé MARCHAL.

5. Il était né à Würtzbourg en Bavière. Il sera créé par Sixte IV cardinal-prêtre du titre de SainteLucie le 10 décembre 1477, et nommé évêque de Liège. C'était le négociateur ordinaire de Frédéric III. Il perit en 1482 dans un naufrage sur le Danube. Cf. CONTELORIUS, Pars altera Elenchi S.-R.-E. cardinalium ab anno 1430 ad annum 1659. Romæ, 1659, p. 72. La Chronique de Lorraine l'appelle par anticipation cardinal liégeois.

6. Chronique de Lorraine, p. 176.
7. MOLINET, Chronique, t. I, p. 174.

EXPLOITS DE NICOLAS DES GRANDS-MOULINS.

405 guerrier qui, attaqué, se défend'! Charles prévoyait du reste que le siège serait long, fertile en incidents. Cette journée même du 24 octobre avait été marquée par un curieux épisode. Un Italien, au service de la Bourgogne, avait fait prisonnier un Alsacien de la garnison de Nancy. Deux Picards veulent lui disputer cette proie; et, tandis qu'ils s'injurient, l'Alsacien, fort et vigoureux, charge tout d'un coup l'Italien sur ses épaules, et, à la stupéfaction générale, réussit à gagner Nancy avec son fardeau2.

Le lendemain 25, Charles assit son camp autour de la ville. Il était descendu des hauteurs de Villers et de Laxou, et c'est de ce côté qu'il établit sa tente, près de la Commanderie Saint-Jean dont la vieille tour subsiste encore. Ses troupes s'installèrent dans les ruines des deux faubourgs de SaintThiébaut et de Saint-Nicolas, et enserrèrent toute la ville. Puis, elles commencèrent leurs lignes de circonvallation. Le travail des tranchées dura moins de huit jours 3. Peut-être la garnison eût-elle pu davantage l'empêcher. Sans doute, les Gascons et les Alsaciens quittèrent souvent les remparts et allèrent provoquer les Bourguignons, soit d'un côté de la cité, soit de l'autre. Mais ce n'étaient là que des escarmouches isolées; il n'y eut point de sortie d'ensemble. Le duc put établir ses troupes à son aise et recevoir du Luxembourg l'artillerie qui lui manquait. Cependant, au moins l'artillerie de Nancy ne cessait de tirer et faisait aux Bourguignons beaucoup de mal. « Maints en blessent et en tuent que en Flandres oncques ne retourneront », dit l'auteur de la Chronique lorraine. Surtout l'artillerie placée sur la grande tour en face de la Commanderie Saint-Jean faisait rage. Là se distinguait le fameux Nicolas, des Grands-Moulins. Quand le feu cessait, il chantait de joyeux refrains, en s'accompagnant de ses castagnettes, et les Bourguignons eux-mêmes s'arrêtaient à l'écouter. Le soir souvent, ils l'appelaient : « Hé, le chanteur, viens nous dire ta chanson! » Et Nicolas ne se faisait pas prier; il se mettait à une fenêtre de la tour et commençait son refrain et son jeu de castagnettes. Aussitôt on tirait sur lui des flèches nombreuses; mais jamais on ne put l'atteindre. Elles restaient accrochées au mur ou tombaient inertes. On les ramassait le lendemain et on en formait des faisceaux. Le bombardier strasbourgeois, Jacquet d'Ay, qui parlait mal le français, avec un fort accent, proposait alors de les porter à Monsieur sainct Bachet; il voulait dire «< saint Sébastien », le saint qui avait été martyrisé à coups de flèches; mais cette mauvaise prononciation faisait beaucoup rire ses camarades welches 4. Les Bourguignons arrivèrent pourtant à dresser contre la grande tour un courtois,

1. « Pour response à ce que le duc avoit mandé à ceux de Nancy, le bastard de Lorraine envoya quatre gentilshommes allemans vers mondit seigneur, pour faire leurs excuses. » (MOLINET, t. I, p. 176.) On devine pourquoi le chroniqueur insiste. Molinet cherche à excuser le duc de Bourgogne d'avoir conquis la Lorraine, malgré la trève de Soleuvre.

