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parce qu'il soupçonne que cette rapide esquisse est une de celles que ce génie facile terminait quelquefois, comme il le confesse lui-même, dans l'espace de vingt-quatre heures 1.

Ce nouveau choix du théâtre de Lope de Vega se composera de quatre ou cinq volumes. Les deux premiers, déjà publiés, renferment dix ouvrages, dont quatre avaient été précédemment traduits, mais qui reparaissent ici dans une version plus élégante et plus exacte, savoir: Le meilleur alcade est le roi, Le chien du jardinier, Fontévéjune et La fille aux yeux d'or2. Nous n'analyserons pas ces quatre pièces depuis longtemps connues; nous renvoyons nos lecteurs au jugement qu'en a porté, dans ce journal, M. Raynouard, dont l'opinion, en pareille matière, était si considérable et si compétente3, Les six autres pièces, traduites pour la première fois par M. Damas Hinard, sont : Le moulin, L'hameçon de Phénice, Aimer sans savoir qui, Les travaux de Jacob, La découverte du nouveau monde, et un intermède intitulé L'enlèvement d'Hélène.

Les dix pièces qui restent à publier seront, si M. Damas Hinard ne change pas d'avis, Porfiar hasta morir (Persévérer jusqu'à la mort), traduite une première fois par M. La Beaumelle; La fuerza lastimosa, traduite par le même, sous le titre de Honneur et amour; La dama melindrosa (Les vapeurs, dans le Théâtre espagnol de Linguet). Puis viendront sept comédies non encore traduites, savoir: Lo cierto por lo dudoso, Le certain pour l'incertain, drame historique qui a pour sujet la rivalité de don Pèdre et de son frère Henri de Transtamare; La estrella de Sevilla, L'étoile de Séville, qui a fourni, comme on sait, à M. Lebrun, le sujet du Cid d'Andalousie ; La viuda de Valencia, La veuve de Valence, comédie d'intrigue; El acero de Madrid, L'acier de Madrid, d'où Molière a pris quelques situations du Médecin malgré lui; El niño inocente de la Guardia, L'enfant innocent de la Guardia, pièce dirigée contre les juifs et à la louange de l'inquisition; El testimonio vengado, comédie historique tirée des romances; enfin un drame qui

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a

Lope de Vega dit dans l'Églogue à Claudio Conde: « Plus de cent ont passé en vingt-quatre heures des Muses au théâtre : »

Pues mas de ciento en horas veinticuatro
Pasaron de las Musas al teatro.

--Le titre espagnol, La niña de plata, ne peut se rendre que par un équivalent; M. La Beaumelle l'avait traduit par La perle de Séville. Voy. Journal des Savants, n° de juin 1823. Cette tragédie, qui fait époque dans l'histoire du théâtre au XIX siècle, vient d'être imprimée dans les œuvres de l'auteur (Paris, Fournier, 1844, 2 vol. in-8°).

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intéresse particulièrement la France, à cause de la piquante comparaison qu'il provoque avec l'Horace de Corneille, El honrado hermano (L'honoré frère). On le voit, ce nouveau choix est de beaucoup plus étendu et plus varié que les précédents. L'est-il encore assez? Ces vingt pièces suffiront-elles pour faire complétement apprécier le prodigieux génie de Lope de Vega, admirable surtout par la variété et l'invention? Je regrette beaucoup, pour ma part, de ne voir figurer dans ce choix aucun auto; je ne regrette pas moins l'absence de quelques pièces qui auraient, à mon sens, jeté un grand jour sur la nature du génie dramatique espagnol. J'aurais, par exemple, vivement souhaité que M. Damas Hinard eût pu nous donner la traduction des Castelvines et des Monteses. Cette pièce a pour sujet l'inimitié des Capulet et des Montaigu; c'est la fameuse légende de Roméo et Juliette que Lope de Vega a intriguée et même égayée de son mieux pour l'accommoder au goût de son pays'. M. Damas Hinard, qui n'a négligé aucune occasion, et nous l'en remercions, de rapprocher les deux génies si dissemblables de Lope de Vega et de Corneille, aurait rendu un nouveau service à l'art en nous permettant de comparer, dans un même sujet, l'imagination si vive et si sereine de Lope de Vega avec la touche à la fois si suave et si tragique de l'auteur de Roméo.

