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sans réserve les préjugés et les passions de ses compatriotes, ce qu'ils ont fait, il l'aurait fait lui-même, et il se plaît à le conter. Aussi peintil involontairement, et en se comprenant luimême dans le tableau, le caractère des Portugais conquérans des Indes, avec une vérité frappante. Leur indomptable courage, leur ardeur pour la gloire, pour la nouveauté, pour le danger, ne se montrent pas avec plus d'évidence que leur cupidité, leur férocité, et leur aveugle fanatisme. Si quelqu'individu, quelque chef a commis une action basse ou perfide, il le condamne sans scrupule, pour que la honte n'en retombe pas sur son peuple; mais si le crime est national, s'il est approuvé par l'opinion publique des Portugais, il s'en glorifie. Ces nègres qu'on enlève à leurs familles, à leurs travaux pacifiques, pour les faire esclaves, ou qu'on massacre sans provocation; ces Maures, qu'on va chercher dans des climats ignorés pour les détruire par le fer et le feu; ces Indiens qu'on submerge par milliers dans les mers de Calicut et de Cochin, ne sont-ils pas des infidèles, ou musulmans ou idolâtres? Leur vie mérite-t-elle la peine d'être comptée ? N'accomplit-on pas sur eux les jugemens de la justice divine? Si l'on en convertit un seul, son âme gagnée au Ciel ne compense-t-elle pas des milliers d'âmes déjà destinées aux enfers, et qu'on

y envoie ? Au reste, dans la haine des Portugais et de Barros lui-même, pour les infidèles, il met une vaste différence entre les payens et les musulmans; il sait toujours gré aux premiers d'être idolâtres, encore que les objets de leur vénération ne soient pas les mêmes : on en peut juger par le discours de Vasco de Gama au Samorin de Calicut. Décad. I., liv. Iv., c. 9.

«<< Dans les quatre mille huit cents lieues de » côtes, lui dit-il, que le roi son maître et ses » prédécesseurs avaient fait découvrir, il se >> trouvait beaucoup de rois et de princes de la >> race des Gentils; mais jamais il n'avait voulu » d'eux autre chose que les élever et les instruire » dans la foi de Jésus-Christ, Sauveur du monde, » Seigneur du ciel et de la terre, qu'il confessait >> qu'il adorait pour son Dieu, et pour la gloire » et le service de qui il entreprenait ces décou>> vertes lointaines. Outre ce bénéfice du salut » des âmes, que le roi don Manuel procurait à >> ces rois et à ces peuples qu'il avaît nouvelle» ment découverts, il leur envoyait encore des >>> vaisseaux chargés de toutes les choses dont >> ils avaient besoin, comme des chevaux, de >> l'argent, de la soie, des étoffes et d'autres » marchandises, en échange desquelles ses ca>> pitaines en obtenaient d'autres qui se trou>> vaient dans le pays, comme de l'ivoire, de » l'or, du malaguette, du poivre, deux sortes

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>> d'épiceries aussi utiles et aussi estimées dans » les pays chrétiens, que le poivre même de ce » royaume de Calicut. Par ces échanges, les >> royaumes qui acceptaient son amitié, de bar>> bares devenaient policés; de faibles puis»sans, et de pauvres riches, le tout moyen>> nant les fatigues et l'industrie des Portugais. >> Dans de tels travaux, le roi, son seigneur, ne >> recherchait que la gloire de finir de grandes » choses pour le service de son Dieu et la ré>>putation des Portugais. Pour la même raison, >> avec les Maures qui étaient ses ennemis, il » se portait tout au contraire; par la force des >> armes il leur avait enlevé, dans les contrées » d'Afrique qu'ils habitaient, quatre des prin>> cipales forteresses et ports de mer du royaume » de Fez. Aussi partout où ceux-ci se trou>> vaient, non-seulement ils diffamaient en pa» roles le nom des Portugais, mais encore, par >> leurs intrigues ils pourchassaient leur mort, >> et non face à face, parce qu'ils avaient fait expé»rience du pouvoir de leurs épées. On en voyait » les preuves dans ce qu'ils avaient fait à Mo»zambique et à Mombaça, comme le Samorin » avait pu l'apprendre du pilote Cana, De telles >> tromperies, de telles trahisons, il ne les avait >> jamais rencontrées dans toutes les terres des » Gentils qu'il avait découvertes. Car ceux-ci » étaient naturellement tous amis du peuple

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>> chrétien, comme provenant tous d'une même >> race, et étant très-conformes dans plusieurs de >> leurs coutumes, surtout dans l'espèce de leurs >> temples, autant qu'il avait déjà pu le voir dans » ce royaume de Calicut. Ils se conformaient » même avec ses bramimes dans la religion, >> qui, chez ceux-ci, est une trinité de trois » sonnes et un seul Dieu; chose qui, chez les » Chrétiens, est le fondement de toute leur foi, » quoiqu'entendue différemment. Les Maures. » ne voulaient point admettre ce dogme; et jus>>tement parce qu'ils connaissaient la confor» mité des Gentils et des Chrétiens, ils s'effor>> çaient de rendre les Portugais suspects et » odieux à son altesse royale, etc. ». Ce discours: pourra servir d'exemple de la manière dont Barros entremêle quelquefois sa narration de harangues, dont il avait pris le goût dans TiteLive, son modèle et son favori : il le fait cependant avec réserve, avec une grande vérité: de caractère et de sentimens, et peut-être d'après des documens originaux, mais avec bien peu de vraie éloquence. Son affectation d'employer toujours de longues périodes, qu'il s'efforce de rendre nombreuses, celle de lier toutes les phrases> Pune à l'autre, fort au-delà de ce qu'indique ma traduction, car j'en ai séparé le plus grand nom-> bre, rend son style pesant, difficile et souvent› obscur, surtout dans les discours; les relations›

de la personne qui parle, de celle à qui elle parle, et de celle dont elle parle, s'y confondent sans cesse. Cependant Barros est estimé des Portugais surtout pour le style; il a, en général, de la pureté, de l'élégance et du nombre, et ses tableaux des lieux, quelquefois ceux des batailles, sont d'un coloris animé, plein de vie et d'action.

L'histoire de Barros a été continuée par Couto. Ils sont réunis dans l'édition originale de l'Asia Portugueza, 1552-1615, en quatorze volumes in-folio. Fernand Lopez de Castanheda, et Antoine Bocarro, ont aussi écrit le récit des conquêtes des Portugais. L'un des plus grands hommes de cette époque étonnante, Alphonse d'Albuquerque, a laissé des commentaires publiés par son fils de même nom que lui; de nombreux écrits étaient rédigés en Portugais sur des événemens aussi extraordinaires; en même temps, Damiaó de Goez composait une chronique du roi Emmanuel : de toutes parts enfin, ces mêmes hommes, qui avaient étonné le monde par leurs conquêtes, s'efforçaient d'en transmettre le souvenir à la postérité. Ce fut à la fin de cette période de gloire que Bernardo de Brito, né en 1570, entreprit une histoire universelle du Portugal. Elevé à Rome, où il apprit plusieurs des langues modernes, il entra dans un couvent, et ce fut comme chroniqueur de sa congréga

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