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jugement de la postérité, en les faisant imprimer. Nous avons parlé des comédies de l'art des Italiens, de ces improvisations sous le masque, avec des caractères donnés, des plaisanteries réchauffées, et des événemens qu'on avait vus vingt fois, mais qu'on adaptait bien ou mal à un nouveau cadre. L'école espagnole, qui accompagna et qui suivit Calderon, pouvait à bon droit se comparer à ces comédies de l'art. L'improvisation seulement était produite avec un peu plus de lenteur: au lieu d'attendre l'inspiration sur les planches, l'auteur l'allait chercher par quelques heures de travail de cabinet; il écrivait en vers, mais dans cette mesure cou¬ rante et facile des redondillas qu'il trouvait toujours sous sa plume. D'ailleurs, il ne se donnait pas plus de peine pour observer la vraisem blance, l'histoire, ou les mœurs nationales, que l'auteur des arlequinades italiennes; il ne cherchait pas davantage la nouveauté dans les caractères, les événemens, les plaisanteries; il ne respectait pas plus la morale. Il travaillait à ses comédies, en fabrique, et comme à un métier; il trouvait plus facile et plus lucratif d'en faire une seconde, que de corriger la première; et c'est avec cette négligence et cette précipitation que, sous le règne de Philippe iv, on fit paraître ce déluge inoui de pièces de théâtre, dont on compte, dit-on, plusieurs milliers.

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Les titres, les auteurs, l'histoire de cette foule innombrable de comédies, échappent non-seulement à l'étranger, qui ne peut donner qu'une attention rapide à une littérature qui n'est pas la sienne, mais même aux écrivains espagnols, qui ont apporté le plus de diligence à rassembler tous les titres de gloire de leur pays. Chaque troupe de comédiens avait son répertoire, et s'efforçait d'en conserver la propriété exclusive, tandis que de temps en temps les libraires imprimaient, par spéculation, les pièces qu'ils obtenaient de quelque directeur plutôt que de l'auteur de cette manière se sont faits ces recueils de Comedias varias, que l'on trouve dans les bibliothèques, et qui presque toujours sont imprimés sans correction, sans critique, sans jugement. Les œuvres de chaque auteur n'ont presque jamais été recueillies et publiées séparément; le hasard, plus que le goût du public, en a sauvé quelques-unes d'entre la foule qui a péri; le hasard m'en a fait lire qui ne sont point les mêmes que celles qu'ont lues Boutterwek, Schlegel, Dieze, ou d'autres critiques; aussi tout jugement sur le mérite personnel de chaque auteur devient nécessairement vague et ingertain. On regretterait davantage cette confusion, si le caractère des poètes se peignait mieux dans leurs écrits, s'il était possible d'assigner entre eux des rangs, une différence d'école ou de

principes; mais la ressemblance est si grande, qu'on croirait toutes ces pièces écrites par un même auteur; et si l'une a quelque avantage sur l'autre, il semble qu'elle le doit au sujet plus heureux, au trait d'histoire, à la romance ou à l'intrigue que l'auteur a eu le bonheur de choisir, bien plus qu'au talent avec lequel il les a traités.

Dans les divers recueils du théâtre espagnol, les pièces qui, les premières, ont excité ma curiosité, sont anonymes; ce sont celles qui portent cette désignation, d'un bel Esprit de cette Cour (De un Ingenio de esta Corte). On sait que le roi Philippe IV en donna lui-même plusieurs au théâtre sous ce titre, et l'on doit croire que celles qu'on soupçonnait être de lui, furent plus avidement recherchées que les autres par le public. Un fort bon roi pourrait bien faire de très - mauvaises comédies; Philippe IV, qui n'était rien moins qu'un bon roi ou un homme distingué, avait moins de chance encore pour être poète; il serait néanmoins curieux de voir comment du trône on considère la vie privée, et quelle idée se fait de la société celui qui a vécu toujours au-dessus. Les comédies mêmes qui, sans être du roi, seraient écrites par ses courtisans, ses grands officiers, ses amis, pourraient encore exciter assez de curiosité; mais rien n'est plus vague que le titre de ces pièces ; l'anonyme 14

TOME IV.

peut aisément s'attribuer une grandeur qu'on n'a aucun moyen de soumettre à l'examen; d'ailleurs, les Espagnols étendent souvent le nom de la cour à tout ce qui vit dans la capitale.

Quoi qu'il en soit, c'est parmi ces pièces d'un bel Esprit de la Cour, que j'ai trouvé les comédies espagnoles les plus piquantes. Telle est celle du Diable prédicateur (el Diablo predicador, y mayor contrario amigo), ouvrage d'un dévot de Saint-François et des Capucins. Il suppose que le diable Luzbel a réussi, par ses intrigues, à exciter dans Lucques une animosité extrême contre les capucins; tout le monde leur refuse des aumônes : ils meurent de faim, ils sont réduits aux dernières extrémités, et le premier magistrat de la ville leur donne enfin l'ordre d'en sortir. Mais au moment où Luzbel triomphe de sa victoire, l'enfant Jésus descend sur la terre avec Saint-Michel; et pour punir le diable de son insolence, il l'oblige à revêtir lui-même l'habit de Saint-François, à prêcher dans Lucques pour y détruire le mal qu'il y avait fait, à y faire la quête, à y ranimer la charité, et à ne point quitter la ville ou l'habit de l'ordre, qu'il n'ait fait bâtir dans Lucques un second couvent de l'observance de Saint-François, plus riche et contenant plus de moines que le premier. L'invention est bizarre, et plus encore forsqu'on

voit qu'elle est traitée avec la dévotion la plus vraie, et la foi la plus entière dans les miracles des franciscains; mais l'exécution n'en est que plus plaisante. L'activité du diable, qui cherche à terminer le plus tôt possible une besogne qui lui est si désagréable; la ferveur avec laquelle il prêche; les mots couverts par lesquels il déguise sa mission, et veut faire passer son dépit pour une mortification religieuse; les succès prodigieux qu'il obtient contre son propre intérêt; la seule jouissance qui lui demeure dans sa douleur, celle de tourmenter la paresse du frère quêteur qui l'accompagne, et de tromper sá gourmandise; tout cela est mis en scène avec une gaîté et un mouvement qui rendent cette pièce fort amusante à la lecture, et qui la firent, dit-on, redemander avec transport par le peuple, lorsqu'il y a peu d'années on essaya de donner, au théâtre de Madrid, une pièce régulière qui paraissait en être tirée. Ce n'était pas un des moindres plaisirs du parterre, que de rire si long-temps aux dépens du diable, tandis que nous ne sommes que trop habitués à croire que c'est le diable qui se moque de nous.

Parmi les émules de Calderon, un des plus renommés et des plus dignes de l'être, fut Augustin Moreto, comme lui protégé par Philippe IV, comme lui dévot en même temps que poěte comique, et comme lui prêtre sur la fin

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