portait au sommet l'écu de Lorraine, on lisait cette inscription en lettres gothiques: L'an mil Ve et ung, tesmoing ce codicile, Qu'on ne le pourroit dire ou par escrit couchier. L'on tient René pour mort; en ce disant, langue erre; O Dieu doulx et clement! saulve son esperit; Prince qui Dieu seul craint à jamais ne périt; Sire doncq, qui les preulx nudz de vice au ciel armes 2, Cette colonne, que reproduisent les anciennes gravures, fut démolie sous la Révolution et n'a jamais été rétablie. Le pont de Malzéville fut souvent modifié au XIXe siècle; les parties en bois disparurent entièrement, et naguère encore, avec sa courbe gracieuse et ses parapets en maçonnerie, il présentait un aspect fort pittoresque. Mais, quand en 1890 un tramway à chevaux, remplacé depuis par un tramway électrique, unit Malzéville à Nancy, le tablier du pont fut aplani et élargi, et l'ancien parapet remplacé par un grillage. Tandis que René II faisait faire ces constructions au nord de Nancy, d'autres s'élevèrent du côté sud. La petite chapelle Saint-Thiébaut, qui avait été entièrement ruinée pendant les guerres bourguignonnes, fut rétablie en 1481 par les soins de la duchesse Yolande, mère de René II+; elle s'élevait à côté de la fontaine minérale dont les eaux ont souvent procuré quelque soulagement aux personnes malades; mais, quand on construisit les remparts de la Ville-Neuve, le bastion Saint-Thiébaut engloba le terrain de l'antique chapelle; sur le terre-plein du nouveau bastion, Elisée de Haraucourt, gouververneur de Nancy, en bâtit une autre là où en 1734 se dressa l'hôpital militaires. Ainsi, à la fin du règne de René II, de nombreux travaux furent faits à Nancy et dans le voisinage. Pour diriger toutes les constructions publiques, pour surveiller celles des particuliers, le conseil de ville nomma « un maître 1. Le sens du vers est : Tant René eut reçu cher le bien public du pays; le bien public du pays lui était tellement cher. 2. Le sens du vers est: ô Dieu, qui armes dans le ciel les preux qui sont exempts de vices. 3. Ces vers sont donnés par LIONNOIS, t. I, p. 378, et DURIVAL, t. IV, p. 91. L'une et l'autre édition sont incorrectes. Nous avons rétabli les vers, tant bien que mal, en comparant les deux versions. 4. Le receveur général, dans son compte de 1481-1482, aux A. D., B, 978, dit que cet ouvrage a été fait de l'ordonnance de madame la duchesse»; déjà Jeanne d'Harcourt n'habitait plus près de René II; il ne peut donc s'agir que de Yolande, la duchesse mère. 5. LIONNOIS, t. I, p. 495. REPRÉSENTATION DE MYSTÈRES A NANCY. 675 des œuvres ». Jean de Forge fut le premier architecte municipal, et la cité lui manifesta sa reconnaissance pour ses bons services'. Il est fort probable que nous devons à Jean de Forge le plan du nouveau palais de René II 2. Vers cette époque aussi, les rues de Nancy commencèrent à être pavées. En 1502, les documents mentionnent un « paveur juré » qui surveillait des ouvriers placés sous ses ordres 3. Les rues devinrent plus propres. Déjà, dans l'ordonnance du 12 juin 1497, les commis de la ville avaient reçu l'ordre de faire courir, trois fois par semaine, au-devant des maisons, le ruisseau venant de Boudonville, et le prévôt devait faire nettoyer chaque semaine <«< où il verra la plus grande nécessité; et au cas que le dict prevost ne le vouldra faire, les dicts commis y auront regard et le feront faire 4 ». Louis XI venait de créer en France les postes; en l'année 1504-1505, René II institua à Nancy deux messagers, Jacquemin d'Amance et Didier de Nomeny, qui devaient tenir des chevaux prêts à partir au premier signal. Il leur fit verser sur les comptes du cellérier 2 florins d'or et 12 résaux d'avoines. Ces messagers du duc pouvaient à la rigueur se charger des commissions des particuliers. En 1517, leur nombre fut porté à cinq‘. C'est après la victoire de René II que Nancy eut, à peu près régulièrement chaque année, des représentations dramatiques. Depuis assez longtemps, des mystères étaient joués à Metz. En 1412, on y donnait l'Apocalypse de saint Jean; en 1420, le jeu de Saint-Vit; en 1425, celui de Saint-Victor; en 1434, celui de Sainte-Catherine; puis la Passion de Notre-Seigneur JésusChrist, qui, en 