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n'est plus valeureuse, et aucune ne pourrait être appelée avec plus de vérité la ville des rois, si la concorde civile ne lui était pas inconnue. »

Elle n'était pas cependant tout à fait encore la ville des rois de la mer, tant que Venise pouvait lui en disputer la suprématie. Une quatrième guerre, commencée en 1350, et terminée en 1354 par la grande défaite navale que les Vénitiens essuyèrent dans le golfe de la Sapienza, avait rapproché les Génois de ce but suprême de leur ambition. Ils crurent l'atteindre entièrement à la cinquième guerre, qui éclata entre eux au sujet de la possession de Ténédos, en 1376. Enhardis par le sentiment de leur supériorité et l'habitude de la victoire, ils attaquèrent cette fois les Vénitiens dans l'Adriatique même, les battirent complétement à Pola, emportèrent de vive force Chioggia, et s'y établirent en face même de Venise épouvantée. Ils réservaient à cette superbe rivale le sort qu'ils avaient fait subir à Pise un siècle auparavant; car l'amiral, Pierre Doria, avait reçu l'ordre de la dépouiller après l'avoir prise, de ne pas y laisser un seul noble, grand ni petit, et de les envoyer tous prisonniers à Gênes. Mais il ne parvint pas, comme il l'avait cru, sur la place de Saint-Marc; et l'on vit clairement, dans la conduite et dans l'issue de cette grande lutte, ressortir le caractère des deux peuples et se produire les effets de leurs institutions. Les Génois vainquirent par leur courage, les Vénitiens se sauvèrent par leur dextérité. Si les premiers agirent d'abord avec l'élan irrésistible d'une démocratie belliqueuse, ils en montrèrent ensuite la témérité et l'imprévoyance, tandis que les seconds, moins braves, mais plus prudents et plus avisés, se tirèrent d'une situation presque désespérée par la constance et l'habileté que montrent ordinairement les aristocraties. Les Génois ne pouvaient pas être repoussés de haute lutte, mais ils s'étaient imprudemment engagés dans les lagunes sans en garder les issues. Les canaux qui devaient les conduire à Venise disparurent devant eux avec les jalons destinés à tracer leur route sinueuse, et les passes qui devaient les ramener dans l'Adriatique furent interceptées derrière eux par des vaisseaux coulés bas à leur ouverture. Enfermés ainsi dans Brondolo et dans Chioggia, sans pouvoir ni avancer ni reculer, les Génois, victorieux, furent réduits à se rendre, le 22 août 1379, après dix mois d'une résistance héroïque, mais inutile. Malgré ce désastre, la paix qui intervint, en 1382, entre les deux peuples, fut conclue à des conditions égales. Si elle n'établit point encore l'infériorité des Génois, elle marque du moins le terme de leur puissance ascendante.

Toute cette période du développement colonial, de la grandeur maritime, des progrès commerciaux de leur république, est retracée par

M. Vincens avec une grande exactitude historique, et appréciée avec beaucoup de sagesse et d'expérience. M. Vincens a consacré un excellent chapitre à la banque de Saint-Georges, qui, instituée en 1407, reçut et employa les grandes richesses acquises par les marchands et les navigateurs génois. Cette banque de dépôt et non de prêt, habilement administrée sous la forme d'une république financière et fort opulente, rendit de grands services à la république dans ses moments de détresse, et se chargea, lors de son déclin, de la régie de ses colonies. «On peut, dit M. Vincens, la comparer, proportion gardée, à la compagnie anglaise des Indes. La maison de Saint-Georges devint la maîtresse des colonies génoises du Levant, la reine de la Corse; exemple unique de deux républiques renfermées dans les mêmes murailles : l'une, appauvrie, turbulente, travaillée par les séditions, déchirée par les discordes ; 'autre, riche, paisible, réglée, conservant l'antique probité, modèle, au dedans et au dehors, de la bonne foi publique.»>

