Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

tienne, par tout ce qui tient à l'Église, et par toute la partie du peuple qui est plus immédiatement sous l'influence des prêtres; aussi dans aucun pays au monde les assassinats n'ont été plus fréquens qu'en Italie et en Espagne. A peine dans le dernier pays voyait-on une fête de village, sans qu'il y eût un homme tué. Cependant ce crime devait paraître bien plus grave à des peuples superstitieux, puisque dans leur croyance, le jugement éternel dépend, non point du cours de la vie, mais de l'état de l'âme au moment de la mort; en sorte que celui qui est tué, étant presque toujours au moment d'une rixe dans un état d'impénitence, ils n'ont pas de doute que presque tous ne soient condamnés aux flammes éternelles de l'enfer. Mais les Espagnols' ni les Italiens ne consultent jamais leur raison sur leur législation morale; ils s'en fient aveuglement aux décisions des casuistes, et lorsqu'ils ont subi les expiations que leur imposent leurs confesseurs, ils croient s'être lavés de tout crime. Or, ces expiations ont été rendues d'autant plus faciles, qu'elles sont la source des richesses du clergé. Une fondation de messes pour l'âme du défunt, une aumône à l'Église, un sacrifice d'argent enfin, tant soit peu proportionné à la richesse du coupable, suffisent toujours pour effacer la tache du sang. Les Grecs, dans les temps hé

roïques, avaient aussi exigé des expiations, avant de permettre aux meurtriers de rentrer dans les temples; mais ces expiations, loin d'affaiblir l'autorité civile, avaient été inventées pour la remplacer; elles étaient longues et sévères; le meurtrier faisait une pénitence publique, il se sentait souillé par le sang qu'il avait versé. Aussi, parmi des peuples impétueux et demi-barbares, l'autorité de la religion, d'accord avec l'humanité, arrêta-t-elle l'effusion du sang humain, et rendit-elle les assassinats plus rares dans toute la Grèce, qu'ils ne le sont dans un seul village d'Espagne.

Il n'y a peut-être pas de pièce de Lope de Véga qui ne pût être citée à l'appui de ces réflexions, et qui ne montrât dans le caractère national, le mépris pour la vie d'autrui, la criminelle insouciance sur le mal qu'on cause, dès qu'on peut l'expier à l'église, l'alliance de la dévotion à la férocité, et l'admiration du peuple pour les hommes rendus célèbres par de nombreux homicides. Mais je choisirai, pour mettre ces opinions plus en évidence, la comédie de Lope de Vega, intitulée la Vie du vaillant Cespédès. Elle nous transportera au milieu des camps de Charles-Quint; elle nous fera connaître comment se composaient ces armées qui écrasaient les protestans et qui faisaient trembler l'Allemagne, et elle complétera, en quelque

[ocr errors]

sorte, le tableau historique de ce règne, si marquant dans les révolutions de l'Europe, en nous montrant le caractère et la vie privée de ces soldats que nous sommes accoutumés à ne voir agir qu'en masse.

Cespédès, gentilhomme de Ciudad-réal, dans le royaume de Tolède, était un soldat de fortune de Charles - Quint, renommé pour sa vaillance et sa force prodigieuse. La sœur de ce Samson espagnol, dona Maria de Cespédès, n'était guère moins vigoureuse que lui. Avant de s'engager au service, il avait, pendant longtemps, invité tous les charretiers, tous les portefaix, à venir lutter avec lui, ou disputer à qui soulèverait les poids les plus considérables; et, lorsqu'il était absent de la maison, Dona Maria, sa sœur, prenait sa place, et luttait avec le premier venu. La pièce s'ouvre par une scène entre cette jeune demoiselle et deux charretiers de la Manche, qui joûtent contre elle à qui lancera plus loin une pesante barre de fer. Elle est plus forte que tous deux, et elle leur gagne leurs équipages et une quarantaine d'écus, car elle ne faisait jamais ses preuves de force gratis ; cependant, elle leur rend généreusement leurs mulets, et ne garde que l'argent. Un gentilhomme amoureux d'elle, nommé don Diego, se déguise en paysan, et vient lui demander de lutter avec elle, non dans l'espérance d'être victo

rieux, mais afin de se trouver, en luttant, entre ses bras. Il dépose pour gages du combat quatre doubles d'Espagne; elle les accepte, et la lutte commence; mais pendant que leurs bras sont entrelacés, don Diego lui adresse des propos de galanterie qui l'étonnent. « Y a-t-il, Madame, >> lui dit-il, une gloire égale à celle de me trou>>ver entre vos bras? Quel est le prince qui » pourrait à présent occuper un plus beau lieu? >> On raconte qu'un homme osa s'élever avec >> des ailes de cire, à la sphère ardente du soleil; >> mais on ne dit point qu'il luttât avec lui; et >> si seulement, pour être monté si haut, il fut » précipité dans la mer, comment pourrait vivre >> encore celui qui a tenu le soleil entre ses bras? » MARIE. Vous, paysan?

>> DIEGO. Je ne sais.

» MARIE. Votre langage, et l'ambre dont vous » êtes parfumé, excitent mes craintes.

>> DIEGO. Le langage, c'est en vous que je l'ai >> trouvé; car vous avez donné la lumière à mon >> âme ; l'odeur est celle des fleurs sur lesquelles >> j'ai dormi dans la prairie, en songeant à mon

» amour.

» MARIE. Quittez mes bras.

>> DIEGO. Je ne puis ».

Marie se confirme dans le soupçon qu'il est gentilhomme; elle ne veut plus lutter avec lui; cependant elle est touchée de sa galanterie ; et,

comme son frère revient dans ce moment, elle fait cacher don Diego, pour le soustraire à sa défiance. Cespédès entre, et raconte à sa sœur comment sa maîtresse lui ayant donné un œillet, qu'il avoit mis à son chapeau, Pero Trillo, amoureux de la même femme, en avait ressenti de la jalousie, ils s'étaient battus, Cespédès l'avait tué, et il rentrait chez lui dans ce moment pour prendre quelque argent, engager Bertrand, un de ses paysans, à le suivre comme écuyer, et partir pour la Flandre, afin de servir l'empereur. Il s'éloigne, en effet, dans la persuasion que la justice ne tardera pas à venir le chercher. A peine est-il parti, que le corrégidor arrive avec des alguazils pour visiter la maison, et chercher le coupable. Dona Maria considère cette visite comme une offense, elle appelle à son aide don Diego, elle tue deux ou trois alguazils, et blesse le corregidor, et elle se réfugie ensuite dans l'église, pour se soustraire à la première fureur du peuple. Nous la verrons bientôt passer de là en Allemagne, en habit de soldat, avec don Diego.

Cependant on suit Cespédès dans le cours de son voyage; on le voit arrivant à Séville, avec Bertrand son écuyer, prenant querelle dans les rues avee des escrocs, et les poursuivant à coups de couteau; s'attachant à des courtisannes, et s'engageant pour elles dans de nouvelles ba

« VorigeDoorgaan »