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» ce n'est point ici une de ces propositions » nombreuses, qui, selon l'opinion d'un phi»losophe, ne s'y trouvent que pour nous ef>> frayer, Ad terrorem.

>> C'est ici, mes frères, l'étrenne de mes tra»vaux oratoires, c'est ici l'exorde de mes fonc» tions dans la chaire, ou, pour parler plus >> clairement aux plus ignorans, c'est ici le pre>> mier de tous mes sermons, selon ce texte de » l'oracle sacré : Primum sermonem feci, o Theo»phile! Mais vers quel point le bateau de mon » discours dirige-t-il ses voiles? attention, >> fidèles ! tout ici me présage une fortune heu» reuse, partout je vois des lueurs prophéti>> ques de félicité. Ou il nous faut refuser notre >> foi à l'histoire évangélique, ou l'oint hypos»tatique a lui-même prêché son premier ser>> mon aux lieux où il reçut l'ablution sacrée >> des eaux lustrales du baptême. Il est vrai » que la narration évangélique ne le révèle >> pas, mais elle le suppose tacitement. Le Sei>> gneur reçut la froide purification, Baptiza»tus est Jesus; à l'instant même le taffetas >> azuré du rideau céleste se déchira pour lui, » Et ecce aperti sunt coli; et l'esprit saint des>> cendit en voltigeant sous la forme du volatile >> des colombiers, Et vidi spiritum Dei descen» dentem sicut columbam. Holà ! le messie re»çoit le baptême! le pavillon céleste se dé

>> chire! l'Esprit Saint descend sur sa tête? ne » sont-ce pas là mes vestiges? cette colombe » divine ne bat-elle pas sans cesse ses ailes >> autour de la tête des prédicateurs?

» Mais toute exposition serait vaine, quand » les paroles de l'oracle sont aussi claires. Il est >> dit encore que Jésus baptisé se retira au dé>> sert, ou qu'il y fut conduit par le diable; Duc>>tus est in desertum ut tentaretur a diabolo. Il » y demeura quelque temps; il y veilla, il y » pria, il y jeûna, il y fut tenté, et la première » fois qu'il en sortit, ce fut pour prêcher dans » un champ, dans un lieu champêtre; Stetit » Jesus in loco campestri. Comment ne recon>> naîtrais-je pas ici la vivante image de tout ce >> qui m'est arrivé. J'ai été baptisé dans cette pa>> roisse illustre; je me suis retiré au désert de » la religion, à moins que le diable ne m'y ait » conduit; Ductus est a spiritu in desertum, ut » tentaretur a diabolo. Et que peut faire autre >> chose un homme dans le désert, que de prier, >> veiller, jeûner, et être tenté? J'en suis sorti » pour prêcher; mais où? in loco campestri; >> dans un lieu champêtre, à Campazas, dans ce » lieu dont le nom rappelle les champs de Da»mas, fait envie aux champs de Pharsale, et >> condamne à l'oubli les champs de Troie, et » campus ubi Troja fuit ».

Je n'ai point eu l'avantage d'entendre prêcher

un capucin espagnol; mais le hasard m'a fait rencontrer en voyage un barbier italien, qui faisait commerce de sermons avec des moines trop ignorans pour en composer eux-mêmes. Il avait l'oreille sensible à une certaine harmonie musicale, et il réussissait à construire des périodes assez nombreuses, auxquelles il ne manquait plus que le sens; il entendait un peu de français, et il avait la curiosité de fouiller dans tous les vieux livres. Pour composer les sermons qu'il vendait, il ajoutait ensemble des lambeaux d'orateurs chrétiens qu'il avait découverts dans une vieille bibliothèque ; cependant pour qu'il ne fût pas facile de reconnaître le plagiat, c'était toujours par le milieu d'une phrase, qu'il entrait dans ces fragmens étrangers, et il les quittait aussi au milieu d'une phrase. Il me consulta sur un de ces sermons, mais sans me dire d'abord son secret; je ne fus pas peu étonné de ces périodes pompeuses dont la fin ne répondait jamais au commencement, et dont les membres divers n'avaient jamais été faits pour aller ensemble; lorsqu'il m'eut confié quel était le hasard qui les avait réunis, je cherchai le mieux que je pus à faire accorder les deux bouts des phrases; bientôt cependant le temps et la patience me manquèrent, et je lui rendis son sermon digne du frère Gerundio. Peu de temps après il fut prêché le moine qui l'avait acheté, et il n'obtint pas

par

des applaudissemens moins vifs que celui de notre héros à Campazas.

Le jésuite qui osait se moquer si hardiment de la prédication des moines, et qui ne craignait pas d'exciter le scandale en plaisantant sur les choses saintes, était, au reste, un homme trèsreligieux, et qui paraît même scrupuleux et sévère dans sa doctrine. Toutes les sciences qui se lient à la prédication sont traitées épisodiquement dans son livre; il fait paraître à plusieurs reprises des supérieurs du moine Gerundio, qui tâchent, par des conseils pleins de sagesse et de religion, de le ramener à une meilleure voie. En même temps le jésuite lance quelques-uns des traits de sa satire contre la philosophie qui commençait à être à la mode en France et en Angleterre; il ne combat pas seulement l'irréligion, mais l'abandon des anciens systèmes; il tourne en ridicule la nouvelle physique, il veut remettre en honneur l'étude de la théologie scolastique; il en appelle souvent à l'autorité de l'inquisition, et il l'invoque contre les prédicateurs qui défiguraient l'Ecriture par des applications profanes: enfin il se montre, dans tout son livre, bien vivement, bien sincèrement attaché à son église. Mais tout son zèle ne le sauva pas de l'animosité d'une partie du clergé, et surtout des ordres mendians, qui se regardaient comme directe

ment attaqués par lui. Ils le découvrirent sous le faux nom sous lequel il s'était caché; ils l'accablèrent d'invectives, ils engagèrent avec lui une guerre de plume qui troubla probablement ses jours, quoiqu'il y conservât toujours l'avantage. Leurs injures ne firent, au reste, qu'accroître sa réputation, et l'histoire du frère Gerundio est regardée, avec raison, comme l'ouvrage le plus spirituel que l'Espagne ait produit au dix-huitième siècle.

Dans la seconde moitié de ce siècle, le patrio tisme littéraire parut se réveiller dans le cercle étroit des écrivains espagnols; l'élégance française ne leur suffisait plus, ils sentaient plus d'attrait pour les poètes des seizième et dixseptième siècles, et quelques hommes d'un vrai mérite s'efforcèrent de réunir le génie de l'Espagne à l'élégance classique.

Le premier, dans ce parti poétique, qui osa s'attaquer au goût français, fut Vincent Garcias de la Huerta, membre de l'académie espagnole, et bibliothécaire du roi. Il me semble que, sans donner en aucune manière l'avantage à la littérature espagnole sur la française, on doit toujours voir avec plaisir les efforts d'un homme qui veut rendre à une nation sa couleur originale, rétablir le caractère qui lui est propre, l'imagination qu'elle a reçue de ces ancêtres, et l'empêcher de se perdre dans une monotone 16

TOME IV.

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