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l'épopée comme une création de l'imagination, et non comme une histoire versifiée; mais il a jugé, comme le Tasse qu'il devançait, que cette création devait former un seul tout, qu'elle devait faire sentir son harmonie dans l'unité; que le but du poète et sa pensée dominante, que la pensée dominante des héros, devaient être sans cesse présens à l'imagination des lecteurs, et que la richesse des détails ne suffisait point sans la magnificence de l'ensemble. Le Camoëns a rattaché à l'épopée une vivacité d'impressions tendres, une rêverie amoureuse, un culte de la volupté, que les anciens, plus sévères, croyaient au-dessous de la dignité de ce poëme; mais enthousiaste comme le Tasse, et voluptueux comme l'Arioste, il associe bien bien plus que ce dernier l'âme et le cœur aux créations riantes de son imagination. Ce qui le distingue essentiellement des Italiens, ce qui fait sa gloire et celle de son pays, c'est l'amour et l'orgueil national qui l'animent. Il écrivait son poëme au moment où la gloire de sa patrie était arrivée à son zénith, lorsque la face entière de l'univers avait été changée par les Portugais, et que les plus grandes choses avaient été opérées par les plus petites nations. L'Europe, cinquante ans avant lui, avait été sortie de ses étroites limites, elle avait appris à connaître l'existence de l'univers, elle avait vu

combien sa population, sa richesse, son étendue étaient peu de chose, auprès des magnifiques empires de l'Asie; mais elle avait reconnu aussi, combien l'empire de la pensée et de la volonté est au-dessus de la pompe et du nombre; elle avait appris que celui-là lui appartenait, et elle l'avait appris des Portugais. Le Camoëns ne pouvait pas prévoir la terrible catastrophe qui détruisit l'indépendance de son pays, et qui hâta sa propre mort; il écrivait dans la plénitude de l'enthousiasme national, et il fait partager à ses lecteurs, quelque étrangers qu'ils puissent être à la gloire du Portugal, ce sentiment si vrai et si noble. Consacrant son poëme au roi don Sébastien, il lui dit dès le début.

« Dans ces vers vous verrez l'amour de la >> patrie; ce n'est point une vile récompense >> qui l'excite, mais la plus haute de toutes, la » plus près de l'éternité. Quelle gloire n'est-ce >> pas pour moi d'être le héraut de la gloire de >> ma patrie? Ecoutez, et vous verrez grandir >> le nom de ceux dont vous êtes le premier sei>> gneur; écoutez, et vous jugerez s'il y a plus » de gloire à être roi du monde entier, ou à être >> roi d'un tel peuple.

Écoutez, car vous ne verrez point ici louer >> vos compatriotes pour des exploits fantasti>>ques, vains et menteurs, comme le font les » Muses étrangères qui poursuivent une gran

» deur idéale; les actions véritables de votre >> peuple sont si grandes, qu'elles surpassent les >> fables inventées pour les autres, qu'elles sur>> passent Rodomont, et le vain Roger, et Ro» land, lorsqu'encore ces héros seraient vérita>> tables (1)».

Les vertus publiques exercent sur l'âme un pouvoir auquel ne s'élève jamais aucune passion privée; elles communiquent l'enthousiasme et elles répondent à tous les coeurs. Le sentiment patriotique du Camoëns, qui consacra sa vie entière à élever un monument à son pays; qui, dans l'exil, dans les persécutions et la misère, n'eut jamais d'autre pensée que celle de la

(1) Canto 1, Strop. 10.

Vereis amor da patria, naỡ movido
De premio vil; mas alto, e quasi eterno;
Que nao he premio vil ser conhecido,
Por hum pregaon do ninho meu paterno.
Ouvi, vereis o nome engrandecido
Daquelles dequem sois senhor superno.
E julgareis qual he mais excellente
Se ser do mundo rey, se de tal gente.

Ouvi, que nao vereis com vaãs façanhas
Phantasticas, fingidas, mentirosas
Louvar os vossos, como nas estranhas
Musas, de engrandecer-se desejosas;

As verdadeiras vossas sao tamanhas
Que excedem as sonhadas fabulosas,
Que excedem Rhodamonte, e o vao Rogeiro,
E Orlando, indaque fora verdadeiro,

gloire d'une patrie ingrate, nous remue profondément; nous nous associons de tout notre cœur à cette entreprise généreuse, et le Portu gal nous devient cher, parce qu'il a été cher à un grand homme. Cependant il est douteux que le sujet que s'est choisi le Camoëns, soit éminemment propre à un poëme épique. La décou verte du passage des Indes, la communication établie entre les pays où commença la civilisation et ceux d'où elle part aujourd'hui, l'empire de l'Europe étendu sur le reste du monde, sont bien des événemens d'une importance universelle, et qui ont changé peut-être pour jamais les destinées des hommes; mais les conséquences de l'événement sont plus grandes que l'événement lui-même, et l'intérêt d'une navigation périlleuse, tenant à des détails presque domestiques, ne peut jamais être élevé par poésie à l'égal de la seule vérité. D'ailleurs, si le Camoëns avait voulu renfermer son poëme dans la navigation de Gama et la découverte du passage aux Indes, il aurait dû s'attacher davantage à nous faire éprouver l'impression toujours nouvelle, toujours variée, de ces immenses contrées du Midi et de l'Orient, dont l'aspect devait être si différent de celui des rives du Tage; mais il voulait au contraire faire entrer toute la gloire du Portugal dans le cercle étroit qu'il s'était tracé; il voulait trouver moyen d'y

la

placer toute l'histoire des rois et des guerres de son pays, depuis sa première origine; toute la biographie des héros qu'il a produits, tous les faits éclatans des chevaliers célébrés par d'antiques romances. Il a voulu y faire entrer encore tous les événemens postérieurs, toutes les découvertes qui complétèrent le système du monde à peine entrevu par Gama, toutes les conquêtes qui soumirent aux Portugais ces immenses contrées, dont Gama n'avait reconnu que la première borne. Ces diverses parties, dans le passé, le présent, l'avenir, se liaient à la gloire nationale et devaient concourir au glorieux monument que le Camoëns voulait élever à sa patrie; mais elles repoussaient nécessairement dans l'ombre, Gama, le héros nominal du poëme; elles affaiblissaient l'impression de la Lybie et de l'Inde, qui aurait pu être si nouvelle, et elles égaraient l'esprit dans un labyrinthe d'événemens dont aucun n'excitait assez vivement l'intérêt pour laisser de profondes traces. Le Tasse, dans sa Jérusalem; empruntait du charme et du mouvement de son sujet même, et sa poésie était parée de l'intérêt et de la beauté de la guerre sainte, qu'il chantait. Le Camoëns, au contraire, prêtait à son sujet un charme qui n'était pas en lui; il avait besoin de tout le prestige de sa poésie, pour forcer à lire une histoire que personne, excepté lui, ne se sou

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