2. MOLINET, Chroniqne, t. I, p. 175.

3. Chronique de Lorraine, p. 177.

4. Tous ces détails donnés par la Chronique de Lorraine, p. 178. Sébastien se dit en alsacien Baschtian. Sur Jacquet d'Ay, voir LEPAGE, Commentaires, p. 32.

espèce de bombarde qui lançait des pierres « grosses comme le rond d'un chapeau' ». La tour était fortement ébranlée; une large brèche y fut faite et déjà les assiégés avaient pris des précautions pour que la partie supérieure, si elle devait être abattue, tombât du moins dans l'intérieur de la ville et ne comblât pas le fossé. A ce moment, l'auteur de la Chronique de Lorraine monta en haut, à la lanterne de la tour,; il indiqua très bien au bombardier Jacquet la direction du courtois ; celui-ci tira et le courtois fut démonté; selon l'expression amusante de Nicolas Remi2, « la coiffe du chapeau » fut rasée; et tous les soldats à l'entour furent tués. La grande tour était sauvée. L'historien suisse Knebel lui-même a consigné dans sa chronique le souvenir de cet exploit3.

Les Bourguignons pourtant se croyaient sûrs de la victoire. De jour en jour ils rapprochaient leurs tranchées de la ville elles touchaient maintenant presque les fossés. Sur elles, ils plantaient de grands panons ou drapeaux et, imitant l'un des jurons favoris de leur maître, ils criaient aux gens de la ville : << Par les cinq plaies du Christ, nous vous prendrons demain et vous serez tous pendus. » Les assiégés, sans se laisser émouvoir, tiraient sur ces drapeaux et y faisaient des ouvertures « pour passer un bœuf ». Les ennemis dès lors enrageaient et retiraient leurs drapeaux au fond de la tranchée*.

Mais il était bien certain que tôt ou tard ils arriveraient à bout de cette résistance. La Lorraine était entièrement occupée par eux et ils n'avaient à craindre nulle diversion d'aucun côté. Ils recevaient journellement des renforts du Luxembourg ou de la Franche-Comté; l'évêque de Metz, Georges de Bade, encore qu'on ne lui eût pas rendu Épinal, leur procurait des vivres et des munitions. Les Bourguignons vivaient ainsi dans l'abondance et souvent même quittaient le camp pour faire quelque orgie à SaintNicolas. Charles, de son côté, donnait de grandes fêtes. Le prince de Tarente se trouvait toujours auprès de lui; à son armée étaient les ambassadeurs de Juliers, de l'électeur palatin, de Naples, d'Aragon, de Venise, de Milan, et les relations que l'envoyé milanais Panigarola envoyait à son maître, GaléasMarie, tout dévoué aux intérêts bourguignons, sont devenues d'importants documents historiques. Le 1 novembre, arriva, au nom du pape Sixte IV, le légat Alexandre de Forli, chargé d'aplanir les dernières difficultés entre

1. Chronique de Lorraine, p. 178.

2. Discours des choses advenues, p. 29.

3. Dans les Basler Chroniken, t. II, pp. 310-311. Seulement, KNEBEL se figure que sur une machine nommée Katzen se trouvaient de nombreuses bombardes. Les autres détails qu'ajoute KNEBEL, p. 313, sur une colline rasée par le Téméraire, sur une vigoureuse sortie qui aurait suivi la démolition du courtois, me paraissent légendaires. Je ne sais pas non plus s'il faut ajouter foi au récit d'une sortie qu'auraient faite les assiégés le 10 novembre. (Ibid., p. 316.) Les Nancéiens, dit-il, cachèrent dans un bois, à petite distance de la ville, 300 bombardiers. Puis 400 hommes attaquèrent de front le camp du Bourguignon. Ils firent semblant de fuir, attirèrent l'ennemi sur ce bois et les bombardiers tuèrent un très grand nombre d'entre eux.

