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âge; c'est cette nature du bon vieux temps à laquelle toutes nos habitudes nous rattachent; et puisque l'antiquité chevaleresque a été mise en opposition avec l'antiquité héroïque, il est intéressant, même comme expérience littéraire, de voir le parti qu'une nation spirituelle et sensible a pu en tirer, lorsqu'elle s'est enfermée dans cette seule enceinte, qu'elle a repoussé toute idée nouvelle, toute importation étrangère, et les résultats de toute expérience faite d'après d'autres principes. Peut-être cette observation nous apprendra-t-elle que les mœurs et les préjugés du bon vieux temps offrent, en effet, d'abondantes richesses aux poètes, mais qu'il faut s'élever assez haut, au-dessus d'elles, pour en disposer avec avantage; et qu'en prenant ses matériaux dans les siècles reculés, il faut les traiter avec l'esprit de notre âge. Sophocle et Euripide, lorsqu'ils nous représentaient avec tant de grandeur l'antiquité héroïque, s'élevaient eux-mêmes plus haut qu'elle, et ils employaient la philosophie du siècle de Socrate à donner une juste mesure aux sentimens des siècles d'OEdipe et d'Agamemnon. C'est en connaissant tous les temps et la vérité de toutes les histoires, que nous pourrons donner une vie nouvelle aux représentations de la chevalerie. Mais les Espagnols des temps modernes n'étaient pas supérieurs aux chevaliers

TOME IV.

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qu'ils mettaient en scène dans leur poésie; ils étaient moins qu'eux au contraire, et ils se trouvaient hors d'état de bien rendre ce qu'ils ne dominaient pas.

Sous un autre rapport encore la littérature espagnole est pour nous un phénomène, et un objet d'étude et d'observation. Tandis que son essence est tirée de la chevalerie, ses ornemens et son langage sont empruntés des Asiatiques. Dans la contrée la plus occidentale de notre Europe, elle nous fait entendre le langage fleuri et l'imagination fantastique de l'Orient. Je ne prétends point accorder la préférence à cette beauté orientale sur la beauté classique; je ne prétends point justifier ces hyperboles gigantesques qui offensent souvent notre goût, cette profusion d'images par laquelle le poète semble vouloir enivrer tous les sens à la fois, et ne jamais éveiller une idée sans l'entourer de tout le prestige des odeurs, des couleurs et de toutes les harmonies. Je veux faire remarquer seulement que ce qui nous surprend sans cesse, ce qui nous rebute quelquefois dans la poésie espagnole, est la forme constante de la poésie des Indes, de la Perse, de l'Arabie, et de tout l'Orient; que c'est-là ce que les nations les plus anciennes du monde, et celles qui ont eu la plus haute influence sur la civilisation universelle se sont accordées à admirer; que nos

livres sacrés nous présentent à chaque page, des traces de ce goût gigantesque, de ce langage tout figuré, que nous écoutons alors avec respect, mais qui nous blesse dans les modernes; qu'ainsi il y a sans doute des systèmes différens en littérature et en poésie, et que nous devons bien moins donner à l'un sur tous les autres une préférence exclusive, que nous accoutumer à les 'comprendre tous, et à jouir également de toutes leurs beautés. Si nous considérons la littérature espagnole, comme nous révélant en quelque sorte la littérature orientale, comme nous acheminant à concevoir un esprit et un goût si différens des nôtres, elle en aura à nos yeux bien plus d'intérêt; alors nous nous trouverons heureux de pouvoir respirer, dans une langue apparentée à la nôtre, les parfums de l'Orient et l'encens de l'Arabie; de voir, dans un miroir fidèle, ces palais de Bagdad, ce luxe des califes qui rendirent au monde vieilli son imagination engourdie, et de comprendre, par un peuple d'Europe, cette brillante poésie asiatique qui créa tant de merveilles.

CHAPITRE XXXVI.

Littérature portugaise jusqu'au milieu du seizième siècle.

L

L ne nous reste plus à rendre compte que d'une seule des langues romanes, ou de celles qui sont nées du mélange du latin avec le tudesque: c'est le portugais. Nous avons vu naître et se développer le provençal, le roman wallon, l'italien et le castillan, toutes les langues qui sont parlées au midi de l'Europe, depuis l'extrémité de la Sicile au levant; et nous arrivons à présent dans la Lusitanie, à l'extrémité occidentale de la même région. Nous terminerons ainsi la revue d'une grande moitié des langues de l'Europe, de toutes celles que le latin a formées. Il nous resterait, il est vrai, deux grandes familles encore, les langues teutoniques et les langues esclavonnes, mais les dernières n'ont point été cultivées assez long-temps, ou par des peuples assez civilisés pour posséder de grandes richesses; aussi espérons-nous reprendre un jour le nord de l'Europe, de l'Occident à l'Orient, et après avoir fait connaître les deux plus riches littératures des nations teutoniques,

l'anglaise et l'allemande, donner seulement des aperçus sur la littérature hollandaise, danoise et suédoise, et sur celle des peuples esclavons les Polonais et les Russes; alors nous aurons parcouru le vaste plan que nous nous étions tracé, et nous aurons suivi la marche de l'esprit humain dans toute l'Europe.

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Le royaume de Portugal fait proprement partie de l'Espagne; les Portugais eux-mêmes se considèrent comme Espagnols, et en prennent le nom, tandis qu'ils appellent toujours castillan le peuple leur voisin et leur rival, qui partage avec eux la souveraineté de l'Espagne. Cependant le Portugal a une littérature à lui; sa langue, au lieu de demeurer un dialecte de l'espagnol, a été regardée, par un peuple indépendant, comme une marque de sa souveraineté et a été cultivée avec amour. Les hommes distingués que le Portugal a produits, ont pris à tâche de donner à leur patrie toutes les branches de la littérature; ils se sont essayés dans tous les genres, pour ne laisser à leurs voisins aucun avantage sur eux; et l'esprit national a donné à leurs compositions un caractère tout différent de celui des compositions castillanes. La littérature portugaise, il est vrai, est complète sans être riche; on y trouve de tout, mais rien n'y est en abondance, à la réserve des poésies lyriques et bucoliques; le temps de son éclat a été court,

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