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Le diable paraît à son tour comme porte-balle; il dispute avec le séraphin, et il soutient qu'il trouvera mieux que lui des chalands parmi les hommes pour ses marchandises. « Il y a, dit-il, >> mille fois plus d'hommes méchans que de » bons, comme vous le voyez vous-même, et » ce sont eux qui doivent acheter ce que je leur » porte ici à vendre : ce sont les arts de tromper >> et les moyens d'oublier ce qu'ils devraient » garder dans leur mémoire; car le marchand >> habile doit porter au marché ce qu'on lui » achète le mieux, et c'est au mauvais chaland >> qu'on offre le mauvais brocard »>.

Mercure, de son côté, appelle Rome, comme représentant l'Église; elle paraît, et offre ses précieuses marchandises, entre autres, la paix de l'âme. Le diable s'en plaint, et Rome se retire. Deux paysans portugais arrivent au marché ; l'un a grande envie d'y vendre sa femme, c'est une mauvaise ménagère; des paysannes arrivent de leur côté, et l'une d'elles porte des plaintes comiques contre son mari, qui vend

Compray grande soma do temor de Deos,
Na feyra da Virgem senhora do mundo,

Exemplo da paz,

Pastora dos anjos, e luz das estrelas.

Aa feyra da Virgem, donas et donzellas,

Porque este mercado sabey que aqui tras
As cousas mais belas.

au marché toutes ses poires et toutes ses cerises, et qui ne revient à la maison que pour dormir. Ce sont précisément les deux époux, et ils se reconnaissent. Le diable cependant offre ses marchandises aux paysannes; la plus pieuse de la troupe, qui sans doute y soupçonne quelque sortilége, s'écrie: Jésus! Jésus! vrai Dieu et homme! et à l'instant le diable s'enfuit et ne revient plus. Le séraphin se mêle à cette troupe, qui s'augmente toujours par l'arrivée de paysans et de paysannes avec des corbeilles sur leurs têtes, dans lesquelles elles portent les produits des champs et de la basse-cour. Le séraphin leur offre ses vertus à vendre, et ne trouve point de débit. Les jeunes filles l'assurent que dans leur village l'or est plus recherché que la vertu, surtout lorsqu'il s'agit de choisir une femme. Cependant l'une d'elles déclare qu'elle est venue avec plaisir au marché, parce que c'est la fête de la mère de Dieu, et que celle-ci, au lieu de vendre ses marchandises, les donnera sans doute par grâce. C'est la morale de la pièce, qui finit par une chanson populaire en l'honneur de la sainte Vierge.

Les plus insignifiantes des pièces de Gil Vicente sont celles qu'il a intitulées Comédies; ce sont, comme en Espagne, des nouvelles dialoguées qui comprennent toute la vie d'un homme; mais les événemens s'enchaînent mal

les uns aux autres, et n'ont point de nœud ou de dénouement. Les tragi-comédies sont une grossière ébauche de ce que devinrent ensuite les comédies héroïques chez les Espagnols; quelques-unes ont des scènes touchantes, aucune n'est historique. Ce qu'il y a de meilleur dans cette collection, ce sont les pièces com. prises sous le nom de farces, qui, alors, désignait bien plus la vraie comédie que ce que Gil Vicente appelait de ce nom. Il y en a onze dans sa collection; elles ont de la gaîté, quelquefois des caractères assez bien tracés, mais point d'intrigue. Il est assez étrange que l'intrigue, qui faisait l'âme du théâtre espagnol, soit toujours négligée sur celui des Portugais.

Quelque barbares que fussent ces commen→ cemens du théâtre portugais, aucune autre nation n'avait débuté avec plus d'avantages. A l'époque de Gil Vicente, à celle même du Camoëns, il n'existait dans aucune autre langue des ouvrages dramatiques accueillis du public, et en possession du théâtre, qui montrassent ou plus d'invention, ou plus de naturel, ou plus de coloris. La perte de l'indépendance du Portugal, et les soixante ans de domination espagnole, eurent probablement une grande part à l'abandon de l'art dramatique ; mais il faut aussi l'attribuer à l'influence d'un faux système de littérature, qui, par sa longue durée, semble

faire un trait du caractère national. Les Portugais n'ont voulu admettre que deux genres dans la poésie, l'épopée et la pastorale; ils se sont attachés avec obstination à la dernière : pour donner à la vie humaine des couleurs poétiques, ils ont toujours cru devoir en faire des idylles, et transporter les actions et les pensées du grand monde parmi les bergers. Aucun esprit ne pouvait être plus contraire à la vie dramatique, que la langueur, les sentimens maniérés et doucereux, et la monotonie pastorale. Gil Vicente, qui, par caractère, n'avait rien de bucolique, a mêlé des bergers dans toutes ses pièces de théâtre, pour se conformer au goût national; Camoëns, qui partageait ce goût, a, dans son Filodemo, affaibli, par ce mélange déplacé, le talent dramatique qu'il pouvait avoir; après lui, la prédilection pour les idylles parut devenir plus dominante encore, et le poète que les Portugais croient le plus digne de lui être comparé, Rodriguez Lobo, contribua par ses ouvrages à confirmer ce goût universel.

L'histoire de Rodriguez Lobo est fort peu connue; on sait seulement qu'il était né vers le milieu du seizième siècle, à Leiria, dans l'Estremadure. Il s'était distingué dans l'uni versité par ses talens; mais il passa la plus grande partie de sa vie à la campagne qu'il a chantée dans toutes ses poésies, et il se noya en

traversant le Tage, qu'il avait si souvent célébré dans ses vers.

Ses ouvrages sont partagés en trois classes; un livre de philosophie, des romans pastoraux, et des poésies. Le premier, intitulé Corte na Aldea, e Noites de inverno (la Cour au Village, ou les Nuits d'hiver), a eu une grande influence sur la prose portugaise, en y introduisant le style cicéronien, et les périodes longues et nombreuses. Rodriguez Lobo paraît, comme Pietro Bembo, son contemporain chez les Italiens, avoir cru le langage, le choix des mots, et le nombre, plus importans encore que la pensée, et s'être efforcé comme lui de donner à sa langue le caractère, la cadence et souvent les inversions des langues anciennes : comme lui enfin, c'est par des ouvrages légers, mais écrits avec une certaine pédanterie, qu'il s'est efforcé de faire connaître cette élégance à ses compa→ triotes. Ses Nuits d'hiver sont des conversations philosophiques, à peu près dans le goût des tusculanes de Cicéron, du Cortigiano du comte Castiglione, ou des Asolani de Bembo. Chaque dialogue est précédé d'une introduction historique; les caractères des personnages sont bien tracés; la conversation, sur des sujets de littérature, de bon ton, d'élégance et de bonne conduite, est soutenue avec vivacité et avec grâce, malgré la gêne des longues périodes et la

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