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voyage terrible doit captiver par la vérité seule, indépendamment du talent ou du poète ou de l'historien. Cortéreal est un versificateur facile et gracieux; ses tableaux sont animés, sa diction est harmonieuse, mais ce n'est point là ce qui entraîne dans la lecture de son livre, et la machine poétique qu'il a jointe au récit des événemens, diminue ou détruit presque toujours les émotions qu'il devrait éveiller. ·

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Avant tout, Cortéreal, comme tous ses compatriotes, a cru qu'il ne pouvait y avoir d'épopée, même dans un sujet chrétien, sans mythologie grecque. La pédanterie des écoles, et une imitation puérile des anciens entraînèrent à cette époque, dans la même erreur, de plus grands hommes que lui. Ce poète, élevé dans l'Inde, tout plein des tableaux que présentait à son imagination ce pays si poétique, et assez bon peintre pour leur donner souvent une couleur locale que peu d'européens ont égalée, détruit bientôt tout leur charme, toute leur illusion par le mélange des fables grecques. La mythologie païenne n'est pas seulement l'ornement, c'est le moteur continuel de toutes ses grandes catastrophes.

Manuel de Souza était amoureux de Léonor de Sà, mais il n'avait pu l'obtenir de son père, qui l'avait promise à Louis Falçaố, capitaine de Diu; il invoque l'Amour, et celui-ci, à la per

suasion de Vénus, fait périr Falçao, pour délivrer Souza d'un rival. Le palais de Vénus à Paphos, celui de la Vengeance, et la marche triomphante des dieux de l'Europe vers l'Inde, sont décrits avec beaucoup de poésie; mais l'intervention de l'Amour pour commettre un meurtre est choquante, c'est un voile grossier pour couvrir l'assassinat dont Souza se rendit coupable. Cependant le père de Léonor, dégagé de sa promesse par la mort de Falçaó, ne fait plus aucune difficulté d'accorder sa fille à son amant. Leurs noces, et les fêtes des Portugais et des Malabares, à l'occasion du mariage, occupent tout près de deux chants (1). Après plus de quatre années, embellies par l'amour conjugal, Manuel de Souza, sa Léonor, et les deux enfans qu'il avait d'elle, partent de Cochin, dans le galion, le Saint-Joao pour revenir en Europe. La navigation est décrite avec les plus brillantes couleurs; mais comme s'il n'y avait pas assez, pour la poésie, des merveilles de ce monde inconnu, comme si celles de la foi, dont le poète fait aussi usage, ne lui présentaient pas assez de ressources, il recourt de nouveau aux fables grecques, pour y chercher les causes des événemens les plus naturels.

<< Dans ce moment, dit-il, Prothée condui

(1) Le quatrième et le cinquième.

»sait à ses paturages des milliers de monstres >> de son humide troupeau. Lorsqu'il voit appro» cher le puissant navire, il se range de côté, » joyeux de pouvoir observer les Portugais. Il » élève au-dessus des ondes sa tête difforme, >> recouverte d'un limon verdâtre ; il secoue sa » barbe en désordre et ses cheveux hérissés et » rudes, mais plus blancs que la neige. Le » vieillard antique regarde comment les ondes >> viennent se briser contre le haut et superbe » vaisseau ; il observe les habits divers de la ; >> foule qui se rassemble à bord pour le voir. » De ce puissant navire il s'élève dans les airs » un cri qui atteint jusqu'aux nues les plus » élevées; le terrible monstre marin ne s'en >> effraye point, il n'en montre pas moins le >> contentement sur son visage. Léonor déjà >> fatiguée de la mer, déjà accablée d'ennui par » la longueur du voyage, lorsqu'elle entend ces >> cris et ce mouvement inopiné, s'avance pour >> voir ce qui cause tant d'effroi. Elle voit alors >> le vieux Prothée qui se soutient sur deux » nageoires épineuses et gigantesques, et qui >> reste dans l'étonnement et l'admiration. A >> cet aspect elle demeure muette et glacée de » crainte (1)».

(1) Naufragio de Sepulveda. (Canto vi.)

Andava em tal sazaõ Protheo pastando

Alli rebanhos mil de humedo gado,

L'étonnement de Prothée était le précurseur d'un amour subit, qui l'enflamme pour la belle Léonor, et qu'il exhale bientôt dans les strophes les plus harmonieuses. Le corps du poëme est écrit en vers blancs, mais les discours, et surtout les chants, sont rendus par de la rime octave, ou des tercets. Les strophes que Cortéreal met dans la bouche de Prothée, ont ce caractère langoureux qu'on croyait, au seizième siècle, le seul langage de l'amour. Elles semblent bien plus l'expression des douleurs d'un

E vendo a poderosa naố, parouse,
Alegre, por ver gente Portuguesa.
CA disforme cabeça sobre as ondas
Alça, de verdes limos abraçada ;
Sacode a barba inculta, et os cabellos
Irtos ét duros, mais que a neve brancos.
Olha o antigo velho, como as ondas
Arrebentao na nao alta et soberba;
Olha os diversos trajos, olha a gente,
Que pello vêr, a bordo se ajuntava.
Alçaõ da poderosa nao aos ares
Huma grita, que chega as altas nuves:
Nao se espanta o marinho fero monstro,
Nem deixa de mostrar ledo sembrante.
Lianor,
', que jà do mar vai enfadada
Do prolixo caminho avorrecida,
O sapito alvoroço et grita ouvindo
Assomase por ver o que os espanta.
O velho Protheo vio, que em duas asas
Espinhosas et grandes se sustenta,
Atonito et pasmado. Mas de vello
Ella fria ficou, et quasi muda.

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berger d'Arcadie, que les accens passionnés du plus terrible des monstres marins.

« Qui t'arrête loin de moi, ô seul remède de » mes maux? qui t'empêche de venir me ren»dre la vie? quel est celui qui me prive d'un » si grand bien? comment peux-tu oublier » ainsi ton Prothée? Viens, belle Léonor! ah! » viens rendre la joie à cette âme affligée qui » t'est soumise! Ne paye pas un si grand amour >> par de la cruauté, c'est un autre retour que » ta beauté fait attendre. Descends, et tu verras >> la mer calmée s'orner des plus rians tableaux, » tu verras la figure effrayante et couverte » d'écailles de ce Neptune qu'on a tant célébré; » tu verras la troupe des beautés marines de ce » royaume liquide et salé; toute entière elle >> arrive pour te rendre son hommage, toute » entière elle est rassemblée seulement pour te » voir. Au milieu de cette mer, tu verras dans » un sein affligé brûler une âme qui n'invoque » que toi; tu verras un cœur qui se fond tout >> entier en un torrent de vaines larmes, et qui » n'espère rien. En un seul être tu verras mille >> accidens divers; tu verras l'amour qui ag>> grave à chaque heure ma pesante douleur, ce >> tourment nouveau, que les peines de la pen»sée suffisent seules à exciter (1) ».

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