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CHAPITRE XL.

Dernière période de la Littérature portugaise;

ES

Conclusion.

Les époques de la littérature portugaise ne sont point marquées si fortement que celles de l'espagnole; son cours est assez uniforme; les innovations s'y introduisaient lentement, elles en changeaient les formes, sans y produire de révolution; et malgré l'influence des siècles, on retrouve encore des traces du même esprit, depuis les premiers troubadours portugais du douzième siècle, jusqu'aux poètes pastoraux de nos jours. Cependant cette littérature n'a pas plus échappé que toutes les autres à l'influence des événemens politiques et du gouvernement; et pour connaître sa grandeur et sa décadence, il faut, comme nous l'avons fait pour les autres nations, jeter un coup d'œil sur les révolutions de l'Etat. Chez les Portugais, comme chez les autres peuples, nous verrons encore une fois le même phénomène sur lequel nous avons, à plusieurs reprises, appelé l'attention : l'époque du plus grand éclat littéraire fut celle de la subversion des lois et des

moeurs; l'oppression commençait au moment même où le génie semblait donner l'essor le plus complet à sa liberté primitive. Ce génie avait été développé par la sagesse et la vertu du gouvernement précédent; mais, comme pour nous convaincre que rien de parfait n'est durable sur cette terre, les fruits de l'ordre et de la liberté n'avaient pas encore été récueillis par l'esprit humain, que déjà l'ordre et la liberté n'existaient plus. Les meilleurs poètes trouba¬ dours furent contemporains de la guerre des Albigeois; l'Arioste et le Tasse vécurent au moment de l'asservissement de l'Italie; Garci laso ét Cervantes virent la subversion des libertés de leur patrié ; le Camoëns mourut de douleur de l'anéantissement de la monarchie portu¬ gaise: mais dans chaque nation, les successeurs de ces grands hommes ne furent que des pygmées à côté d'eux.

Un grand changement, et un changement funeste quant à la liberté religieuse, avait été introduit dans les lois et les moeurs portugaises, dès le règne du grand Emmanuel. Nous avons vu que les habitans de tous les royaumes d'Espagne avaient appris à estimer les Maures pendant leurs longues guerres avec eux; qu'en faisant sur eux des conquêtes, ils les avaient gardés chez eux comme sujets et comme tribu÷ taires, et qu'accoutumés à vivre sous les mêmes

lois qu'eux, ils regardaient avec indulgence leurs différences d'opinions. Cette indulgence s'étendait aussi aux Juifs qui habitaient en trèsgrand nombre les différens royaumes d'Espagne; ils se disaient issus de la tribu de Juda, et leurs descendans se considèrent encore comme supérieurs d'origine aux Juifs du reste du monde. La ville de Lisbonne, une des plus commerçantes et des plus populeuses des Espagnes, contenait, jusqu'à la fin du quinzième siècle, un très-grand nombre de Maures et de Juifs, qui y faisaient fleurir les arts et le commerce. Le fanatisme d'Isabelle de Castille, et la politique de Ferdinand d'Aragon son mari, s'unirent pour dépouiller et chasser de leurs Etats ceux qui ne professaient pas la religion chrétienne. Ils établirent, d'après une législation toute nouvelle, le tribunal de l'inquisition, très-différent de celui que les papes avaient institué autrefois contre les Albigeois ; ils opprimèrent les Maures, et, en 1482, ils exilèrent tous les Juifs de leurs Etats, à la réserve de ceux qui se firent chrétiens, ou qui feignirent de le devenir. La plupart préférant leur religion à leur patrie, à leurs biens, et à toutes les jouissances de la vie, arrivèrent par milliers sur les frontières de Portugal, emportant l'argent comptant, et le peu d'effets qu'ils avaient pu soustraire au désastre de leur fortune. Le

roi Jean II, qui régnait alors, leur offrit, moins par humanité que par avarice, un asile qu'il leur fit payer cher. Moyennant une capitation de huit écus, il permit à tous les Juifs réfugiés d'Espagne de passer dix ans en Portugal, et il promit de leur donner à tous, au bout de ce terme, les moyens de sortir du royaume avec tous leurs biens, par la route qu'ils voudraient choisir. Cependant l'arrivée d'une nation toute entière, chez un peuple étranger, d'une nation dès long-temps condamnée par des préjugés barbares, et que ses lois et ses mœurs séparaient toujours de ceux au milieu desquels elle vivait, réveilla l'attention et la superstition du peuple. L'habileté supérieure des Juifs dans le commerce et tous les emplois lucratifs, excita la jalousie des bourgeois. Les Espagnols, qui venaient de les bannir, désiraient que leur exemple fût suivi par leurs voisins, et des religieux Castillans vinrent en mission en Portugal pour y prêcher le fanatisme. Les Juifs cependant, qui cherchaient à profiter des dix ans qui leur étaient accordés, pour transporter avec moins de perte leur famille et leur fortune dans un pays qui voulût enfin leur offrir un asile, trouvaient l'Europe entière fermée pour eux, et se voyaient réduits à préférer l'oppression et les avanies des pachas turcs', aux persécutions des prêtres. Ils traitaient successi

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vement avec les capitaines de vaisseaux portugais pour les transporter dans le Levant; mais ces marins, soumis eux-mêmes à l'influence des prêtres, se montraient chaque jour plus âpres et plus injustes envers les malheureux réfugiés. Loin de sentir que quiconque préfère les ordres de sa conscience à tous les avantages mondains, est digne de respect, ils haïssaient et méprisaient les Juifs de ce qu'ils demeuraient, fidèles à leur croyance. Après leur avoir demandé un prix excessif pour leur passage, ils les retenaient prisonniers sur leurs vaisseaux, jusqu'à ce qu'ils cussent consommé toutes leurs provisions, pour leur en vendre ensuite au poids de l'or, et pour les dépouiller jusqu'à leur dernier sou; ils leur enlevaient leurs femmes et leurs filles, et ils croyaient faire un acte de leur religion fanatique, en les soumettant au plus indigne de tous les outrages. Loin de rougir ensuite de leurs extorsions ou de leurs honteuses victoires, ils s'en glorifiaient, ils se les racontaient les uns aux autres, et ils s'exhortaient à faire encore pis. Aucun espoir de justice n'était offert aux malheureux Juifs, aucun tribunal ne voulait entendre leurs plaintes; quelques vains règlemens du roi Jean 11 en leur faveur ne furent jamais exécutés. Les Juifs qui n'avaient pas encore quitté le Portugal, sachant que sur ces funestes vaisseaux ils ne

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