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JOURNAL

DES SAVANTS.

MARS 1844.

RAMAYANA, poema indiano di Valmici, testo sanscrito secondo i codici manoscritti della scuola Gaudana, per Gaspare Gorresio, socio della reale Academia delle scienze di Torino. Vol. I et II. Parigi, della Stamperia reale, 1843 et 1844, gr.

in-8°.

Les deux volumes à l'examen desquels est consacré cet article renferment le texte sanscrit des deux premiers chants d'un poëme qu'un des plus grands écrivains de l'Allemagne a déjà rendu presque populaire chez nos voisins: c'est le commencement du Râmâyana, dont Marshmann et Carey ont publié, dans les premières années de ce siècle, trois volumes avec une traduction anglaise, et dont M. de Schlegel a donné deux chants accompagnés d'une version latine empreinte de ce goût exquis, et de ce sentiment parfait de l'antiquité, qui ont placé si haut son auteur parmi les critiques de notre temps. Pour apprécier convenablement ces deux ouvrages, il y aurait, sans doute, à dire autant de mal du premier que de bien du second; mais il nous en coûterait de revenir sur les essais des deux missionnaires qui ont, les premiers, rendu à la littérature indienne le service d'appeler l'attention des savants sur une des plus belles productions du génie brahmanique; et quant à l'œuvre de M. de Schlegel, tous ceux qui l'ont étudiée savent que sa valeur propre n'a pas besoin, pour paraître dans tout son jour, de l'avantage qu'il serait si facile de lui donner sur celle des éditeurs de Serampore. La récente publication de M. Gorresio m'impose une tâche que j'accepte avec plus de plaisir, parce qu'elle me fournit l'occasion de faire connaître le travail d'un jeune savant qui s'est, par son début,

placé au rang des maîtres, et qu'on peut louer après M. de Schlegel, avec l'assurance qu'on n'exalte pas plus l'un qu'on ne déprécie l'autre.

Une circonstance particulière, qui est à elle seule un fait d'une grande importance dans l'histoire du Râmâyana, assure au travail de M. Gorresio une valeur durable et indépendante même du mérite de l'exécution, c'est qu'il est consacré à la reproduction fidèle et complète d'une rédaction du poëme, qui diffère notablement de celle qu'a choisie M. de Schlegel. Il fallait même un fait de ce genre pour expliquer, sinon pour justifier, la publication d'une édition nouvelle d'un ouvrage déjà si bien commencé. Comment croire, en effet, que M. Gorresio eût songé à publier pour la troisième fois un poëme dont les deux premiers chants étaient déjà soigneusement édités par M. de Schlegel, quand la littérature indienne est encore si peu connue, et que les bibliothèques de Londres, de Berlin et de Paris, possèdent tant d'ouvrages si dignes de voir le jour? Mais c'est qu'en réalité le texte de M. Gorresio n'est pas celui de M. de Schlegel; c'est que ces deux textes se distinguent l'un de l'autre par des différences sensibles, différences qui ne sont pas l'œuvre d'une critique arbitraire, mais qui sont avouées par les brahmanes eux-mêmes, et que l'on connaît, depuis l'édition de M. de Schlegel, par les noms de recension des commentateurs et de recension bengalie.

Je n'ai pas besoin d'insister sur l'intérêt d'un fait de ce genre auprès des lecteurs auxquels sont familiers les grands et ingénieux travaux entrepris de nos jours sur l'épopée homérique. Avec quelle curiosité n'accueillerait-on pas une rédaction de l'Iliade différente de celle qu'on admire depuis des siècles, si cette rédaction était ancienne, authentique, si elle portait avec elle la preuve qu'elle a été le patrimoine d'une école, et l'objet des travaux de nombreux scholiastes! Avec quel soin ne relèverait-on pas les faits nouveaux qu'elle ferait connaître, les développements qu'elle donnerait à certaines parties du poëme, les lacunes qu'on y remarquerait, et jusqu'aux plus délicates nuances qu'il serait possible de découvrir dans l'expression des idées qu'elle posséderait en commun avec la rédaction traditionnelle! Et le soin qu'aurait pris un éditeur, de publier un texte de ce genre, ne passerait-il pas pour un des services les plus signalés qu'on eût rendus aux lettres grecques et à l'histoire de l'épopée antique? Or, ce que je viens de supposer pour l'Iliade existe en réalité pour le Râmâyana. Nous possédons de ce poëme deux rédactions également célèbres, élucidées toutes deux par les travaux des commentateurs, répandues toutes deux dans de vastes provinces, entre lesquelles la critique a, sans contredit, le droit de choisir, mais qu'elle a