4. Tous ces détails dans la Chronique de Lorraine, p. 179.

5. Tous ces personnages indiqués dans les Itinéraires.

6. DE GINGINS LA SARRA, Dépêches des ambassadeurs milanais sur les campagnes de Charles le Hardi, Cf. la lettre datée ex castris contra Nansı, t. I, p. 252.

LE CONNÉTABLE DE SAINT-PAUL LIVRÉ A LOUIS XI.

407 le duc de Bourgogne et l'Empereur; avec lui était Georges Hessler, le futur cardinal de Liège, qui, comme nous l'avons vu plus haut, avait échappé quelque temps auparavant des mains des Lorrains. Ils s'y rencontrèrent avec un envoyé du roi de France, le seigneur de Saint-Pierre'. Charles le Téméraire régala et défraya tout ce monde, étalant un grand luxe au milieu des tranchées et des horreurs de la guerre. Sa tente était ornée de toiles brochées d'or et de somptueuses tapisseries 2. Aux festins succédaient les louches négociations, dont le résultat fut l'abandon complet des Lorrains. Le 17 novembre, «< in felicibus castris contra Nanceium », la trêve signée devant Neuss entre l'Empereur et la Bourgogne fut changée en paix définitive3, et Frédéric III passait entièrement sous silence le duc René II. Sous la médiation de l'Empereur, le duc de Bourgogne engageait des négociations avec la Basse-Ligue et la Suisse, qui, à quelque temps de là, devaient conclure une trêve jusqu'au 1er janvier 1476+. Quant à Louis XI, pour satisfaire sa vengeance contre le connétable de Saint-Paul, il consomma l'œuvre d'iniquité. Le 12 novembre, à Savigny-sur-Orge, il dénonça l'alliance entre les Lorrains et les sujets du duc Sigismond comme contraire à la trêve de Soleuvre. Comme les Nancéiens avec ceux de Ferrette ont tiré sur les gens du duc Charles, et même sur le logis du duc; comme, ce faisant, ils ont blessé des gentilshommes de son hôtel, il sera loisible au duc de procéder à l'encontre d'eux « comme à l'encontre d'infracteurs de trêves ». Charles le Téméraire, en échange, renonçait à tous les biens du connétable de Saint-Paul et de nouveau il promettait de livrer le personnage. Il écrivit à son chancelier Hugonet et au sire d'Imbercourt de le conduire à Péronne aux gens du roi, le 24 novembre, si toutefois Nancy ne s'était pas encore rendue'. Il espérait qu'avant cette date la ville aurait succombé, et qu'il pourrait éviter le crime, en manquant à la parole donnée. Mais, Nancy résistant encore le 24 novembre, Louis de Luxembourg fut livré ce jour-là, et, le 19 décembre, il monta, place de Grève, sur l'échafaud et « piteusement termina ses jours7 ». Du sort de Nancy avait dépendu, par une singulière fatalité, le sort du connétable de Saint-Paul, qui autrefois avait jouté en cette ville avec tant de fougue; la défense de Nancy entraîna sa mort.

Cependant, à ce moment, Nancy était à bout de force. Les vivres commençaient à y manquer; bientôt on n'y comptait plus que soixante pains et les grains faisaient entièrement défaut. René II, très découragé de l'abandon de Louis XI, s'était, après l'équipée sur les bords du Madon, retiré à Joinville où

1. MOLINET, Chronique, t. I, p. 176.

2. Wilwolt de Schaumbourg (Bibliotek des literarischen Vereins in Stuttgart, t. IV [1859]) écrit : « Darzu wart ain hoch gestuel aufgerichtet mit costlichen gulden tuechern, tapicerei und ander geschmück behangen und gezürt. »

