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l'expédition de Gama jusqu'au temps où le Camoëns lui-même a vécu; il complète ainsi l'histoire de Portugal, de manière à rendre la Lusiade le plus beau monument qui ait jamais été élevé à la gloire nationale d'aucun peuple. Les héros à venir passent en revue devant Gama. Le premier est le grand Pacheco, l'Achille du Portugal, le défenseur de Cochin, et le vainqueur du Samorin, dont il défera sept fois les armées; mais ses exploits inouis, accomplis avec une centaine de soldats, ne le sauveront point de l'ingratitude; négligé par son roi, oublié par ses compatriotes, il mourra misérable dans un hôpital. Le célèbre Alphonse d'Albuquerque, le vainqueur d'Ormuz, celui dont les ravages s'étendirent sur tout le golfe persique, dans l'île de Goa, et jusqu'à l'opulente Malaca, est à son tour représenté; mais la Sirène, en le célébrant, lui reproche sa sévérité envers ses soldats. Soarez, Menezez, Mascarenhas, Hector de Silveiras, et tous les autres qui s'acquirent un grand nom dans les Indes, sont introduits successivement, avec les traits qui leur conviennent, et leurs titres de gloire. Malheureusement pour l'honneur portugais, ceux-ci ne sont qu'une longue énumération de massacres, de meurtres et de pillages. Une excessive férocité caractérisa toutes les guerres que les Européens portèrent, au seizième siècle, dans les

deux Indes. Les Portugais, comme les Espa gnols, avaient sur les peuples dont ils firent la découverte, une inconcevable supériorité de force

de corps, d'armes et de courage. Une centaine de soldats européens devenait une armée redoutable au milieu de plusieurs milliers d'Indiens. Mais plus la disproportion apparente était grande, plus il fallait de massacres pour faire comprendre à ces malheureux les dangers de la résistance. Ce n'était qu'après avoir fait couler des flots de sang, qu'une aussi petite troupe pouvait paraître redoutable; et la férocité qui semble innée chez le vulgaire, chez le soldat tiré des derniers rangs de la société, la férocité qu'augmente le sentiment d'une force disproportionnée, et le plaisir de déployer sa puissance, cette férocité était portée au comble par le plus odieux fanatisme. Tous les habitans de ces royaumes si riches et si civilisés, ces hommes d'un caractère si doux qu'aucune effusion de sang ne leur était permise, qui plutôt que de causer la souffrance d'un être animé, renonçaient à manger jamais rien qui eût eu vie; ces hommes qui professaient la plus antique religion de la terre, une religion toute mystique et toute spirituelle, étaient aux yeux des Por: tugais, dignes de mort, parce qu'ils ne professaient pas le christianisme. Verser leur sang était toujours une bonne œuvre; et quoiqu'une

politique mondaine engageât quelquefois les amiraux portugais à contracter avec eux des alliances temporaires, les ordres du ciel étaient plus sévères, ils ne permettaient aucune indulgence pour cette secte impie : tout ce qui ne recevait pas le baptême devait être détruit par le fer et le feu. Les Musulmans qui, comme marchands ou comme guerriers, s'étaient aussi introduits dans les Indes, loin d'être réunis aux Chrétiens par la connaissance et le culte du vrai Dieu, n'en étaient que plus odieux aux Portugais; une haine héréditaire les séparait, et aucun traité, aucune alliance ne pouvait les réunir. Les relations écrites par les étrangers, les jugemens portés, dans un autre siècle, ne doivent être admis qu'avec défiance; mais pour connaître toute la férocité de ces guerres des Indes, il faut lire les historiens nationaux. Les mémoires d'Alphonse d'Albuquerque sont tout dégoûtans de sang. Joan de Barros, dans son Asie, raconte de sang froid et sans réflexions, d'épouvantables atrocités, et Vasco de Gama lui-même en donna l'exemple à son second voyage. L'histoire des expéditions des Portugais de Jérôme Osorius, et celle de Lope de Castagneda ne sont pas moins effroyables. Le dixième livre de la Lusiade, avec moins de détails, avec une intention prononcées de ne rapporter que ce qui est glorieux

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pour les Portugais, est encore animé du même esprit. Les ravisseurs arrivaient à l'improviste dans les lieux où l'on se croyait le plus à l'abri de leurs outrages; aucune offense ne les avait provoqués, aucun traité n'arrêtait jamais leur rage. Après avoir engagé les Maures ou les Païens à rendre eux-mêmes leurs armes, dépouiller de leurs richesses de leurs propres mains, ils les brûlaient dans leurs vaisseaux ou dans leurs temples, et ils n'accordaient pas même la vie aux vieillards, aux femmes ou aux enfans (1). Et lorsque la vie du sang et des souffrances, excitaient dans les soldats vainqueurs quelque compassion, ou assouvissait leur fureur, des prêtres féroces accouraient pour la faire renaître. Des tribunaux d'inquisition furent fondés à Goa et à Diu, et des milliers de victimes y périrent dans d'horribles tourmens. Ce n'est point m'écarter de mon sujet que de signaler ces grands crimes politiques, et d'en retracer toute l'horreur. Les mêmes critiques qui, de nos jours, ont rappelé notre attention sur la littérature espa

(1) Voyez, entre autres, comment Vasco de Gama brûla un vaisseau égyptien, avec 250 soldats qu'il por tait, et 51 femmes et enfans, après qu'ils se furent rendus à lui, et sans qu'il y et jamais eu d'hostilités ou de provocations entre les Egyptiens et lui. (Joaõ på Barros, Decad. I, L. vi, cap. 3.)

gnole et portugaise, et nous l'ont présentée comme la production la plus parfaite des mœurs chevaleresques et de l'esprit romantique, ont aussi préconisé l'esprit religieux qui animait ces peuples, le zèle désintéressé qui les entraînait dans des guerres, dont le seul but était la gloire de Dieu, et leur vie poétique toujours passionnée, toujours étrangère au calcul. Mais ce n'est pas d'après les convenances poétiques qu'il est permis de juger les actions des hommes. Le langage de la passion peut être plus énergique, plus éloquent, plus propre à la poésie, sans que la morale autorise pour cela les passions; les actions des gens passionnés peuvent être étrangères à tout calcul, sans que ce désintéressement apparent les rapproche de l'observation des lois divines. Le propre des passions étant toujours de dépasser leur but, celui qui agit sous leur influence, paraît toujours désintéressé, si l'on oublie que, dans cette maladie de l'âme, le premier des intérêts c'est de se satisfaire soi-même. Les guerres religieuses ne sont point allumées, en effet, par les calculs de l'égoïsme, mais elles sont excitées et maintenues par la passion la plus égoïste de toutes, la haine de ce qui n'est pas nous, de ce qui ne nous ressemble pas. Dans le jugement des individus, peut-être celui-là sera-t-il excusé, qui, en commettant un crime atroce, a cru faire une

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