Pour ne rien omettre de ce que nous devons au goût judicieux du nouveau traducteur, je dois ajouter que M. Damas Hinard a inséré dans la vie de Lope trois scènes admirables, empruntées à des pièces qu'il n'a pas cru utile de traduire en entier. Deux de ces scènes appartiennent à la pièce intitulée Santa liga (La sainte ligue); une autre est extraite du drame intitulé El bastardo Mudarra, inspiré par les fameuses romances des enfants de Lara2. En songeant à la prodigieuse étendue du répertoire de Lope de Vega, on est, malgré soi, conduit à penser, avec M. Raynouard 3, que le meilleur moyen peut-être de nous faire connaître tant de richesses serait de revenir, au moins en partie, à la méthode de Du Perron de Castera, qui se bornait, comme on sait, à donner des analyses et des fragments. Je crois fermement que M. Damas

La pièce de Shakespear a précédé de quelques années celle de Lope de Vega. Romeo and Juliet a été représentée à Londres en 1595. Les Castelvines et les Monteses ne sont pas cités dans le catalogue qui précède l'ouvrage de Lope El peregrino en su patria, dont la date est de 1604. Du Perron de Castera a donné des Castelvines y Monteses une analyse curieuse, mais insuffisante. — 2 M. Hinard a tiré aussi quelques traits de L'Arauque dompté, pièce traduite en entier par M. La Beaumelle. ' Voy. Journal des Savants, juin 1823. M. Louis de Vieil-Castel a suivi cette méthode dans une série d'articles sur le théâtre espagnol, insérés dans la Revue des deux mondes en 1840 et 1841.

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Hinard servirait bien les lettres et la gloire de Lope, s'il ajoutait, aux vingt chefs-d'œuvre qu'il doit traduire in extenso, un volume entier d'extraits habilement choisis. Beaucoup de pièces du grand dramatiste espagnol n'offrent qu'une ou deux scènes vraiment belles; les évoquer du tombeau, les mettre en lumière, serait agir à la fois dans les intérêts du poëte et dans ceux de l'art. Qu'on lise la scène suivante, tirée de La sainte ligue, et que l'on dise s'il n'est pas heureux que de telles beautés sortent de l'oubli.

Nous allons assister à un rachat de captifs, sujet déjà traité par Cervantes, et qui a toujours eu le privilége d'exciter au plus haut degré l'intérêt d'un parterre espagnol. La scène se passe à Constantinople, vers 1570. Nous sommes sur la grande place, où arrive un marchand chargé par un père rédempteur de la Trinité de payer la rançon d'un certain nombre d'esclaves. Ce brave homme est aussitôt entouré d'une foule de malheureux qui s'efforcent d'attirer son attention :

PREMIER CAPTIF. Seigneur, ayez pitié d'un pauvre malheureux qui a été quatorze ans captif, soit à Tripoli, soit dans cette ville.

DEUXIÈME CAPTIF. Et moi, seigneur, ne m'oubliez pas. Je suis sans ressources et n'ai personne qui puisse rien faire pour moi. Si je ne puis sauver ainsi mon âme, que Dieu la sauve avec son sang car mon maître est si cruel, que je serai

forcé de renier.

TROISIÈME CAPTIF. Moi, seigneur, je pourrai vous donner la somme marquée sur ce papier. Vous en serez remboursé, je vous assure. Vous ne ferez qu'avancer l'argent de ma rançon.

LE MARCHAND. Allons, allons! ne soyez pas tous ainsi après moi, puisque vous voyez que je veux votre bien. C'est le père rédempteur qui est venu avec cette mission du ciel.

Une femme captivE. Oh! oui; c'est le ciel même qui l'envoie. Ayez compassion de moi, seigneur (montrant son enfant qu'elle tient par la main), ainsi que de ce pauvre enfant, dont les mahométans vont s'emparer, si vous ne le tirez d'ici. Rappelez au père rédempteur que ces jeunes âmes sont une cire molle sur laquelle ces mécréants peuvent mieux graver leurs préceptes impies. Ce n'est pas pour moi que je vous implore; c'est pour ce pauvre petit ange, qui m'est mille fois plus cher que ma propre vie.

L'ENFANT. Oui, seigneur, c'est bien vrai; mon maître me menace tous les jours de m'emmener dans la mosquée, et là de me faire mahometan.

Le marchand. Nous ferons ce que nous pourrons avec notre argent : on s'occupe en ce moment de l'estimation.

1 Ce n'est pas de la ligue contre les calvinistes de France, mais de la ligue contre les Turcs et de la bataille de Lépante, qu'il s'agit dans cette pièce. Voir sa pièce intitulée El trato de Argel. Lope de Vega a composé aussi, en 1598, une comédie des Captifs d'Alger, Los cautivos de Argel, en empruntant plusieurs détails et même plusieurs scènes à la pièce de Cervantes.

PREMIER CAPTIF. Vous lui promettez son rachat; elle est femme, ce sera plus difficile. Songez plutôt à un pauvre malheureux qui n'a pour se nourrir que du biscuit bien dur, et qui est forcé de ramer depuis février jusqu'en octobre. Si encore on ne nous donnait pas la bastonnade !...... Je renoncerais à une Turque, mon amie, qui ne cesse de me faire des présents et qui, vive Dieu! pas plus tard qu'avant-hier, voulait me donner ses bracelets et son collier.

LE MARCHAND. D'où es-tu ?

PREMIER CAPTIF. De Majorque.

LE MARCHAND. Ç'a été bien à toi de refuser.

