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et plusieurs fois ambassadeur, pouvait avoir eu à démêler avec les tailleurs, pour leur garder une si longue rancune. Du reste, ces visions sont écrites avec une gaîté et une originalité qui deviennent plus piquantes encore par l'austérité du sujet. La première, el Sueno de las Calaveras, lui représente le jugement dernier. << A » peine la trompette fatale avait-elle sonné, dit» il, que je vis ceux qui avaient été soldats ou » capitaines, se lever tout en colère de leurs >> tombeaux, croyant entendre le signal de la » guerre; les avares se réveillaient dans les sou» pirs et l'anxiété par la crainte d'un pillage; » les gourmands et les désœuvrés prenaient ces >> sons pour le signal d'un festin ou d'une chasse. » Tout cela se connaissait sur leurs visages, et >> je vis que le bruit de la trompette n'arrivait >> à pas un d'eux qui la reconnût pour ce qu'elle » était. Je vis ensuite comment quelques âmes >> fuyaient, les unes avec dégoût, les autres avec >> effroi, de leurs antiques corps; à l'une man» quait un bras, à l'autre un oeil : je riais de » la diversité de leurs figures, et j'admirais » la providence, de ce qu'étant entassés en» semble, perssonne ne se mettait par erreur les » jambes ou les bras de son voisin. Je ne vis » qu'un seul cimetière où il me parut que les » morts troquaient leur tête entre eux; je vis >> aussi un greffier à qui son âme n'allait pas

» bien, qui, pour n'en être pas responsable, >> prétendait qu'on la lui avait changée, et que >> ce n'était pas la sienne..... Cependant, ce qui » m'étonna le plus, ce fut de voir le corps de >> deux ou trois marchands qui avaient enfilé » leur âme à l'envers, de sorte qu'ils se trou» vaient avoir les cinq sens de nature aux cinq >> ongles de la main droite...... ».

Il n'y a pas moins de gaîté, et sur des sujets moins tristes, dans la Correspondance du chevalier de la Tenaza, qui enseigne toutes les manières de refuser un service, un présent ou un prêt qu'on lui demande; dans les Conseils aux amateurs du langage cultivé, où Gongora et Lope de Vega sont persiflés très-plaisamment; dans le Livre sur tous les sujets et beaucoup d'autres encore; dans l'Heure de tout le monde, où la fortune, pour une fois seulement, sert chacun selon son mérite; enfin, dans la Vie du grand Tacaño, roman dans le genre de Lazarille de Tormes, qui peint, d'une manière trèsdivertissante, les mœurs nationales.

Une des choses qui frappent le plus dans ces tableaux de la vie domestique des Castillans c'est l'excès de misère qui peut s'accorder avec l'excès d'orgueil ou de paresse. Parmi les pauvres des autres pays, on voit des privations de différens genres, des craintes, des maladies des souffrances; mais la faim est une calamité

que les plus misérables n'éprouvent presque jamais, et s'ils y sont réduits, elle les jette dans le désespoir. A en croire les romans castillans, une partie considérable de la population lutte habituellement en Castille contre la faim, et ne songe jamais à s'y soustraire par le travail. Une foule de pauvres gentilshommes, et tous les chevaliers d'industrie se soucient très-peu des besoins du luxe, c'est le pain qui leur manque, et leurs divers stratagèmes ne tendent le plus souvent qu'à se procurer un morceau de pain sec. Après l'avoir mangé, ils veulent encore paraître dans le monde avec dignité, et l'art d'accommoder des haillons, de manière à faire croire qu'ils portent une chemise et des habits sous leurs manteaux, est la principale étude de leur vie. Ces tableaux, qui se retrouvent dans plusieurs ouvrages de Quevedo, et dans tous les romanciers de l'Espagne, ont une trop grande apparence de vérité, pour avoir été inventés à plaisir; mais avec quelque gaîté, quelque originalité qu'ils soient dessinés, ils finissent par laisser une impression pénible, et signaler un grand vice national, dont la correction devrait être le premier objet des soins du législateur.

Les poésies de Quevedo sont réunies en trois gros volumes, sous le nom de Parnasse espagnol. Il les a divisées, en effet, sous l'invocation des neuf Muses, comme pour montrer qu'il avait

atteint toutes les branches de la littérature et chanté sur tous les sujets. Cependant, ses neuf classes rentrent les unes dans les autres; ce sont presque toujours des poésies lyriques, des pastorales, des allégories, des satires et des poésies burlesques. Sous l'article de chaque Muse il range un grand nombre de sonnets: il en a écrit plus de mille, et plusieurs sont. d'une grande beauté; tel est, à mes yeux, celui-ci sur la décadence de Rome, que j'ai essayé de traduire.

O Rome!l'on te cherche ; eh! qui pourrait le croire? Dans Rome l'étranger ne saurait te trouver;

Il voit tes ossemens où jadis fut ta gloire,
Sur des palais déserts l'Aventin s'élever.

Ces longs débris des murs qui t'auraient dû sauver,
Du temps qui te consume attestent la victoire ;
Le mont, qui des Césars garde en vain la mémoire,
L'orgueilleux Palatin n'a pu se conserver.

Le Tibre seul demeure, et son onde plaintive, Qui baigna tes palais, pleure sur tes tombeaux; De sourds gémissemens se brisent sur sa rive.

Tes marbres sont rompus, tes monumens si beaux Sont déserts, sont détruits; mais une fugitive, L'onde, t'amène encor le tribut de ses eaux (1).

(1) A Romu sepultada en sus ruinas, Clio 3.

Buscas en Roma á Roma, ó peregrino !

Y en Roma misma á Roma no la hallas:

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Après les sonnets, ce sont les romances dont Quevedo a laissé le plus grand nombre. Danş ces petits vers, dont la mesure et la rime ne causent presque aucune gêne, il a mis souvent les satires les plus piquantes, le plus de gaîté, quelquefois même de facilité et de grâce ; quoique ces dernières qualités s'accordent peu avec son désir constant de briller d'autre part, ces romances, toutes pleines d'allusions et de mots empruntés de différens jargons, sont très-difficiles à comprendre. Je ne citerai que quelques strophes de celle qu'il écrivit sur sa mauvaise fortune. C'est un spectacle toujours digne d'attention que la manière dont un homme de génie lutte contre le malheur, et les armes dont il se sert pour en triompher. Lorsqu'il a éprouvé des infortunes aussi sévères que Quevedo, ses plaisanteries sur son mauvais sort, lors même

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