le devoir de faire connaître également au public, dans l'intérêt d'une des questions littéraires les plus neuves et les plus curieuses. C'est ce devoir que M. Gorresio commence à remplir pour sa part, avec un soin et un zèle qui prouvent qu'il joint, au sentiment le plus vif des beautés poétiques, l'intelligence parfaite de la grande question à la solution de laquelle son édition doit puissamment contribuer.

Les deux volumes que nous avons sous les yeux ne sont pas encore accompagnés de la traduction que se propose d'en faire l'auteur; mais nous savons que cette traduction ne se fera pas longtemps attendre; et, dans le fait, l'éditeur doit désirer de reproduire, dans une langue européenne, un texte auquel il a déjà consacré tant de soins et de veilles. Nous pouvons cependant juger, par ces deux volumes, de la méthode qu'il a suivie et des questions qu'il a résolues ou qu'il s'est posées, avant de choisir la rédaction du Râmâyana, dont il donne en ce moment une portion considérable au public. Ces deux volumes sont précédés de deux introductions, dont la première, qui occupe plus de cent quarante pages, est écrite avec une élévation de vues qui ne nuit jamais à la clarté de l'exposition. C'est un morceau très-remarquable, auquel il importe de nous arrêter un instant, si nous voulons apprécier à sa juste valeur l'importance de l'œuvre à laquelle s'est dévoué M. Gorresio.

Lorsque Carey et Marshmann commencèrent, en 1826, leur édition du Râmâyana, ils n'ignoraient pas qu'il existait de ce poëme deux rédactions différentes, non-seulement sous le rapport de l'étendue, mais sous le point de vue beaucoup plus important du fond et plus souvent encore de la forme. Cependant, soit qu'ils se crussent l'autorité nécessaire pour combiner les deux rédactions en une seule, soit qu'ils ne se fissent pas une idée très-nette de l'importance des questions que l'existence de cette double rédaction devait un jour faire naître, ils les confondirent arbitrairement, et, comme l'a bien montré M. de Schlegel, sans goût et sans critique. Vingt ans plus tard, quand cet écrivain illustre entreprit de donner à l'Europe une édition vraiment scientifique du Râmâyana, il comprit qu'il fallait faire un choix entre ce qu'on peut appeler les deux éditions indiennes, et il prit pour base de son travail la rédaction qu'il nomma celle des commentateurs, parce qu'il en trouvait des manuscrits accompagnés de scholies développées. L'autre rédaction, celle du Bengale, fut cependant consultée par lui, et il y fit même quelques emprunts; mais ces modifications rares ne changèrent pas le caractère de son texte, qui, comme l'établit M. Gorresio lui-même, peut passer, en général, pour la reproduction fidèle de la ré

daction qui diffère le plus de celle du Bengale. Indépendamment de diverses considérations qu'il fait valoir dans sa préface latine, M. de Schlegel fut frappé des secours qu'offrait à l'interprétation et à la critique l'existence du commentaire dont une des rédactions était accompagnée, et il montra tout ce que le travail des glossateurs avait dû donner de précision et de régularité à un texte qui se trouvait par là mis à l'abri des interpolations et des changements auxquels la recension non commentée avait pu rester exposée. Mais, et ceci est un des faits les plus intéressants que nous apprenne le nouvel éditeur, M. Wilson avait, depuis la publication de M. de Schlegel, rapporté de l'Inde un manuscrit de la recension du Bengale, accompagné d'un commentaire perpétuel par Lôkanâtha. L'auteur de ce commentaire citait trois glossateurs qui l'avaient précédé; de sorte que M. Gorresio, pendant son séjour à Londres, trouva du même coup et une suite d'autorités respectables en faveur de la rédaction qu'il avait choisie, et le moyen de la replacer, en ce qui touche l'avantage d'avoir été fixée par un commentaire, au même rang que la recension dite des commentateurs. Aussi est-il devenu nécessaire de distinguer par un autre nom cette recension ellemême, et M. Gorresio propose de l'appeler septentrionale, parce qu'on croit qu'elle a été exécutée dans le nord de l'Inde. Il nomme celle qu'il suit Gaudâna ou recension de Gaur, du nom de la capitale du Bengale, où elle a été exécutée. Nous désirerions, pour notre part, qu'il fût possible d'établir d'une manière certaine que la rédaction du nord a été faite à Bénarès. Il semble, en effet, qu'un travail de ce genre n'ait pu être tenté ni accompli que dans un centre puissant de culture intellectuelle.

