Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

torsions cruelles ; un million et demi de Maures ;

avaient péri par le fer et la misère, ou avaient été exilés de leurs foyers par Philippe П. La Hollande, le Portugal, la Catalogne, Naples et Palerme, étaient révoltés ; et le clergé, joignant son influence despotique à celle du ministère, cherchait, non à réformer des abus aussi odieux, mais à étouffer toute voix qui se serait élevée pour s'en plaindre. La réflexion, la pensée poli tique ou religieuse était punie comme un crime; et tandis que dans tout autre despotisme, les actions seules, ou la manifestation extérieure de l'opinion peut être atteinte par l'autorité, en Espagne les moines allaient chercher les sentimens libéraux jusque dans l'asile de la conscience pour les proscrire.

Ce sont les effets sur la littérature de ces règnes, si dégradans pour l'humanité, que nous devons examiner dans ce Chapitre : ils seront visibles, ils seront incontestables, sans que cependant cette époque soit la plus stérile de toutes pour les lettres. L'esprit humain conserve long-temps encore l'impulsion qu'il a reçue; il lui faut long-temps avant qu'il cesse de s'agiter dans le cachot où on l'a enfermé: il se fausse avant de s'apaiser, et il brille encore quelquefois pendant toute une période, depuis qu'il a perdu sa justesse et sa vérité. Nous avons déjà vu deux grands hommes qui vécurent princi

; nous

palement sous Philippe II et Philippe en verrons encore un qui parvint à sa plus grande gloire sous Philippe IV. Cervantes, Lope de Vega, Calderon, portent le caractère de leur siècle; mais ils ont aussi en eux, avant tout, leur génie individuel, puis l'ancien élan du caractère national qui n'était pas entièrement dompté. Parmi les poètes que nous passerons en revue dans ce Chapitre, nous trouverons encore beaucoup d'homines d'un vrai mérite, mais toujours plus corrompus par leurs contemporains et par leur gouvernement. Ce ne fut qu'au milieu du dix-septième siècle, que la nation s'endormit complètement; et son sommeil léthargique dura jusqu'au milieu du dixhuitième.

Les Espagnols avaient hérité des Maures l'amour de la recherche, de la pompe vaine et de l'enflure; ils s'étaient livrés avec ardeur, dès leurs premiers pas dans la littérature, à ce bel esprit oriental; leur caractère propre semblait même à cet égard se confondre avec celui des Arabes; car, avant la conquête de ceux-ci, tous les écrivains latins de l'Espagne ont eu, comme Sénèque, de l'enflure et la prétention du bel esprit. Lope de Vega était lui-même fortement entaché de ces défauts. Dans sa prodigieuse fertilité, il trouvait plus facile d'orner ses poésies de concetti, d'images hasardées et extrava

gantes, que de mesurer ce qu'il devait dire, et de modérer son imagination par le goût et la raison. Son exemple répandit parmi les littérateurs espagnols, cette manière d'écrire qui semblait plus en rapport avec leur caractère c'était celle que, dans le même temps, Marini adoptait en Italie. Marini, né à Naples, mais originaire d'Espagne et élevé parmi les Espagnols, avait le premier communiqué à l'Italie la recherche et le faux esprit qu'on trouve déjà dans les anciennes poésies de Juan de Mena; ensuite l'école des Seicentisti, qu'il avait formée, réagit sur l'Espagne, et y fit arriver à un bien plus haut degré qu'en Italie cette même recherche, cette même prétention, cette enflure et cette pédanterie qui pervertirent si complètement le goût; mais dans l'un et l'autre pays, la cause de ce changement devait être prise de plus haut; dans l'un et l'autre elle était la même. Les poètes avaient conservé de l'esprit en perdant toute liberté de penser; ils avaient conservé de l'imagination, sans pouvoir jamais s'approcher de la vérité, et leurs facultés, qui ne s'appuyaient plus l'une sur l'autre, qui n'observaient plus d'harmonie entre elles, devaient s'épuiser dans la seule carrière qui leur fût encore ouverte.

Le chef de cette école fantastique et précieuse, celui qui lui donna le ton, et qui voulut faire

une nouvelle époque dans l'art par une plus haute culture, comme il l'appelait, fut Louis Gongora de Argote, homme plein de talent et d'esprit, mais qui, par subtilité, par une fausse critique, détruisit méthodiquement son propre mérite. Il eut à lutter contre le malheur et la pauvreté. Né à Cordoue, en 1561, la manière brillante dont il avait fait ses études, ne servit point à lui faire trouver un emploi; ce ne fut qu'après avoir suivi onze ans la cour, qu'il obtint enfin avec peine un mince bénéfice ecclésiastique. Son mécontentement développa en lui un esprit caustique, qui fit long-temps le principal mérite de ses vers. Ses sonnets satiriques sont d'une excessive amertume: on en peut juger par celui sur la vie de Madrid..

<< Rassemblez une vie animale, mais enchan»tée; des harpies conjurées contre nos bourses, >> mille prétentions vaines sans cesse trompées, >> des écouteurs qui feraient parler le vent; des >> carrosses avec des laquais, des centaines de >> pages, des milliers d'habits avec des épées >> toujours vierges; des dames babillardes, des » méprises, des messages secrets, des auberges >> chères où tout ce qu'on mange est falsifié, des » mensonges à foison, des avocats, des prêtres » sur des mules, non moins obstinés qu'elles ; » des piéges, des rues sales, une boue éternelle, » des hommes de guerre à moitié estropiés, des

>> titres toujours accompagnés de flatteries, une » dissimulation constante; tel est Madrid, plu>> tôt tel est l'enfer (1) ».

Il réussit mieux encore dans les satires burlesques, en forme de romances ou de chansons. Son langage et sa versification avaient alors de la précision et de la netteté, et le naturel piquant de sa manière ne donnait pas lieu d'attendre. qu'il tînt ensuite école du style le plus précieux et le plus affecté. Ce fut froidement et par réflexion, non dans les bouillons d'une imagination encore jeune, qu'il inventa pour la poésie sérieuse un style plus élevé, qu'il nomma estilo culto. Dans ce but, il se forma, avec la recherche la plus pénible, un langage précieux, obscur, ridiculement figuré, et tout-à-fait étranger à la manière habituelle de parler et d'écrire ; il s'ef

[blocks in formation]
« VorigeDoorgaan »