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plication injurieuse à Maximin. M. du Méril, en publiant ce morceau d'après Julius Capitolinus, a conjecturé, dans une note, que ce pourrait bien n'être que la traduction en prose d'un des ποιήματα αὐτοoxesía dont parle Denys d'Halicarnasse. Cette pensée, fort juste, aurait dû le tenir plus en éveil. Capitolinus, en effet, d'où cette citation est tirée, et que M. du Méril a lu en cet endroit avec trop peu d'attention, donne expressément le passage dont il s'agit comme la traduction faite par lui de certains vieux vers grecs. Je vais copier cette historiette entière, non pour insister sur la très-vénielle inadvertance échappée à l'éditeur, mais parce que cette anecdote est en soi curieuse et singulière. « Le féroce Maximin, dit Capitolinus, doué d'une stature colossale, se fiait en sa force et se croyait immortel. Un jour qu'il était au théâtre, un mime, profitant de l'ignorance de ce barbare, prononça des vers grecs dont le sens en latin était : « Celui qu'un seul ne peut tuer succombe « sous les coups de plusieurs : l'éléphant est un animal énorme, et on le « tue; le lion et le tigre sont pleins de force et de courage, et cependant « on les tue. Garde-toi de la multitude, si tu ne crains pas les particu<«liers. » L'empereur ayant demandé aux courtisans qui l'entouraient le sens de ce que le mime avait dit, ceux-ci lui répondirent qu'il avait chanté d'anciens vers composés contre des hommes d'humeur brutale ; et lui, Thrace et barbare qu'il était, ajouta foi à l'explication 2. » On voit qu'il n'y a dans ce récit absolument rien pour la poésie latine, populaire ou autre.

Le fragment des frères Arvales, donné, d'après le texte de Marini, par M. du Méril, mais avec des changements qui nous paraissent, sur plusieurs points, controversables, offre plutôt les caractères d'un chant religieux que ceux d'un chant populaire. Cependant, comme il est possible que le peuple de Rome répétât cette prière avec les prêtres, et que, dans tous les cas, ce morceau est une des plus respectables reliques de l'ancienne langue latine, on ne peut qu'approuver le savant éditeur d'avoir ouvert son recueil par ce précieux fragment. Seulement, dès qu'il y admettait ce morceau, on est en droit de s'étonner qu'il en ait rejeté les trois fragments qui nous sont parvenus des chants saliens. Les vers des prêtres de Mars, s'ils n'étaient pas populaires, étaient au moins nationaux, puisque ceux de ces cantiques que l'on nommait axamenta renfermaient, dit-on, l'éloge des grands hommes de la république, ce qui les a fait appeler par Denys d'Halicarnasse πατρίες τινὰς ὕμνος 3.

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Poésies populaires latines, p. 111, n. 3. Voy. Julius Capitol. Maximin. cap. ix. Dionys. Halicarn, lib. II, cap. LXX. M. du Méril appelle Panathénées la fête où les prêtres saliens se promenaient en chantant dans tous les quartiers de Rome

Quant au Pervigilium Veneris, nous ne pouvons approuver, en aucune manière, la présence de cette pièce dans une collection de poésies populaires. Il nous est impossible d'admettre, avec M. du Méril, qu'un morceau d'une diction aussi recherchée ait jamais fait partie d'aucune liturgie sérieuse et solennelle. Nous croirions plutôt, à la mollesse tout aristocratique des idées et du langage, que ce petit poëme, s'il a été chanté, comme l'indiquent le refrain et la coupe musicale des strophes, n'a pu l'être que dans le voluptueux palais d'un grand seigneur de Rome, d'Othon peut-être, pendant une nuit vouée à Vénus. Le couplet suivant, pris au hasard, n'est-il pas tout à fait dans la manière gracieuse et coquette de Gentil-Bernard?

Ipsa nymphas diva luco jussit ire myrteo.

It

puer comes puellis: nec tamen credi potest Esse Amorem feriatum, si sagittas vexerit.

Ite, nymphæ posuit arma, feriatus est Amor.

:

Jussus est inermis ire, nudus ire jussus est;

Neu quid arcu, neu sagitta, nec quid igne læderet.

Sed tamen cavete, nymphæ, quod Cupido pulcher est.

Totus est in armis idem, quando nudus est Amor.

Cras amet, qui nunquam amavit; quique amavit, cras amet.

