Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Ce n'est pas seulement pour les amateurs de livres rares que les bibliographes travaillent. C'est principalement aux hommes de science, c'est à tous ceux qui veulent faire avec conscience et exactitude des recherches originales que les connaissances bibliographiques seraient nécessaires. Lorsqu'on entreprend un sujet nouveau, lorsqu'on veut travailler sur une branche quelconque des connaissances humaines, il est d'abord indispensable de se mettre au courant de ce qui a été fait précédemment, pour ne pas perdre un temps précieux en traitant des questions déjà résolues. Indiquer les livres qu'il faut consulter, signaler les meilleures éditions de chaque ouvrage, celles qui se distinguent par la pureté du texte, par des notes savantes, par des additions utiles, par des planches plus fidèles ou mieux gravées; donner, en un mot, aux travailleurs la connaissance des livres qu'ils doivent consulter et qui leur sont indispensables, voilà ce que les bibliographes doivent faire, voilà principalement à quoi devait servir le Manuel de M. Brunet.

Mais, si cette partie de la bibliographie est la plus utile, il faut reconnaître aussi qu'elle est la plus difficile. Quoiqu'il faille beaucoup de patience pour compter les feuillets de tous les livres publiés par les Alde et par Caxton, comme c'est là un travail mécanique, on est sûr d'être aidé dans cette besogne par beaucoup de personnes; car, dès qu'il s'agit d'un livre rare et qui se vend cher, il se trouve toujours des libraires et des amateurs feuilletant vingt fois le volume pour s'assurer s'il est complet. Mais comment un seul homme pourrait-il connaître tous les livres qui existent, et indiquer sûrement et sans se tromper quels sont, dans les sciences, dans l'histoire, dans l'érudition, dans les lettres, les meilleurs ouvrages, ceux qu'on doit lire ou consulter de préférence? Il faudrait pour cela un génie universel, un homme qui aurait lu tous les livres qui existent.

Pour parvenir un jour à composer une bibliographie générale, il serait nécessaire d'abord que, pour toutes les branches du savoir, il existât, dans chaque pays, des ouvrages spéciaux où on indiquerait les livres qu'il faut consulter pour tel ou tel travail. Mais ces bibliographies spéciales sont très-difficiles à rédiger, et on peut affirmer que, jusqu'ici, il n'y en a pas une seule complète. D'ailleurs, qui oserait porter un jugement assuré du mérite de tant d'ouvrages qu'on n'a pas eu le temps de lire? La tentative faite, dans le siècle dernier, par un naturaliste distingué, tentative qui suscita tant de murmures, d'indiquer par des astérisques le mérite comparatif des écrits dont il formait le catalogue, arrêtera longtemps encore ceux qui seraient tentés de classer et de

juger, dans un ouvrage de bibliographie, les travaux de leurs contemporains.

Après ce que nous venons de dire, il est presque inutile d'ajouter que, quoique M. Brunet ait fait d'immenses recherches pour compléter autant que possible son ouvrage, il ne lui a pas été possible de vaincre une telle difficulté. Ce n'est pas par les détails qu'il faut juger une œuvre de cette nature; cependant, pour montrer par un petit nombre de faits, puisés uniquement dans la bibliographie scientifique, combien il reste encore à faire de recherches sur chaque bibliographie spéciale, nous citerons quelques ouvrages fort rares qu'on pourrait être étonné de ne pas trouver dans le Manuel de M. Brunet, si l'on devait jamais espérer qu'aucun livre de cette nature pût être complet.