3. L'acte dans COMMINES, éd. LENGLET DU FRESNOY, t. III, p. 446; CHMEL, Regesta, no 7021.

4. J. DE MÜLLER, Histoire de la Suisse, t. VIII, appendice, p. 491.

5. LENGLET DU FRESNOY, t. III, p. 443.

6. COMMINES, éd. de Mlle DUPONT, t. I, p. 397.

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il passa la fin d'octobre et le mois de novembre. Il espérait toujours que le roi de France le rappellerait et lui donnerait une armée de secours. Mais il attendit en vain. Il ne recevait que de tristes nouvelles, comme la Lorraine était foulée de plus en plus par les Bourguignons, comme la misère devenait de jour en jour plus grande à Nancy. Il fut ému de compassion, et il envoya un messager secret dans la ville avec une lettre permettant de traiter. Il remercia ses fidèles sujets des sacrifices qu'ils avaient consentis; il ne voulait point leur en demander davantage. Quand la lettre eut été lue au conseil le 25 novembre, le bâtard de Lorraine, dit-on, eût voulu continuer la lutte; mais les habitants et les soldats allemands de la garnison se déclarèrent las de souffrir, et l'on dut engager les négociations'. Le 26, l'on battit la chamade. Charles, heureux de ce résultat, oublia ses serments de tout massacrer et il donna, en somme, à Nancy une capitulation honorable. Il promit de recevoir en amitié les habitants de la ville; il accorda aux étrangers liberté de rester ou de sortir, sans qu'il leur fit tort dans leurs biens; il jura de laisser à la cité ses privilèges et de la régir d'après ses anciennes coutumes. Les soldats étrangers demandèrent à rentrer dans leurs foyers; et, le 27 novembre, 2,200 Alsaciens et 500 Gascons défilèrent sous les yeux de Charles le Téméraire. Les Bourguignons étaient étonnés de les voir en si grand nombre 2.

Après la retraite de la garnison, le Téméraire envoya ses fourriers à Nancy pour y préparer ses logements. Il différa pourtant son entrée solennelle jusqu'au 30 novembre, pour la faire coïncider avec le jour de la Saint-André, patron des Bourguignons. A huit heures du matin, il pénétra en somptueux appareil par la porte de la Craffe. Il était précédé de six trompettes et de cent hommes d'armes. A côté de lui chevauchaient le comte de Nassau, son frère le grand bâtard de Bourgogne, le comte de Chimay, le duc de Clèves, Campo-Basso, Jean de Rubempré, seigneur de Bièvres, la fine fleur de sa noblesse. Il était revêtu d'un costume magnifique; sur sa tête il portait une barrette rouge, surmontée d'une croix d'or et de quatre diamants : « On les prysoit, dit l'auteur de la Chronique de Lorraine, plus qu'une duchié ne vaut3. » Le marquis de Roteln, les baillis de Hainaut et de Brabant fermaient la marche. Le duc vint jusqu'à la collégiale Saint-Georges où il mit pied à terre et où le reçut le prévôt du chapitre, Jean de Haraucourt. Il se prétendit dès lors duc de Lorraine et, suivant la coutume, il jura, après avoir entendu la messe, de «< justement warder le bras séculier, l'estat des nobles et les droicts du peuple ». Il donna ensuite son beau cheval de parade au chapitre, et se rendit au palais, où il trouva « les chambres bien ornées, la cuisine bien apprêtée ». Dans ce palais, il passa tout le mois de décembre 1475, gouvernant à

1. La Chronique de Lorraine elle-même fait ces réflexions.

2. Les écrivains suisses ne parlent de cette prise de Nancy qu'en passant. (DIEBOLD SCHILLING [de Berne], éd. TOBLER, pp. 336 et 338.)

3. Chronique de Lorraine, p. 182. Wilwolt de Schaumbourg (Bibliotek des literarischen Vereins in Stuttgart, t. IV [1859]) parle de la richesse de ce couvre-chef: « Satzt auf sein Haupt das erzherzogenhüttlein, was oben mit einem creuz beschlossen und uber 100 tausend gulden wert geschätzt. »>

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