Nous aurions préféré, comme échantillon de poésie liturgique païenne, soit le fragment de l'hymne pour la fête des Lupercales, que nous a conservé Servius1, soit l'invocation aux Muses citée dans le III livre de saint Augustin, De musica2, soit même le Carmen seculare d'Horace. En résumé, nous ne voyons guère de vraiment populaire, dans cette partie du recueil de M. du Méril, que quelques vers de la chanson des soldats d'Aurélien et le refrain du chant de la sixième légion : « Mille Francos, <«<mille Sarmatas occidimus, mille, mille, mille Persas quærimus, » qui rappelle le chant presque identique qu'on fit dans le chapitre xviii du I livre des Rois : « Percussit Saül mille, et David decem millia. Les vrais chants populaires de l'ancienne Rome étaient les Carmina, ou incantations métriques, recettes superstitieuses contre les vents, contre la grêle, contre les épidémies, et auxquelles le peuple avait encore foi du temps de Pline3; c'étaient les joyeusetés fescenniennes qui se chantaient aux noces, et dont l'usage s'est maintenu fort longtemps

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(p. 12, n. 6). Jamais aucune fête ne porta, à Rome, le nom de cette solennité athénienne. Servius, ad Egl. I, v. 20. Quelques critiques pensent que ce fragment a fait partie d'un chœur de tragédie, et l'attribuent à Pomponius Secundus ou à Sénèque. Les preuves manquent pour établir ou combattre cetle assertion. ' Plin. Hist. nat. lib. XVIII, cap. v.

dans la société chrétienne; c'étaient les vers saturniens qu'on chantait dans les triomphes, et les inscriptions en vers que les triomphateurs eux-mêmes faisaient graver sur des tables d'airain au Capitole. Mais, de toute cette poésie, la seule qu'on puisse appeler populaire, il subsiste à peine quelques vestiges.

Cependant je ne puis croire que, en étudiant plus attentivement les textes, M. du Méril ne fût parvenu à grossir un peu sa récolte. Pour ne citer qu'un exemple, il me semble que les deux fragments du chant historique relatif au dictateur Camille et au maître d'école falisque, fragments qu'on lit dans Priscien1 et qu'a reproduits Wernsdorf 2, auraient pu, quoique probablement composés du temps d'Auguste ou de Tibère, trouver convenablement leur place dans la présente collection.

Au reste, la seconde et surtout la troisième partie du livre de M. du Méril, dans lesquelles sont réunis les chants latins de l'époque chrétienne, offrent incomparablement plus d'intérêt et de richesses que la partie un peu vide, comme on vient de le voir, qu'il a consacrée aux poésies païennes. Dans les deux séries qui suivent, les pièces sont beaucoup plus curieuses et plus abondantes; et, ce qui mérite surtout d'être remarqué, les unes sont publiées pour la première fois, les autres ont été soigneusement revues sur des manuscrits plus complets ou plus corrects. C'est là un service considérable rendu à la littérature du moyen âge. Ces travaux de première publication ou de collation savante assurent à M. du Méril un rang honorable parmi les laborieux et intelligents érudits de ce siècle, MM. le baron d'Aretin, Docen, Massmann, Mone, Daniel, Th. Wright, Ferd. Wolf, etc., qui, sur les traces des Muratori, des Gerbert, des Lebeuf, et, de nos jours, sous la bannière de l'illustre Jacques Grimm, se sont voués à la recherche et à la publication des poésies latines du moyen âge.

L'auteur, comme nous l'avons dit, a divisé en deux sections les pièces qui appartiennent à l'époque chrétienne. La première contient les sujets religieux, la seconde les sujets profanes. La section religieuse se compose des morceaux suivants : une hymne pour le jour de l'Épiphanie, en quatrains monorimes, composée par saint Hilaire; une hymne en rimes plates, sur sainte Agathe, attribuée au pape saint Damase ou au poëte Prudence (car il y a doute); une pièce monorime, en vers de seize syllabes, partagée en strophes abécédaires 3, composée par saint Augus

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1 Priscian. lib. VIII, p. 823, et lib. XII, p. 947, ed. Putsch. Wernsdorf, Poetæ Latini min. t. II, p. 28, ed. Lemaire. On appelle alphabétiques ou abécédaires les poemes, assez fréquents au moyen âge, dont chaque strophe commence par une lettre différente, rangée dans l'ordre de l'alphabet. Voyez, p. 120, ce que

tin contre les donatistes; une hymne, attribuée au même saint, sur les joies du paradis, en tercets monorimes1; une hymne abécédaire sur le jugement dernier; une pièce en rimes croisées sur la tyrannie du péché, attribuée encore par Follen, mais sans preuve, à saint Augustin; une hymne alphabétique sur la vie du Christ, par Cœlius Sedulius; une pièce, également alphabétique, sur le purgatoire de saint Patrice; une hymne à Dieu; une autre en l'honneur de saint Gall; un fragment de cantique sur la translation des reliques de saint Denis l'Aréopagite au couvent de Saint-Éméran2; une chanson sur l'air Carelmanninc; la complainte de David sur la mort d'Abner, par Abélard; l'histoire d'un miracle de saint Nicolas, en vers rimés à l'hémistiche; la légende, du petit abbé Jean, par saint Fulbert, dans le même rhythme; un fragment de traduction en vers d'une facétie érudite très-célèbre au moyen âge, intitulée, la Cène de saint Cyprien; la vision de Fulbert, en quatrains monorimes, sur le débat de l'âme et du corps; enfin, dans un premier appendice, une satire contre la cour de Rome, intitulée, Initium sancti Evangelii secundum Marcas Argenti, dont nous ne nous expliquons pas ici la présence, cette pièce étant en prose et n'ayant absolument rien de populaire 3.

