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dans la province du Chensi. Il s'avance vers l'ouest, par des pays devenus plus tard la route du commerce entre la Chine et l'ouest de l'Asie, mais qui, alors, étaient pleins de périls. Ayant perdu tous ses compagnons, il arrive au nord de l'Inde, la traverse en descendant au sudest jusqu'aux bouches du Gange, passe à Ceylan, et revient en Chine, par l'occasion d'un navire de commerce, après quatorze ans d'absence, dont six employés seulement pour arriver au centre de l'Inde. Voilà quelle était alors la nature des communications par terre. Le même caractère d'étrangeté et d'état presque sauvage des contrées limitrophes de la Chine, vers le sud, se manifeste avec une égale évidence dans le récit officiel, fait, au xir° siècle, par un officier chinois, envoyé à Camboge, de ce qu'il avait vu dans ce royaume, soumis autrefois, comme la Cochinchine, à la domination chinoise, mais qui, depuis, lui était également échappé. A ce même but se rattachaient encore les récits, malheureusement bien plus bornés, de l'expédition aventureuse faite, 122 ans avant l'ère chrétienne, dans l'Asie centrale, par le général chinois Tchang-khien, et de l'excursion militaire poussée, en l'an 97 de cette ère, jusqu'aux bords de la mer Caspienne, par l'ordre de l'empereur Ho-ti, d'après une notion vague de l'empire romain. Rémusat eut bien soin de traduire en entier ces documents d'une si grande importance historique. Mais le voyage de Fa-hien présentait encore un genre d'intérêt c'était de fixer, avec une date certaine, l'état des institutions bouddhiques dans l'Inde à l'époque où ce religieux y avait pénétré. Il sera fort avantageusement complété, sous ce rapport, par la relation encore plus étendue d'un second voyage pareil, fait pendant la première moitié du vir° siècle, conséquemment trois cents ans plus tard, dans les mêmes contrées, par un autre bouddhiste, appelé Hiouan-tsang, relation dont on a donné, jusqu'ici, seulement des extraits, înais que M. Stanislas Julien se propose de traduire et de publier incessamment. Le bouddhisme paraît s'être introduit obscurément à la Chine, environ deux siècles avant l'ère chrétienne. Mais c'est seulement dans l'année 65 après cette ère qu'il y fut officiellement admis. Depuis cette époque jusqu'à la dynastie des Thang, beaucoup de Chinois de cette croyance allèrent chercher dans l'Inde les principaux traités de la doctrine et des institutions bouddhiques. Ils ont traduit en chinois ces textes, ainsi que les commentaires, écrits en samskrit, ou en pali, qui s'y rattachent. Ces ouvrages sont généralement accompagnés de notices sur le fond des doctrines, d'indications relatives aux époques où l'on suppose que chaque traité a été composé, et, enfin, de biographies des traducteurs, qui établissent des limites de dates certainement postérieures à leur

première apparition. Rien de cela ne se trouve dans les textes origi naux qui nous viennent de l'Inde. Ainsi, indépendamment de l'intérêt philologique que ces traductions peuvent offrir pour la comparaison des deux langues, on conçoit toute l'utilité qu'elles auront pour assigner à ces textes des concordances de dates relatives, propres à confirmer ou rectifier l'ordre de leur succession, qu'on a pu, jusqu'à présent, inférer des seules modifications qu'on y découvre dans le langage et les traditions.

Rémusat, sans aucun doute, avait parfaitement saisi cette importante application des livres chinois à l'étude de l'Inde; et cela explique assez la persévérance avec laquelle il s'était plongé dans l'analyse des doctrines bouddhiques vers les dernières années de sa vie. Il découvre ouvertement cette idée féconde, par le mode de discussion comparée auquel, dans ses Nouveaux mélanges asiatiques, il soumet les recherches indiennes déjà publiées par la Société de Calcutta. Mais cette voie n'est pas la seule par laquelle on puisse pénétrer dans les origines de l'Inde avec le secours des livres chinois. La comparaison des deux astronomies en offre une non moins sûre, quoique plus restreinte. Personne n'honore plus que moi les travaux de la Société que je viens de nommer; et, pour ceux d'entre eux qui m'ont été accessibles, comme les recherches d'astronomie ancienne, par exemple, je n'ai pu qu'admirer la science locale, ainsi que la sincérité des Davis, des Bentley, des Colebrooke. Mais j'oserai dire que la connaissance approfondie des sources chinoises leur a manqué pour remonter aux origines de plusieurs points fondamentaux de l'astronomie indienne, qu'ils ont voulu discuter. Je citerai seulement, comme exemple, cette division stellaire du ciel en vingt-huit secteurs inégaux, ayant leurs sommets au pôle de l'équateur actuel, que les Hindoux appellent nashatras, et que tous les savants de Calcutta et d'Europe, même le judicieux Colebrooke, ont appelée zodiaque, un zodiaque lunaire; dénomination doublement inapplicable, d'abord parce que les nashatras ne comprennent nullement l'idée d'une zone parallèle à l'écliptique, subdivisée par des adid, comme celle des Grecs; puis parce qu'ils ne peuvent avoir originairement aucun rapport avec le mouvement de la lune, à cause de l'inégalité excessive de leurs intervalles équatoriaux 1. Si les savants que je viens de citer avaient étudié et reconstruit