Mais, une fois les deux recensions placées sur le pied d'une égalité complète en ce qui touche l'existence d'un commentaire, il reste encore l'ensemble des autres raisons qu'avait fait valoir M. de Schlegel en faveur de son choix, et que M. Gorresio est obligé d'examiner de plus près pour justifier le sien. Cette discussion intéressante est conduite par le nouvel éditeur avec un sens critique très-heureux, et, ce qui n'est pas moins louable, avec un respect profond pour la grande autorité littéraire dont il combat quelquefois les jugements. C'est avec une égale mesure qu'il examine les opinions de Lassen, qui a mis au service de la thèse de M. de Schlegel les ressources de son vaste savoir et de sa rare sagacité. Tout en accordant que la rédaction du Bengale pouvait avoir puisé à des sources anciennes et originales, M. de Schlegel avait dit qu'elle avait conservé moins fidèlement que celle du nord la couleur antique du poëme, en ce qu'elle avait arbi

trairement modifié la rédaction primitive, et en avait quelquefois rajeuni la diction. Le caractère de clarté qui la distingue lui avait paru une preuve de postériorité, et il lui avait semblé que le seul désir d'innover était la cause des différences qu'on remarque entre cette recension et celle du nord. En adoptant ces conclusions, M. Lassen était allé plus loin encore : il avait contesté que les éditeurs bengalais eussent eu sous les yeux une tradition originale; il avait avancé qu'ils n'avaient probablement connu que la rédaction du nord, et qu'ils l'avaient abrégée ou développée dans le seul désir de se faire une recension nouvelle, à peu près comme le grammairien du Bengale, Vôpadêva, qui avait voulu, par des changements superficiels apportés au système antique de Pânini, introduire une nouvelle nomenclature grammaticale. Enfin, ajouta-t-il, ce qu'on connaît de l'histoire du Bengale rend peu vraisemblable qu'on ait pu y conserver une tradition ancienne du Râmâyana fondamentalement différente de celle du nord.

En présentant sous une forme très-brève les raisons de ses devanciers, M. Gorresio ne les affaiblit pas pour cela, et ne s'en dissimule ni la force ni la valeur; mais il ne s'en croit que plus obligé à examiner le sujet avec une attention scrupuleuse, et ses recherches le conduisent à cette conclusion, que la recension du Bengale n'est en aucune façon un remaniement de celle du nord, qu'elle en est tout à fait indépendante, qu'elle représente une autre tradition du poëme, qu'il est difficile de dire laquelle mérite la préférence, quoique la recension bengalie lui paraisse avoir sur celle du nord l'avantage d'une meilleure exécution. Telles sont les propositions à la démonstration desquelles M. Gorresio consacre plus de cent pages de sa préface. On comprend que nous ne puissions analyser en détail cette discussion souvent trèssolide et toujours fort ingénieuse. Parmi les raisons que produit l'éditeur, beaucoup sont de celles qu'on est convenu d'appeler de sentiment, et l'appréciation, qui en est déjà fort délicate lorsqu'on a le texte sous les yeux, devient presque impossible à un lecteur auquel on les montre isolées. Mais il en est d'autres qui ont, si j'ose parler ainsi, une consistance plus réelle, et à l'occasion desquelles il nous est possible d'exposer brièvement la méthode et les idées de l'éditeur.

Une des premières sur lesquelles insiste M. Gorresio est la réfutation de la théorie qui veut que la recension du Bengale ne possède rien en propre, et qu'elle suive, au contraire, pas à pas celle du nord. En effet, lui objecte-t-on, si la recension du Bengale dérivait d'une source différente de celle du nord, cette différence d'origine se ferait clairement sentir, et les deux recensions seraient actuellement plus dissem

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