Je voudrais suivre avec détail la décadence maritime de Gênes, mais cela me mènerait trop loin, et j'ai hâte de mettre fin à ces articles, que l'intérêt du sujet m'a conduit à rendre peut-être trop nombreux et trop étendus. Le lecteur pourra reconstruire lui-même le curieux tableau de cette décadence, à l'aide des deux derniers volumes de M. Vincens, qui, là comme ailleurs, a fait souvent usage de matériaux ignorés de ses prédécesseurs. Il me suffira d'en signaler les causes fondamentales et les principaux effets. Ces causes sont au nombre de trois: 1° les progrès du régime démocratique, dont les désordres croissants, pendant le xv° siècle et les commencements du xvr, affaiblirent extrêmement Gênes. Si les guerres intestines, lorsqu'elles ne durent pas longtemps, rendent l'action extérieure d'un peuple plus redoutable, parce qu'au moment où il redevient uni il dispose de forces plus énergiques, mues par un gouvernement plus bardi, il n'en est pas de même lorsque les guerres intestines se renouvellent au point de se perpétuer. Dans ce cas, loin d'acquérir des forces extraordinaires pour agir au dehors, un État emploie et perd au dedans ses forces ordinaires. C'est ce qui eut lieu à Gênes. 2° La formation de vastes puissances, telles que l'empire ottoman, qui s'étendit sur l'Asie Mineure, les deux rives du Bosphore, les îles et les côtes de la Méditerranée orientale, les monarchies d'Espagne et de France, qui, arrivées à leurs limites naturelles, se disputèrent les îles et la belle péninsule de la Méditerranée occidentale. La petite république des bords de la Ligurie ne fut en mesure de lutter ni avec les Turcs en Orient, ni avec les Espagnols et les Français en Occident. 3o Enfin, le déplacement des voies de la navigation et du commerce,

par le passage passage du cap de Bonne-Espérance, et la découverte de l'Amérique. Le Portugais Vasco de Gama, en tournant le premier l'Afrique pour aller dans l'Inde, et le glorieux Génois du village de Cogoletto, en faisant connaître un monde nouveau, créèrent le grand commerce de l'Océan, qui ruina l'ancien commerce de la Méditerranée.

Sous l'action de ces trois causes, les Génois, auxquels les rois d'Aragon avaient enlevé ce qu'ils possédaient dans la Sardaigne, perdirent successivement Péra, d'où ils furent expulsés, en 1453, par Mahomet II, après la prise de Constantinople; Famagouste, que leur ravirent, en 1464, les Vénitiens, devenus maîtres de Chypre, jusqu'à ce que cette île tombât entre les mains des Turcs; Caffa, dont les Tartares s'emparèrent en 1474; Chio, que Soliman II occupa en 1565; enfin la Corse, qu'ils cédèrent à la France en 1768. Dépouillés de leurs colonies, entravés dans leur navigation, ils parvinrent, avec l'aide de leurs anciennes richesses, et pour exercer une activité qui avait survécu chez eux à la puissance, à se faire les banquiers des rois catholiques et les fermiers du commerce espagnol. C'est ainsi qu'ils conservèrent une partie de leur opulence, et que Gênes, couverte de palais de marbre, plus dégénérée encore qu'appauvrie, a, de nos jours, atteint le terme d'une existence politique si remarquable par sa durée, si variée dans ses formes, et, pendant plusieurs siècles, si pleine de grandeurs.

MIGNET.

VISITE DES TOMBEAUX DES ROIS À THÈBES par un dadouque, ou prêtre d'Eleusis, sous le règne de Constantin.

J'ai déjà eu plusieurs fois occasion d'appeler l'attention de nos lecteurs sur un genre d'inscriptions grecques qui se trouvent presque exclusivement en Égypte; je veux parler de celles que les voyageurs anciens ont laissées, comme souvenir de leur passage, sur les parois des édifices ou des tombeaux qu'ils visitaient. L'éloignement du pays, la célébrité ou la beauté des monuments, les engageaient à y laisser, pour ainsi dire, leur carte de visite, où tantôt ils se contentaient d'indiquer en peu de mots leur nom, leur qualité, la date de leur voyage, et tantôt retraçaient, quelquefois en vers, l'expression de leurs sentiments en présence de ces lieux vénérés. Nos lecteurs ont jugé, par deux ou trois exemples, de l'intérêt historique qui peut s'attacher à ces courts

fragments. L'inscription que je vais leur présenter est de nature, je pense, à les confirmer dans l'opinion qu'ils ont dû en concevoir.

Elle a été recueillie dans un des tombeaux des rois, ou syringes, qui existent à Thèbes, dans la vallée de Biban-el-Molouk. Sans entrer dans aucun détail sur ces tombeaux, dont plusieurs voyageurs ont donné d'exactes descriptions, je crois utile de rappeler que ces tombeaux sont tous taillés dans le roc, de chaque côté de la vallée. A l'époque de l'expédition française, on n'en connaissait que onze, outre celui qui fut découvert dans la vallée plus reculée vers l'ouest, par MM. Jollois et Devilliers1, et qu'on sait maintenant appartenir à Aménophis III, le huitième roi de la dix-huitième dynastie. Depuis, on en a découvert plusieurs autres, notamment celle d'Ousirei, ou Ménéphtah I, une des plus belles et des plus complètes de toutes, trouvée par Belzoni, en 1818. Champollion, en 1829, en comptait déjà seize, dont une fut ouverte par lui-même, celle du fils de Sésostris1. Sir Gardner Wilkinson, sur son plan gravé en 1835, en a marqué vingt et une, outre quatre dans la vallée de l'ouest, en tout vingt-cinq; mais il y a lieu de croire que des recherches persévérantes procureront successivement la connaissance de plusieurs autres qui restent encore inconnues.