1437, eut le plus grand succès. Les habitants de Nancy allaient sans doute à la ville voisine pour goûter les émotions du théâtre; longtemps ils n'eurent point de représentation chez eux, ou du moins on n'en trouve nulle trace. En 1474 enfin, on voit René II disposer de certaines sommes pour des joutes à Nancy et « une moralité jouée en notre présence le jour de Karême prenant ». La moralité était une pièce beaucoup plus simple à monter que le mystère, et ce n'est qu'en 1478, après la défaite du Téméraire, que les mystères font leur apparition en Lorraine. On donne cette année-là à Saint-Nicolas-de-Port « le jeu et feste du glorieux sainct Nicolas », qui dure cinq jours entiers. Le duc René II a fait les 8 1. Comptes du receveur général de 1480-1481, A. D., B, 977. Meurthe, t. II, p. 121. 2. LEPAGE, Le Palais ducal, p. 19. -- - Cf. LEPAGE, Les Communes de la 3. LEPAGE, Les Archives de Nancy, t. I, p. 101. En 1505-1506, le paveur de la ville s'appelle Nicolas Contelesse. A. D., B, 7575. 4. L'ordonnance publiée par LIONNOIS, t. II, p. 53. 5. A. D., B, 7575. Ces messagers sont confirmés en 1506-1507. B, 7576. 6. LEPAGE, Les Communes de la Meurthe, t. II, p. 134. 7. Les Chroniques de Metz, éd. HUGUENIN. PETIT DE JULLEVILLE, Les Mystères, t. II, p. 629 (quelques dates fausses); H. LEPAGE, Études sur le théâtre en Lorraine et Pierre Gringore dans les M. A. S., 1848, p. 198. 8. A. D., B, 1. 9. Comptes de 1477-1478. A. D., B, 974. frais, et probablement il a voulu acquitter une dette de reconnaissance envers le saint si populaire en Lorraine et envers la ville d'où il était parti avant la grande bataille. L'année suivante, en 1479, il fait venir à Nancy les « galans sans souci », qui jouent une sotie1. Ce sont des artistes de Paris en tournée à la petite cour, qui est, après tout, une cour provinciale. En 1484-1485 on donne à Nancy le jeu de Saint-Georges et à quelque temps de là, en 1487, un riche particulier de la ville fait de nouveau représenter cette pièce à ses frais 3. La même année, le duc offre un mystère à Saint-Nicolas-de-Port *. En 1495-1496, en 1496-1497, nous voyons le cellérier de Nancy faire des dépenses pour dresser des échafaudages en vue d'un spectacle 5. Ces mentions très courtes nous prouvent que, depuis 1478, presque aucune année ne devait s'écouler sans que le peuple fût convoqué à quelque solennel mystère dont il fournissait les acteurs, ou, du moins, sans que des acteurs de profession jouassent à la cour une joyeuse sotie ou une moralité. 8 René II offrit aux Nancéiens des spectacles d'un autre genre. Il aimait les animaux féroces. En une partie de son palais, il entretenait une véritable ménagerie où se trouvaient des cerfs, un léopard, des lions 6. Dans les comptes, un chapitre de dépense spécial est ouvert « pour le norissement des lyons de l'ostel de Monseigneur, et gaiges du lyonnier », et nous savons que ce lionnier s'appelle Antoine 7. Ces animaux devaient servir à des combats publics; en 1487-1488, on mentionne la prise d' « ung sangle vif (sanglier) à faire combattre les lions », et, en mars 1489, le comptable signale une dépense « pour l'achapt d'un thoreau qui a esté acheté par ordonnance de Monseigneur » et destiné à entrer dans la lice contre les fauves 9. Ainsi, à côté des mystères qui rappelaient les scènes de la vie du Christ ou les morts glorieuses des martyrs, à côté des soties qui corrigeaient l'homme en le faisant rire, se donnaient de sanglantes représentations du cirque; et je m'imagine que les dernières étaient attendues avec plus d'impatience que les premières et mettaient aux joues des spectateurs une fièvre plus ardente. 1. A. D., B, 1; LEPAGE, Études sur le théâtre en Lorraine dans les M. A. S., 1848, p. 205. 2. A. D., B, 7557. 3. Chronique de Lorraine, p. 315. 4. Comptes de 1487-1488. A. D., B, 986. 5. A. D., B, 7566 et 7567; LEPAGE, l. l., p. 209. 6. LEPAGE, Le Palais ducal, p. 25. 7. A. D., B, 7558, f 108 et 109. Cf. E. DUVERNOY, Notes sur le palais ducal aux XV® et XVI© siècles dans le J. S. A. L., 1898, p. 88. 8. A. D., B, 7559. On a payé à Baschier, grand veneur, cinq livres douze sols pour le vin de ceux qui ont pris ce sanglier. 9. DUVERNOY, ibid. Cf. LEPAGE, l. l., p. 207, n. |