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1 Comme exemple de l'influence des mots sur les meilleurs esprits, je ferai remarquer que Rémusat lui-même a employé cette expression impropre de zodiaque lunaire, pour désigner les vingt-huit divisions stellaires des Chinois, dans ses Nouveaux mélanges asiatiques, t. I, p. 59. L'inexactitude de ce préjugé scientifique universellement admis a été démontrée, je crois, pour la première fois, avec une

l'ancienne astronomie chinoise, ils y auraient trouvé l'adoption et l'emsy ploi astronomique d'une subdivision pareille, définie par un ensemble presque identique d'étoiles déterminatrices, depuis un temps immémorial. Alors, au lieu de rester incertains sur sa relation avec les vingthuit mansions lunaires des Arabes, qui en ont changé et égalisé les subdivisions, pour pouvoir l'adapter réellement au cours de la lune dans les usages astrologiques, ils auraient reconnu cette dégénérescence. Remontant ainsi à l'origine chinoise de ce partage du ciel en secteurs stellaires inégaux, ils auraient facilement aperçu le déguisement que les Hindoux lui ont donné, en le rattachant aux longitudes et aux latitudes grecques, par un mode d'association bizarre, qui n'offre plus de relations immédiatement observables, ou applicables astronomiquement. Ils auraient vu encore la preuve du plagiat, d'un plagiat tardif, dans cette conception aussi compliquée qu'inutilement savante, que les Hindoux ont appliquée à leurs divisions stellaires, dont les éléments déterminatifs ne peuvent s'obtenir que par un calcul trigonométrique qui exige la connaissance théorique de la précession, tandis que la construction primitive en était indépendante, puisqu'elle emploie seulement des coordonnées tracées à partir du pôle actuel de l'équateur. Ainsi, par cette application encore, les livres chinois offrent une voie sûre pour démêler ce qu'il y a de propre ou d'emprunté dans la science de l'Inde, et pour la dépouiller des vêtements étrangers dont elle s'est affublée. Je désire que les lecteurs du Journal des Savants veuillent bien excuser la témérité que j'ai eue de mettre sous leurs yeux un ensemble de travaux dont j'ai pu apprécier seulement les fruits. Si les considérations que je viens de présenter, sur les résultats obtenus depuis douze ans, en France, par les études chinoises, peuvent, tout incomplètes qu'elles sont, contribuer à en faire sentir l'importance, et montrer combien elles méritent d'être encouragées, je serai heureux d'avoir donné ce témoignage de gratitude au savant sinologue qui m'a assisté, avec tant de persévérance, dans des recherches que je n'aurais jamais effectuées sans son secours.

BIOT.

entière évidence, dans une série d'articles insérés au présent journal, en 1840, à l'occasion du traité de chronologie chinoise publié par M. Ideler.

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CORRESPONDANCE inédite de Malebranche et de Leibnitz.

QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE 1.

Les objections de Leibnitz contre la théorie cartésienne, qu'une même quantité de mouvement se conserve toujours dans l'univers, sans persuader d'abord Malebranche, avaient fait impression sur son esprit. Déjà, en 1692, le traité des Lois de la communication du mouvement introduisit quelques modifications dans plusieurs propositions du sixième livre de la Recherche de la vérité. Mais ce n'était pas seulement quelques conséquences du principe, c'était le principe luimême que Leibnitz combattait, et peu à peu il ébranla la conviction du sincère et loyal oratorien. Celui-ci, retiré à la campagne, comme il nous l'apprend lui-même, examina de nouveau ses Lois du mouvement, et il en vint à reconnaître que les faits ne s'accordaient point avec sa théorie. Il eut donc la bonne foi et le courage de l'abandonner entièrement et de remanier tout son traité. C'est au milieu de ce travail qu'il reçut, en octobre 1698, une lettre que lui adressait Leibnitz par les mains de l'abbé Torelli, le célèbre mathématicien. Leibnitz se montre satisfait de ce qu'il a déjà gagné sur le cartésianisme de Malebranche; mais, tout en avouant qu'il y aurait mauvaise grâce à insister, il exprime le regret de n'avoir pas obtenu davantage. Dans sa réponse du mois de décembre de la même année, Malebranche, sans être arrêté par aucun sentiment d'amour-propre, avoue le changement radical qui s'est opéré dans ses idées. « Je suis maintenant convaincu, dit-il, que le mouvement absolu se perd et s'augmente sans cesse. » Et il ajoute : « Je vous dis ceci, afin que vous continuïez d'être persuadé que je cherche sincèrement la vérité. » Il n'hésite point à proclamer luimême la supériorité de son illustre ami dans les sciences. «S'il est des gens qui soient indifférents à votre mérite, ou qui le paraissent, ils ne font tort qu'à eux-mêmes, du moins dans l'esprit des habiles gens. >> Cette lettre est remplie des plus nobles sentiments, et Feder l'a fort bien choisie, ainsi que celle de Leibnitz, pour faire sentir l'intérêt de toute la correspondance. Il les a publiées l'une et l'autre dans ses Specimina 2.

