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Combien graves et terribles étaient les déchéances alors encourues par ce malheureux captif. Il était déchu de tous ses droits; la loi romaine elle-même le déclarait esclave, servus hostium, le frappait avec une rigueur incompréhensible dans tout ce qu'il avait et de plus précieux et de plus cher. Son mariage était dissous; ses droits de puissance paternelle (Instit., 1, 12, § 5), de tutelle (Instit., I, 20, 2), ses biens (Instit., 3, 10, § 1) lui étaient ravis; son testament était annulé (Instit., 2, 12, § 5); il était incapable de recevoir par succession, legs ou fidéicommis..... En un mot, sa personnalité juridique disparaissait complètement le Romain captif devenait chose.

L'égoïsme et l'orgueil dictaient à Rome une pareille sévérité; elle ne voulait pas, sans doute, qu'une nation ennemie pût se vanter d'avoir, parmi ses esclaves, un homme portant le titre de citoyen romain. Aussi, vaincre ou mourir, telle était l'alternative dans laquelle cette nation plaçait ses enfants qui combattaient alors, poussés par leur patriotisme et par leur intérêt, non seulement. pour assurer à leur patrie de nouvelles conquêtes, mais aussi pour sauvegarder leurs biens, leurs droits, leur liberté.

A de pareilles mesures, qui de nos jours paraissent dures et barbares, la législation romaine avait de bonne heure apporté un tempérament, tempérament qui paraît d'ailleurs avoir été accepté par tous les peuples anciens,

et dont voici le champ d'application. Un prisonnier, trompant la surveillance de ses nouveaux maîtres, s'évadait et parvenait à revenir à Rome : d'après le droit commun, le premier citoyen romain qui mettait la main sur le fugitif devenait son maître, puisque la captivité, de ce Romain avait fait un esclave, une chose, susceptible en cette qualité d'appartenir au premier occupant. N'était-ce pas odieux? Un objet mobilier quelconque tombé entre les mains de l'ennemi venait à lui être repris; devait-il encore appartenir au premier occupant? Assurément, en droit commun les droits, sur cet objet, du propriétaire romain antérieur, s'étaient en effet évanouis lors de l'occupation ennemie. C'est pour tempérer ce que de pareils résultats pouvaient avoir d'injuste, que la fiction, appelée jus postliminii, fut admise en faveur de certaines personnes et à l'égard de certains objets.

Du reste, l'idée du postliminium se résume ainsi : faire revivre, dans la personne du captif qui regagne la frontière de la patrie, les droits dont la captivité l'a privé : en d'autres termes et plus généralement, effacer pour les droits actifs comme pour les droits passifs, pour les personnes comme pour les choses, tous les effets du temps passé en captivité, lorsque cette captivité vient à cesser. L'idée du postliminium fut certainement le fruit d'un sentiment de compassion envers ceux qui avaient combattu pour la gloire de Rome; mais une pareille

générosité, si réelle dans une certaine mesure pour ceux qui en bénéficiaient, avait aussi pour but de favoriser les intérêts nationaux. Les Romains, en effet, avaient autant d'ardeur à briser leurs fers, lorsqu'ils étaient apud hostes, qu'à se bien battre, quand ils étaient in civitate. Quoi qu'il en soit, cette fiction, en vertu de laquelle le prisonnier qui revenait à Rome ou la chose qui était reprise à l'ennemi étaient censés n'avoir jamais été au pouvoir de ce dernier, constituait une grande faveur et pour les captifs et pour les propriétaires des choses captives; mais au point de vue de la vérité philosophique du droit, elle n'était que le palliatif insuffisant de déchéances graves que le droit pur ne saurait admettre. Il y avait mieux à faire, en justice il fallait ne pas sanctionner, dans le joug de l'ennemi sur les personnes et sur les choses, cette source de déchéances que le postliminium avait pour mission d'effacer. Le parti était non seulement plus vrai en philosophie et en droit, mais aussi plus en rapport avec la dignité de l'Empire romain et surtout plus respectueux des droits que donne la liberté.

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Les Romains consacrèrent là une erreur, que les idées auxquelles leur temps les portait ne devaient pas détruire; iis ne comprirent jamais que l'état de servitude, dans lequel était réduit l'homme libre fait prisonnier de guerre, n'était incompatible avec les droits du citoyen libre, qu'au point de vue de la nation qui retenait le captif sous sa

domination, et ne devait pas l'être à l'égard de la nation. romaine qui pouvait ne pas reconnaître la légitimité d'un pareil esclavage.

Mais le postliminium ne remédiait aux effets de l'occupatio bellica que dans le cas où la personne et la chose venaient à briser cette occupation de l'ennemi. Si le prisonnier venait à décéder apud hostes, la fiction n'avait plus d'application possible, partant plus d'efficacité le prisonnier avait en effet subi la grande diminution de tête, il était mort n'ayant plus aucun droit, ni en conséquence celui de laisser des héritiers testamentaires, ni celui de laisser des héritiers ab intestat, car l'esclave n'a pas de famille. Personne ne pouvait se présenter pour recueillir l'hérédité du captif décédé, pas même ses enfants légitimes. Un pareil état de choses violait ouvertement les lois naturelles; aussi, les Romains trouvèrent-ils moyen de modérer la dureté regrettable de cette situation. La loi Cornélia de falsis, qui date de la fin de la République (an de R. 673), punissait les faux en matière de testament: par une disposition spéciale, elle considérait comme punissables les actes commis contre le testament du captif mort apud hostes, bien que ce testament fût, en droit rigoureux, nul sans retour. La loi Cornélia réputait le captif, en ce qui concernait son testament, mort du jour où il avait été pris par l'ennemi, mort en pleine possession, par conséquent, du droit d'avoir un testament. Ce principe fut

généralisé et appliqué aux tutelles et aux hérédités légitimes, puis enfin à toutes les parties du droit : « In >> omnibus partibus juris is qui reversus non est ab » hostibus, quasi tunc decessisse videtur cum captus est » (Ulpien, Reg., 23, S5). Cette règle ainsi formulée est appelée fiction de la loi Cornélia.

Telles sont les deux fictions qui adoucirent à Rome les effets rigoureux de la conquête; chacune d'elles s'appliquait, comme on le voit, à des cas parfaitement distincts. Je me propose de n'étudier que le Postliminium, et j'aborde immédiatement l'étude détaillée de cette fiction. Je diviserai mon travail en quatre chapitres dans le premier, je chercherai l'étymologie du mot postliminium, je le définirai et je me demanderai à quels objets s'applique le droit de retour; dans le deuxième, je dirai dans quelles conditions il se produit; dans le troisième, quels effets il engendre; dans le quatrième, enfin, je parlerai du rachat.

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