DEUXIÈME CAPTIF. Si ce sont les disgrâces qui vous touchent, nous en aurions lous à vous conter, et ceux que vous laisseriez ici ne le céderaient guère à ceux que vous emmèneriez.

LE MARCHAND. Patience, mes amis ! patience! il ne faut pas désespérer. Aujourd'hui est venue la Trinité; demain ce sera le tour de la Merci; et, si nous ne pouvons vous racheter, c'est elle qui mettra fin à votre malheur.

LA FEMME. Si la Trinité nous abandonne, comment pourrions-nous compter sur la Merci ?

L'ENFANT. Dites-moi, seigneur; si, comme me l'enseigne ma mère, Dieu le fils, la seconde personne de la Trinité, en se faisant homme, a racheté le monde, pourquoi donc ne vient-il pas aussi nous racheter, nous qui sommes ici esclaves?

LE MARCHAND. C'est que, dans cette circonstance, ce mot Trinité ne désigne qu'un ordre religieux, et le rédempteur qui arrive est un homme et non pas un dieu. C'est un père trinitaire, et vous autres l'appelez rédempteur, parce qu'il s'occupe du rachat des esclaves.

L'ENFANT. Cela doit être comme vous dites; car, s'il était Dieu, il nous rachèterait tous.

LE MARCHAND. Bien, mon enfant ! Pour cette belle réponse, je vous mets sur ma liste.

L'ENFANT. Je n'y tiendrai pas beaucoup de place, étant si petit.

LE MARCHAND. Mais je ne puis emmener deux personnes de la même famille; it faudra que

votre mère reste ici.

L'ENFANT. S'il en est ainsi, oh! alors pardonnez; mais laissez-moi ici à sa place. Je vous promets à tous deux de ne jamais oublier Dieu, ni que je suis chrétien.

LE MARCHAND. A cause de la reconnaissance et de l'attachement que vous témoignez à votre mère, je me vois obligé de la racheter avec vous, et il faut, elle aussi, que je l'inscrive. (A la femme.) Comment vous nommez-vous ?

LA FEMME.. Je me nomme Constance.

LE MARCHAND. Et vous, mon enfant?

L'ENFANT. Marcelo.

LA FEMME. Mon enfant ! c'est le ciel même qui t'a inspiré quand tu parlais, et je te dois la vie.

LE MARCHAND. De quel pays?

LA FEMME. De Nicosie.

LE MARCHAND. C'est bien.

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Et vous, bon vieillard, comment vous nomme-t-on ?

TROISIÈME CAPTIF. Dieu vous récompense de votre charité, monseigneur ! Je me

nomme Juan de Lezcano; je suis Espagnol.

DEUXIÈME CAPTIF. Dites donc de quel pays.

TROISIÈME CAPTIF. De Séville.

LE MARCHAND. Et vous, mon ami?

DEUXIÈME CAPTIF. Moi, seigneur, je suis de Marzagan.
LE MARCHAND. Votre nom?

DEUXIÈME CAPTIF. Je m'appelle Pedro.

LE MARCHAND. Et vous, d'où êtes-vous?

PREMIER CAPTIF. D'Alicante, et je suis pêcheur.·

LE MARCHAND. Comment vous appelez-vous ?

PREMIER CAPTIF. Juan de Flores.

LE MARCHAND. Allons, c'est bien; je vous emmène tous.
L'ENFANT. Quoi ! mère, nous nous en allons?

LA FEMME. Oui, mon enfant.

L'ENFANT. Tout de suite?

LA FEMME. Oui, mon amour chéri.

L'ENFANT. Faites-y bien attention. En arrivant là-bas, ne manquez pas de m'acheter une épée, et tous les Turcs que nous rencontrerons, je les tuerai !

«Il est inutile, ajoute, avec raison, l'habile et élégant traducteur, de faire remarquer la vérité de cette scène, et de relever avec quel art sont posés les divers personnages, qui tous sont vivants. Ce marchand, un peu froid d'abord, mais sensible et humain, et qui se laisse émouvoir par l'expression d'un sentiment élevé; les captifs, qui menacent adroitement de renier; la mère, tendre et pieuse; l'enfant, spirituel et vif, confiant dans ses forces, qu'il n'a pas encore éprouvées, et se livrant aux petites forfanteries de son âge..... tout cela est observé et rendu avec une exquise finesse.»

Dans un second article, nous examinerons avec soin les pièces traduites pour la première fois par M. Damas Hinard; nous nous arrêterons plus particulièrement sur deux d'entre elles, Les travaux de Jacob et La découverte du nouveau monde.

MAGNIN.

DOCUMENTS philosophiques tirés de différentes bibliothèques.

PREMIER ARTICLE.

Des rapports du cartésianisme et du spinosisme.

Nous l'avons déjà dit dans ce journal: le cartésianisme a été la grande affaire intellectuelle du xvII° siècle; il a occupé les savants et les

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Journal des Savants, mars 1842 Le cardinal de Retz cartésien."

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