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gnols, les Portugais, avaient sans doute une richesse d'imagination, un coloris dans leur poésie, une chaleur, une sensibilité dont Boileau n'approchait pas; mais peut-être pour cette raison même la lecture de ses ouvrages leur aurait été plus utile qu'aux Français. En général, sa critique est toute négative; il montre les défauts, il arrête les écarts; mais il ne sent pas vivement, il n'inspire ni élévation ni enthousiasme; il ne songe pas même à échauffer l'imagination. I n'est nullement propre à donner aux Français ce qui leur manque, ce feu poétique réservé à d'autres nations; mais avec un esprit très-juste et beaucoup de finesse, il peut signaler aux yeux des autres nations ce qu'elles ont de trop, et les aider à le retrancher. C'est la critique française, portée chez les peuples du Midi, quia fait sentir la fausseté et le ridicule de l'école de Marini et de celle de Gongora. Les leçons d'Ignace de Luzan en Espagne, celles du comte d'Ericeyra en Portugal, étaient infiniment plus justes, plus vraies, mieux motivées que tout ce qu'on avait écrit jusqu'alors sur la critique en castillan et en portugais; et si elles ne firent pas produire des chefs-d'œuvre, ou même des ouvrages comparables à ceux qu'on avait vu naître avant la connaissance de ces règles, il faut s'en prendre non à cette législation nouvelle, et aux lumières qu'on avait empruntées à la France, mais à l'épuise

ment de la nation qui, après avoir perdu ses espérances et sa gloire, perdait aussi son originalité.

Les prôneurs du goût français en Italie, en Espagne, en Portugal, sont très-loin encore de la correction française, comme aussi de la sobriété d'ornemens, de la sagesse si souvent prosaïque des auteurs qu'ils prenaient pour modèles. Cependant ceux qui embrassaient avec tant d'ardeur une poétique contraire aux préjugés comme à l'éducation de leur pays, ne pouvaient pas être des gens bien pénétrés de l'esprit national, bien vivement remuables par la poésie nationale. Leurs essais devaient se ressentir du caractère individuel qui leur avait fait choisir un tel système; il faut les accuser euxmêmes, plus que les règles qu'ils ont suivies, de la froideur de leurs compositions. Ce ne sera qu'assez long-temps après l'introduction d'une nouvelle poétique, lorsque toute controverse sera finie, lorsque ses principes les plus essentiels ne seront plus contestés, qu'on pourra s'apercevoir de son influence. Alors peut-être elle servira de frein à ceux qui au commencement l'auraient volontiers rejetée, et elle leur sera plus utile qu'à tous les autres, parce que leur imagination, la vivacité de leur esprit, ou l'impétuosité de leurs sentimens, les entraînaient sans elle au-delà des bornes. „A

Le comte d'Ericeyra avait voulu donner à sa patrie une épopée nationale plus régulière et plus sage que celle du Camoëns. Il était facile de relever dans celui-ci la bizarrerie et la contradiction continuelle de ses deux mythologies, et le long oubli dans lequel il abandonnait le héros apparent de l'ouvrage, Vasco de Gama, pour tomber dans des dissertations historiques souvent sèches et ennuyeuses. Mais les conseils et les leçons de Boileau ne suffisaient point pour donner au comte d'Ericeyra cet enthousiasme national du poète soldat, cette rêverie mélancolique, cette auréole d'amour et de gloire qui colorait tous les objets que le Camoëns voyait au travers de ses rayons. L'Henriquéide est un récit d'événemens sagement conçu, sagement exécuté, mais qui n'est guère élevé au-dessus de la prose. Le héros est Henri de Bourgogne, fondateur de la monarchie portugaise, gendre d'Alphonse vi de Castille, et père d'Alphonse Henriquez. L'action est la conquête du Portugal sur les Maures : elle est racontée en douze chants et en strophes de rimes octaves. Toutes les règles poétiques sont soigneusement observées, aussi bien que la vraisemblance historique; un léger mélange de merveilleux est emprunté aux Sibylles et à la magie, et l'intérêt est passablement

soutenu.

Au commencement du poëme l'armée chré

tienne est en présence de l'armée des Maures commandés par leur roi Muley. Henri apprend que, dans son voisinage, une Sibylle, habitant dans une caverne, possède le don de prophétie; il quitte secrètement ses troupes pour se rendre auprès d'elle, et il ne parvient à son antre qu'à travers des dangers inouis. La Sibylle est chrétienne, et s'intéresse vivement au sort de ses armes, elle le dirige dans sa conduite, elle lui révèle l'avenir, et lui fait entrevoir la grandeur future du Portugal. Cependant l'armée chrétienne est attaquée par Muley; les soldats s'étonnent de ne point trouver leur chef; ils le croient perdu, ils s'ébranlent, et sont sur le point de s'enfuir, lorsque Henri revient à eux, et rétablit la fortune du combat. Après cet événement qui attache l'intérêt épique du poëme à son héros, viennent des batailles, des duels, des siéges, des conquêtes, entremêlées de quelques aventures d'amour; enfin la conquête de Lisbonne, qui termine le poëme. Ericeyra avertit lui-même, dans sa préface, qu'il a cherché à emprunter des beautés à tous les poètes épiques, Homère, Virgile, l'Arioste, le Tasse, Lucain et Silius Italicus; et, en effet, on reconnaît souvent dans ses vers des imitations classiques; mais on n'y trouve jamais la chaleur ou le sentiment qui avaient produit ces ouvrages dignes d'imitation. Le poëme tout en

tier est d'une froideur mortelle, et la beauté des vers, la beauté des détails ne sauraient suffire pour remplacer l'âme et la vie poétique (1).

(1) Voici quelques strophes de l'Henriquéide, pour faire juger du style, et d'abord le début.

Eu canto as armas, e o varao famoso,
Que deo a Portugal principio regio;
Conseguindo por forte e generoso

Em guerra e paz, o nome mais egregio;
E animado de espirito glorioso,
Castigou dos infieis o sacrilegio,
Deixando por prudente e por ousado
Nas virtudes, o imperio eternizado.

Europa foy da espada fulminante
Teatro illustre, victima gloriosa,
Asia vio no seu braço a cruz brilhante,
E ficou do seu nome temerosa :

De Africa a gente barbara, e triumfante,
Se lhe postrou rendida e receoșa,
Para ser fundador de hum quinto imperio
Que do mundo domine outro Emisferio.

L'arrivée de Henri à la grotte de la Sibylle.

Da horrenda gruta a entrada defendiao
Agudas folhas da arvore do Averno,
E enlaçadas raizes, que se uniao

Mais que de Gordio no embaraço eterno :
Penhascos desde a terra ao ceo sobiao,
Lubricos os fez tanto o frio inverno,
Que Henrique vio, subindo resolutos
Precipitarse os mais velozes brutos.

O mare a terra em horrida disputa
Gritavao, com clamores desmedidos:
Que nao entrassem na funesta gruta
Os que assim o intentavao, presumidos;

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