On peut remarquer d'abord que l'on ne voit dans le Manuel aucun des ouvrages de Salomon de Caus, ingénieur du xvII° siècle, dont les écrits ont été l'objet de si vifs débats entre les savants français et anglais, à propos de l'invention de la machine à vapeur. La première édition des Raisons des forces mouvantes, de cet illustre architecte, est un livre excessivement rare, qui manque dans les plus riches bibliothèques1, et dont on a même nié l'existence. Dans une question si importante de priorité, il était essentiel de constater l'existence de cette édition, dont l'auteur de cet article possède deux exemplaires 2; car la

1

Voyez, à ce sujet, mon Histoire des sciences mathématiques en Italie, t. IV, p. 352. L'édition originale ne se trouve pas à la Bibliothèque royale, quoiqu'elle soit indiquée dans l'ancien catalogue. Voici le titre qui se lit en tête de cet

ouvrage :

LES

2

RAISONS

DES FORCES MOUVANTES

Avec diverses Machines Tant utilles que plaisantes Aus quelles sont adioints plusieurs desseings de grotes et fontaines

Par

SALOMON DE CAUS
Ingénieur et architecte de son

Altesse Palatine Electorale

A Francfort en la boutique de Jan Norton

1615 (in-folio).

A chaque livre, la numération des feuillets recommence. Les deux premiers livres ont un titre gravé; le titre du troisième livre est imprimé. Les planches sont

réimpression de Paris, de 1624, qu'on rencontre quelquefois, ne saurait toujours, par sa date, être opposée aussi utilement aux assertions des savants étrangers. Tout ce qui se rattache à l'invention de la machine à vapeur a une telle importance dans l'histoire des sciences, que le livre si rare et si célèbre de Salomon de Caus nous paraissait devoir nécessairement figurer dans le grand ouvrage de M. Brunet. Nous en dirions volontiers autant du Prodromo de l'arte maestra, publié à Brescia, par le père Lana, en 1670, in-folio, et où l'on trouve la figure et la description d'un aérostat. Différents ouvrages de Barbieri, d'Albert Girard 2, de Desargues 3, et même de Lagrange, qui ont donné lieu à des discussions historiques intéressantes, et que M. Brunet n'a pas enregistrés dans son Manuel, auraient pu y figurer plus utilement peutêtre que certains livres scientifiques de très-mince valeur, que nous y avons rencontrés.

Mais, en supposant que les ouvrages que nous venons de citer s'adressassent à une classe trop restreinte de lecteurs pour pouvoir mériter l'attention de l'auteur du Manuel, nous pensons que ce savant bibliographe regrettera probablement de n'avoir pas eu connaissance d'un écrit scientifique de Dante Alighieri, imprimé deux fois dans le xvi siècle, et publié de nouveau, en 1842 et en 1843, à Livourne, par M. Torri, avec des notes bibliographiques fort curieuses. Cet écrit, si intéressant pour l'histoire littéraire du plus grand poëte moderne, est d'une extrême rareté, et avait échappé à presque tous les bibliographes. M. Torri ne cite qu'un exemplaire de chacune des deux premières éditions de cet opuscule, et il paraît croire qu'il n'en existe pas d'autres. Le rédacteur

2

fort belles. Dans le second livre, il y en a une qui porte ce nom : J. V. Heyden f. Nous ne nous arrêtons pas davantage sur ce rare volume, dont nous donnerons ailleurs une description plus complète. Nous possédons une Perspective et une Institution harmonique du même auteur, imprimées vers la même époque. — 1 On ne connaît que six exemplaires des Spiritus nitro-aerei operationes in microcosmo, publiées par Louis-Marie Barbieri, à Bologne, en 1680. Cet ouvrage, si peu connu et si important pour l'histoire de la chimie, a été réimprimé à Imola, en 1828. C'est dans l'Invention nouvelle en algèbre, par Albert Girard, publiée à Amsterdam, en 1629, in-4°, qu'on trouve certains théorèmes relatifs à la théorie des équations, et attribués communément à Newton. Un exemplaire de cet opuscule très-rare est indiqué dans le catalogue Labey. 3 Les ouvrages de Desargues offrent un exemple bien rare. Imprimés vers le milieu du xvII° siècle, ils ont complétement disparu, et l'on ne connaît aujourd'hui aucun exemplaire des éditions originales. A la vérité, l'on sait que Bosse a reproduit, dans plusieurs de ses ouvrages ( que M. Brunet n'a pas mentionnés dans le Manuel), les idées de Desargues.- Je veux parler ici du premier et rarissime opuscule de Lagrange, écrit en italien.

de cet article possède un très-bel exemplaire de l'édition originale de cet écrit, édition si rare et dont on ne connaissait, jusqu'à présent, qu'un seul exemplaire, chez le marquis Trivulzi à Milan. Comme M. Torri, trompé probablement par une copie peu fidèle, n'a pas reproduit trèsexactement le titre de cet ouvrage, nous croyons pouvoir le donner ici en totalité, afin de faire mieux connaître aux bibliographes un ouvrage destiné à mettre de plus en plus en relief les connaissances scientifiques de l'immortel auteur de la Divine Comédie.