Il suffirait, pour légitimer cet espoir, de se souvenir du passage où Strabon dit : « Au-dessus du Memnonium sont des tombes de rois taillées dans le roc, en forme de grottes, au nombre d'environ quarante, admirablement travaillées et dignes d'être vues 2. » Il resterait donc encore une quinzaine ou peut-être une vingtaine de tombes à découvrir, pour avoir toutes celles qui existaient au temps de cet auteur; car il n'a voulu parler que de celles qui étaient dignes d'être vues. Or, parmi les vingt et une que l'on connaît à présent, il y en a plusieurs qui, étant tout à fait insignifiantes et sans ornement, ne devaient pas être comprises dans le nombre des quarante. Ainsi l'on peut admettre que nous ne connaissons pas encore tout à fait la moitié de celles que le voyageur grec avait en vue; ce qui doit encourager les recherches et les fouilles tant dans la vallée de Biban-el-Molouk que dans la vallée de l'ouest, où jusqu'ici on n'en a pas découvert plus de quatre.

Les termes de Strabon donnent lieu de penser que les quarante syringes étaient accessibles et visitées de son temps. En effet, plusieurs anciens voyageurs affirment qu'ils les ont visitées toutes. Cependant, ils n'ont laissé des traces de leur passage que dans quatorze de ces tombes,

1 Descr. de l'Égypte, Ant. t. I, p. 399. — 2 Champollion, Lettres écrites d'Égypte,

qui sont les n° 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 18, du plan de Thèbes de sir Gardner Wilkinson. C'est qu'en effet ils devaient rarement les visiter toutes; la plupart d'entre eux, quand ils avaient vu les plus belles, en avaient assez, ou le temps ne leur permettait pas d'entrer dans les autres. Et il est à remarquer que le plus grand nombre des inscriptions sont dans les plus remarquables des syringes.

Le nombre de ces inscriptions est resté fort restreint jusque dans ces derniers temps. Pococke n'a donné que deux lignes insignifiantes; la commission d'Égypte, dont plusieurs membres ont exploré les syringes avec soin, n'y avait pourtant recueilli que sept inscriptions; M. Hamilton en a trouvé huit; M. Salt à lui seul cinquante-trois, dont fort peu se trouvaient dans les copies de ses devanciers. Champollion, peu après, en a rapporté soixante-deux, dont quarante-cinq au moins sont nouvelles ; et sir G. Wilkinson m'en a tout récemment communiqué dix-sept, dont cinq n'ont été vues que par lui. En retranchant les doubles ou triples emplois, il en reste cent vingt-trois; donc celle que je vais transcrire est à coup sûr une des plus intéressantes. Déjà connue par la copie de Salt, elle a été copiée depuis par Champollion et sir Gardner Wilkinson. Champollion a fait la remarque qu'elle est écrite à l'encre rouge, et non gravée; ce qui nous explique le caractère cursif des lettres qui la composent. Les trois copies que j'en possède ne présentent que des différences insignifiantes; et, comme la lecture n'offre aucune incertitude, je me contente de donner le texte en lettres cou

rantes :

ὁ δαδοῦχος τῶν ἁγιωτά

των Ελευσίνι μυστηρίων [Νικαγόρας]
Μινουκιανού, Αθηναῖος, ἱστορήσας
τὰς σύριγγας, πολλοῖς ὕστερον
χρόνοις μετὰ τὸν θεῖον Πλάτωνα,
ἀπὸ τῶν ̓Αθηνῶν, ἐθαύμασα, καὶ χάριν
ἔσχον τοῖς θεοῖς καὶ τῷ εὐσεβεστάτω
βασιλεῖ Κωνσταντίνῳ, τῷ τοῦτό μοι
παρασχόντι.

Moi, le dadouque des très-saints mystères d'Éleusis, Nicagoras, Athénien, fils de Minucianus, étant venu visiter les syringes, bien longtemps après le divin Platon d'Athènes, je les ai admirées, et j'ai rendu grâces aux dieux, ainsi qu'au très-pieux empereur Constantin, qui m'a procuré cette faveur.

Le nom de Nicagoras manque à la fin de la deuxième ligne; mais, quoique aucune des trois copies n'en offre de trace, il est impossible d'admettre que le voyageur ait oublié son nom; je l'ai suppléé, à l'aide d'une seconde inscription, que le même voyageur a déposée dans une autre syringe; cette fois son nom s'est conservé, et fort heureusement

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