BULLETIN. I. ANALYSES CRITIQUES. Histoire de l'expédition de Russie; par M**; avec un atlas, un plan de la bataille de la Moskwa, et une vue du passage du Niémen. - Deux volumes; 1823. La campagne de Moscou, considérée comme événement historique, comme catastrophe politique, sera l'éternel entretien tant des sages que de la multitude dans tous les siècles à venir; tout y est gigantesque, le projet, les moyens, les fautes et le résultat ; c'est la monarchie universelle la plus rapidement formée qui, dans six mois, est dépouillée de sa supériorité; c'est un des plus grands capitaines et jusqu'alors le plus heureux des conquérans, qui, sans avoir perdu de bataille, perd ses moyens de domination, et surtout cette force morale irrésistible, née des prestiges d'une longue série de victoires; que de tableaux pompeux, que de graves leçons, l'histoire et la morale ne tireront-elles pas de ce fonds inépuisable ! Pourtant ce n'est pas de ces considérations générales que nous nous arrêterons, quoiqu'il soit incontestable qu'elles trouveront beaucoup d'alimens nouveaux dans un livre composé en grande partie des lettres inédites de Napoléon lui-même, ou de Berthier, son alter ego pour l'administration militaire, un livre parsemé d'extrails des papiers d'état-major les plus importans et jusqu'ici inaccessibles aux historiens, rédigé enfin, non-seulement TOME XVII. 25 par un témoin oculaire, mais par un officier supérieur, placé de manière à suivre les opérations et les pensées même du général en chef. Ajoutons à tout ceci que M. le marquis de raconte les faits avec impartialité, ne cache pas les fautes énormes des généraux russes, fautes qui auroient dû sauver un homme moins présomptueux que Bonaparte, et ne dissimule pas même ce qu'il y avoit de raisonnable, politiquement et militairement parlant, dans le projet d'envahir un empire immense, il est vrai, mais n'ayant pas alors en réalité les moyens militaires proportionnés à son étendue. Mais parmi les nombreux points de vue sous lesquels M. de ** a mérité l'approbation la plus complète du public éclairé, il en est un qui intéresse particulièrement les géographes, et ce seul point de vue suffit pour nous four-nir matière à un article qui, si nos forces étoient analogues au sujet, pourroit mériter quelque attention. La géographie physique dans toute son étendue, et par conséquent la connoissance du climat, des productions, des moyens de transports, de la nature du sol et de l'état des routes, est indispensable pour l'homme qui doit diriger une armée, surtout des armées aussi colossales que celles dont s'appuie la stratégie actuelle. C'est principalement pour avoir négligé de se procurer de bons renseignemens de ce genre ou pour avoir dédaigné de se servir de ceux qui étoient à sa disposition, que le héros de Marengo, d'Austerlitz et de Jéna est descendu dans la campagne de Russie jusqu'au rang des Xerxès et des Crassus. L'entrée de la Russie, proprement dite, est formée du côté occidental par un terrain sablonneux, argileux ou marécageux que renferment les bassins de la Duna et du Dnieper. Les pierres sont trop rares pour qu'on puisse penser à en paver les rues des villes, encore moins les |