Voir les précédents articles dans les cahiers de juillet, août et septembre 1844. Commercii epistolici Leibnitiani typis nondum vulgati selecta specimina, etc., p. 136 et 140. Comme l'ouvrage de Feder est assez rare, nous pensons faire plaisir à nos

Leibnitz ne pouvait manquer d'être sensible à un pareil procédé. Il laisse paraître à la fois et son contentement et son admiration dans une lettre qu'il écrit à Bayle quelques jours après. « J'ai reçu une lettre d'un auteur célèbre et qui passe avec raison pour un des premiers phi

lecteurs en transcrivant ici ces deux lettres, qui complètent la correspondance de nos deux philosophes.

Hanovre, 2/12 octobre 1698.

« Comme M. l'abbé Torelli m'a témoigné avoir l'honneur de vous connaître, je n'ai pas voulu qu'il partît d'ici sans vous porter des marques qui vous puissent faire connaître combien je continue de vous honorer. J'en ai souvent donné d'autres, lors même que j'ai avoué que nous n'étions pas en tout d'un même sentiment. Nous nous faisons tous deux un si grand intérêt à avancer la connaissance de la vérité, que nous nous saurons toujours bon gré des éclaircissements que l'un peut fournir à l'autre ou au public. Je vous ai eu de l'obligation de ce que vous avez bien voulu m'en avoir, forsque vous avez retouché à vos lois du mouvement, et, quoiqu'à mon avis la loi de la continuité, que j'avais mise autrefois en avant dans le journal de Hollande, et qui vous avait plu jusqu'à donner occasion à votre changement, s'y trouve encore un peu intéressée, quoique d'une manière moins perceptible qu'au commencement, néanmoins, j'ai cru que je n'aurais pas bonne grâce d'y insister à votre égard, pouvant m'expliquer sans cela. Car je crois en effet que les lois de la nature ne sont pas si arbitraires qu'on pourrait bien s'imaginer. Tout est déterminé dans les choses, ou par des raisons comme géométriques de la nécessité, ou par des raisons comme morales de la plus grande perfection. Vos beaux écrits, mon révérend père, ont rendu les hommes beaucoup plus capables qu'ils n'étaient auparavant d'entrer dans les vérités profondes; si je prétends d'en profiter, je ne manquerai pas aussi de le reconnaître. M. Bayle a fait des objections contre mon système dans son beau dictionnaire à l'article de Rorarius. M. de Beauval publiera mes solutions dans l'Histoire des ouvrages des savants, après les avoir communiquées à M. Bayle, qui m'a écrit là-dessus une lettre très-obligeante, où il reconnaît la force de ma réponse. Je ne laisserai pas de le prier de me marquer s'il y a encore quelque chose qui l'arrête. Et rien ne m'est plus agréable que de pouvoir être instruit par des personnes aussi profondes et aussi éclairées que vous et lui. Je suis avez zèle, etc. »

A Paris, le 13 décembre 1698.

« J'ai reçu avec bien de la joie la lettre que M. l'abbé Torelli m'a rendue de votre part, et je vous suis extrêmement obligé de l'honneur de votre souvenir. Je suis bien persuadé, Monsieur, que l'amitié dont vous m'honorez n'est pas inconstante comme celles qui ne sont fondées que sur des passions volages. Il n'y a que l'amour de la vérité qui lie étroitement les cœurs. Et comme vous me rendez cette justice de croire que j'ai quelque amour pour elle, je suis persuadé que celui que vous lui portez se répandra toujours jusques à votre très-humble serviteur. Les obligations particulières que vous ont tous les disciples (sic), à cause des nouvelles vues que vous leur avez données pour avancer dans les sciences, ne leur permettent pas d'ètre indifférents à votre mérite; et, s'il y en a qui le soient ou qui le paraissent,

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