Outre ces poëmes déjà imprimés dans d'autres recueils, et qui reparaissent dans celui-ci, revus, annotés et presque toujours améliorés, je dois faire remarquer plus particulièrement les morceaux que le savant éditeur publie ici d'original. Ce mérite, si je ne me trompe, appartient aux pièces suivantes. Ce sont une hymne en l'honneur de sainte Marie-Magdeleine, tirée d'un manuscrit de la bibliothèque Mazarine, n° 1319, dont l'écriture paraît de la première moitié du xr° siècle; une séquence ou prose sur saint Martin, extraite d'un manuscrit du x siècle, de la Bibliothèque royale, n° 5326; une autre prose sur saint M. du Méril dit de cette forme de poésie, empruntée de certains psaumes hébreux. - Quand nous employons le mot rime, il doit être bien entendu qu'il s'agit, suivant l'usage du moyen âge, beaucoup plutôt de l'allitération et de l'assonance que propos de cette pièce, M. du Méril dit dans une note (p. 162): On sait que Hroswitha avait fait aussi, en distiques élégiaques, une Historia passionis sancti Dionysii Areopagita. » Cette remarque n'est pas exacte. Le poëme de Hroswitha n'est point perdu, comme semblerait l'indiquer la phrase de M. du Méril; on peut le lire dans les œuvres de cette femme illustre (p. 153-161 de l'édition de Schurzfleisch). Cette pièce a pour titre : Historia passionis sancti Dionysii egregii martyris, et se compose, non pas de distiques, comme le dit M. du Méril, mais de 266 vers hexamètres rimés à l'hémistiche. Il est bon de remarquer que le couvent de Saint-Éméran, à Ratisbonne, a conservé, pendant plusieurs siècles, le précieux manuscrit des œuvres de Hroswitha, que possède aujourd'hui la bibliothèque royale de Munich. Peut-être est-ce une première publication.

de la rime véritable.

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Nicolas, d'après un manuscrit du xr° siècle, n° 1084; une autre sur saint Maur, tirée d'un manuscrit du x° siècle, n° 3778; le cantique de Godescalk sur la douleur du péché, en vers monorimes, d'après un manuscrit du x1° siècle, n° 1154; le cantique du pécheur repentant, tiré du même manuscrit; un fragment de l'histoire de Judith et d'Holopherne, du même volume; la légende de Bonus, d'après un manuscrit du xr ou xir° siècle, de la bibliothèque de Gottweig, près de Lintz; la vision d'Ansellus Scholasticus sur les tourments de l'enfer, d'après plusieurs manuscrits de la Bibliothèque royale; une satire contre la cour de Rome, tirée de deux manuscrits appartenant à la bibliothèque royale de Bruxelles, n° 9802 et 10674, satire qui se rattache peut-être à l'hérésie vaudoise, mais à la partie érudite de cette secte, car on sait que les livres populaires des Vaudois étaient composés dans leur propre langue 1; enfin, dans un second appendice, nous trouvons une hymne sur saint Vincent, en strophes de deux vers, avec rimes tantôt finales et tantôt intérieures, d'après un manuscrit de la Bibliothèque royale, n° 4602, daté de l'an 768, et une séquence sur sainte Eulalie, en rimes plates.

La simple nomenclature qu'on vient de lire suffit à montrer que, sauf quelques exceptions assez peu nombreuses, et sur lesquelles nous reviendrons, les pièces qui composent cette partie du nouveau recueil sont plutôt sacerdotales que populaires. M. du Méril n'admet pas cette distinction, et il invoque, pour confondre ces deux genres de poésie, un fait incontestable, et dont il a seulement le tort de déduire, à mon avis, des conséquences trop générales : il rappelle qu'au moyen âge, et même dès l'établissement de la liturgie, la foule des fidèles intervenait activement dans les cérémonies du culte. Sans doute, rien n'est plus exact. Dans les plus anciennes liturgies attribuées à saint Jacques, à saint Pierre, à saint Matthieu, à saint Marc, aux douze apôtres 2, dans celles même de saint Basile et de saint Chrysostôme, le peuple, & Snuós, a son rôle maiqué. A Arles, au vr° siècle, nous voyons saint Césaire associer le peuple au chant des hymnes et des psaumes. Mais il n'y a pas moins une extrême exagération à dire, comme fait M. du Méril, que «l'Église n'était, dans le principe, que la réunion des fidèles, qui

M. Raynouard a publié un assez grand nombre de poésies vaudoises d'après deux manuscrits, l'un de Genève, l'autre de Cambridge. Voy. Choix de poésies des troubadours, t. II. p. cxxxvi sqq. et 73-133. Voy. Fabricius, Cod. apocryph. Novi Testum. t. III, pars 1o. Voy. le recueil intitulé : Liturgiæ, sive missæ sanclorum Patrum, collectæ a F. Claudio de Sainctes, Antverp. 1562, in-8°. —- * Acta SS. Ord. Benedict. t. I, p. 662, S 11.

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