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trouveraient de sûreté ni pour leurs personnes, ni pour leurs biens, préférèrent demeurer où ils étaient, plutôt que d'aller chercher des dangers inconnus. Ils laissèrent écouler les dix ans qui leur avaient été accordés. Sur ces entrefaites Jean II mourut (1495) se regardant comme lié envers eux par sa parole, il n'avait jamais permis qu'ils tombassent dans une complète oppression. Emmanuel, en montant sur le trône, se crut libre des engagemens pris par son père; Ferdinand et Isabelle le sollicitaient avec instance de sévir contre une nation qu'ils avaient rendue pour jamais ennemie. Emmanuel publia, en 1496, un édit par lequel il accordait aux Juifs un terme de peu de mois. pour sortir du royaume, sous peine, s'ils le laissaient écouler, d'être réduits en esclavage; mais avant que ce terme fût expiré, Emmanuel, suivant le récit de l'historien portugais Osorio : << Ne pouvant souffrir que tant de milliers » d'âmes s'allassent précipiter en damnation >> éternelle, pour garantir de ce danger les en>> fans des Juifs, s'avisa d'un expédient inique » et injuste à exécuter, et qui procédait toute>> fois d'une bonne volonté, et tendait à une » bonne fin; car il commanda que les enfans >> mâles Juifs, qui n'avaient pas encore atteint » l'âge de quatorze ans, fussent enlevés d'entre » les mains de leurs pères et mères, pour ne

>> plus les voir, et qu'ils fussent instruits au chris» tianisme. Or, cela ne pouvait se faire sans >> grand trouble; car c'était pitié de voir arra>> cher les petits enfans du giron de leurs mères, >> traîner les pères qui les tenaient embrassés, » et à grands coups de bâton les contraindre à >> lâcher prise; les cris horribles résonnans de >> tous les côtés, et l'air rempli des pleurs et la>>mentations des femmes. Il y en eut qui ne >> pouvant souffrir telle indignité, jetèrent leurs » enfans en des puits profonds; d'autres, trans>> portés de colère et de rage, se tuèrent de leurs ́» propres mains. Et pour accabler du tout cette >> misérable nation, après les avoir ainsi outra»gés, encore ne leur voulut-on permettre de » s'embarquer pour faire voile, et passer en » Afrique ; car le roi avait un tel désir que ces >> Juifs se fissent chrétiens, qu'il estimait qu'il »les y fallait attirer partie par amour, partie >> par force. Ainsi donc, combien que, selon >> l'accord, il fallait permettre aux Juifs de mon>> ter sur mer, cela se remettait de jour à autre, >> afin de leur donner temps pour changer >> d'avis. Suivant quoi aussi, au lieu que du >> commencement on leur avait assigné trois >>ports pour mettre à la voile, le roi fit défense » qu'aucun d'eux eût à s'embarquer en autre »port qu'en celui de Lisbonne, ce qui fit >> qu'une multitude innombrable de Juifs se

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» vint rendre là; mais cependant le jour limité >> échut, par ainsi ceux qui n'avaient eu moyen » de déloger, furent réduits en esclavage (1) ».

On voit par ce fragment, que le vertueux historien d'Emmanuel, Jérôme Osorio, ne partage pas les préjugés de ses compatriotes, et qu'il blâme leur cruauté. Il était né en 1506, et il mourut en 1580, évêque de Sylvez dans l'Algarve. L'esprit de tolérance qui perce dans son récit, devint, après sa mort, toujours plus rare en Portugal. Cependant c'est à cette odieuse violence que les Portugais ont dû le mélange singulier du sang juif avec celui de leur première noblesse. La plupart des Juifs, réduits en esclavage, rachetèrent leur liberté par une conversion simulée; on leur rendit leurs enfans, on les adopta dans les familles qui les avaient présentés au baptême, et on leur permit d'en prendre le nom. Ceux qui se refusèrent à cette dissimulation périrent dans la misère et sur les bûchers, et ont absolument disparu; mais les premiers qui n'osèrent pas affronter le martyre, n'ont pas été cependant infidèles au Dieu de leurs pères. On assure qu'ils élèvent leurs enfans dans Ja religion catholique, sans leur laisser deviner leur origine; mais lorsque ceux-ci sont arrivés à

(1) Jérôme Osorio, Histoire du roi Emmanuel, Liv. 1, C. 8, p. 15, de la traduction in-fol.

l'âge de quatorze ans, ce même âge, fixé par l'édit barbare d'Emmanuel, on les introduit tout à coup dans une assemblée religieuse de leur nation, on leur révèle leur naissance et les lois qui les condamnent, on leur demande de choisir entre le Dieu de leurs pères et celui de leurs persécuteurs, on met entre leurs mains une épée, et s'ils sont catholiques, on leur de mande pour toute grâce, pour tout égard au sang dont ils sont sortis, d'égorger eux-mêmes leur père, plutôt que de le livrer, comme leur foi les y oblige, à l'inquisition, qui le ferait périr dans d'atroces tourmens. S'ils s'y refusent, on leur demande de prendre l'engagement national de servir le Créateur de l'univers selon le culte des patriarches, des premiers pères du genre humain ; et l'on assure qu'il est sans exemple que, dans cette occasion solennelle, le jeune homme n'ait pas pris le parti le plus généreux.

Il est triste de voir avec quelle rapidité le fanatisme et l'intolérance, excités une première fois parmi le peuple, dépassèrent les vues de ceux mêmes qui avaient voulu les réveiller. En 1506, à l'occasion d'un juif nouvellement converti, qui avait paru ne pas croire un miracle, le peuple de Lisbonne l'égorgea et le brûla sur la place publique. Un moine prit la parole au milieu du tumulte, et exhorta le peuple à né

pas se contenter d'une si légère vengeance pour une si grande injure faite à Notre Seigneur. Deux autres moines, sóulevant des croix, se mirent à la tête des séditieux, en criant seulement ces mots : Hérésie! hérésie ! exterminez ! exterminez ! Et durant trois jours, deux mille nouveaux convertis, hommes, femmes et enfans, furent poignardés, jetés sur les bûchers, palpitans encore, et brûlés dans les places publiques. La même fureur, portée dans les armées, fit des soldats portugais les bourreaux des infidèles et les tyrans des Indes. Enfin, en 1540, Jean établit dans ses Etats les tribunaux de l'inquisition, que les progrès du fanatisme préparaient depuis un demi-siècle, et le caractère national fut absolument changé. La défaite du roi Sébastien, à Alcocer el Kibir, en 1578, était un événement fortuit; mais la soumission des Portugais à perdre leur indépendance, et à passer sous le joug de l'Espagne, était une conséquence de l'affaiblissement de leur ancien esprit national. Ils avaient montré précédemment dans plu→ sieurs occasions, mais surtout sous Alphonse 1 et sous Jean is, qu'ils ne faisaient point dépendre leur existence nationale des droits ou des pré→ tentions d'une femme, et qu'ils préféraient avoir pour roi un bâtard leur compatriote, plutôt qu'un souverain légitime, mais étranger. Les deux anciens héros du Portugal, Egaz

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