Epigramma Magistri Ioanis Benedicti de Castilione Ar
retino ordinis Eremitarum ad librum.

I libero foelix ulnis amplexe pudicis
Hyppolytus vates oscula multa dabit
Ille colit phoebum. musas. sacraq pirenem
Castaliae matres gemea serta ferent

Questio florulenta ac perutilis de duobus elementis aquae
& terrae tractas | nuper reperta que olim Mantuae au
spicata. Verōae vero disputata & decisa ac manu
propria scripta | a | Dante Florentino poeta
clarissimo q diligéter & accurate cor-

recta fuit per reverendū Magistrū

Ioanne Benedictum Moncet

tú de Castilione Arretino
Regētē Patavinu ordi
nis Eremitarum divi
Augustini sacraeq
Theologiae do

ctorem excel
lentissimü.

+

Tetrasthicos eiusdem Magistri Ioānis Benedicti de Ca
stilione Arretino ad Dantem Florentinum poetam cla
rissimum.

Naturam logicam | cognovit Iura. Tonantē

Sydereos cursus | pieridesq deas

Currite phoebeae matres | per littora nostra

Italiae doctae. dicit apollo deus.

A

La principale difficulté dans les ouvrages de bibliographie générale, c'est d'établir des règles d'une application facile pour savoir quels sont les livres qu'on doit mentionner, et quels sont ceux qu'il faut passer sous silence. Comme il est impossible de tout indiquer, il faut tâcher,

du moins, de faire un choix raisonné; mais ce choix est bien difficile. Sur quoi s'appuiera-t-on en effet? La rareté d'un livre est une qualité incertaine, variable même avec différentes circonstances; les prix de vente changent, on le sait, très-fréquemment, et il y a trente ans que les éditions aldines et les livres imprimés au xv° siècle se vendaient, en moyenne, trois ou quatre fois plus qu'aujourd'hui. Désormais, la bibliographie ne saurait plus marcher toute seule. L'histoire littéraire doit lui servir de guide inséparable. Il faut qu'en rencontrant le titre d'un ouvrage dans un répertoire bibliographique, on puisse toujours comprendre la raison qui a porté l'auteur à l'enregistrer. Mais ce n'est que par des recherches persévérantes, continuées pendant longtemps et dans divers pays, qu'on parviendra à former ainsi, tôt ou tard, une grande bibliographie générale.

Dans l'état actuel de nos connaissances, le Manuel de M. Brunet, sur lequel nous serons obligé de revenir dès que l'impression en sera achevée, est un ouvrage indispensable pour tous ceux qui aiment les livres, et qui veulent acquérir, sans beaucoup de peine, des connaissances étendues et solides sur la bibliographie de tous les pays.

G. LIBRI.

MANNERS AND CUSTOMS OF THE ANCIENT EGYPTIANS, etc., Mœurs et usages des anciens Égyptiens, contenant leur vie privée, leur gouvernement, leurs lois, arts, manufactures, religions et histoires; d'après les peintures, les sculptures et monuments qui existent encore, comparés aux récits des anciens auteurs, par sir Gardner Wilkinson. London, John Murray, 5 vol. in-8°.

QUATRIÈME ARTICLE 1.

passe

Après avoir réuni tout ce qu'il est possible de savoir, d'après les monuments, sur l'art militaire chez les anciens Égyptiens, l'auteur aux noms des nations avec lesquelles ils ont été en guerre. Ces noms se lisent parmi les différentes scènes guerrières représentées dans les basreliefs; mais il est bien différent d'en connaître la synonymie géogra

1 Voir les cahiers d'avril, juin et juillet 1844.

« VorigeDoorgaan »