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seulement des formes diverses de la même divinité? Voilà la question; et il est à craindre que le docte voyageur ne multiplicles individus sans y être suffisamment autorisé. Pour nous, nous sommes fort disposé à croire que, plus les points de comparaison se multiplieront, plus le nombre des divinités différentes diminuera, et que plusieurs seront ramenées à un même type.

Nous pensons que, si l'auteur a montré beaucoup d'érudition, en ce point comme sur le reste, il n'a pas montré, au même degré, la critique que le sujet exige. Nous ne pourrions appuyer ce jugement sans entrer dans une infinité de détails qui fatigueraient d'autant plus nos lecteurs, qu'il nous est impossible de les accompagner des figures qui seraient nécessaires.

Nous aimons mieux leur présenter quelques observations nouvelles sur une question principale dans les recherches relatives à cette matière: à savoir de quelle nature sont les rapports présumés entre les religions grecque et égyptienne; sont-ils réels et primitifs comme on l'a cru? sont-ils dus à une assimilation factice et récente? C'est ce que nous croyons devoir renvoyer à un travail particulier, que nous mettrons sous leurs yeux.

(La fin à un prochain cahier.)

LETRONNE.

Chronique de Bertrand du GuesCLIN, par Cuvelier, trouvère du XIVe siècle, publiée pour la première fois par E. Charrière, Paris, Firmin Didot, 1839, 2 vol. in-4°.

PREMIER ARTICLE.

La Chronique de Bertrand du Guesclin, ou, comme dit le manuscrit, la Vie vaillant Bertran du Guesclin, que M. Charrière a publiée pour la première fois, pourrait être considérée par la critique sous trois points de vue différents.

On aurait à juger d'abord l'œuvre poétique; il faudrait ensuite examiner cette chronique dans ses rapports avec l'histoire; il conviendrait enfin d'apprécier le système de politique dont l'éditeur a rattaché la pensée fondamentale aux événements du poëme, et dont il a développé les principes dans l'introduction placée en tête de son ouvrage. Mais

cette triple tâche serait aussi longue que difficile; elle excéderait les limites dans lesquelles nous devons nous renfermer, et de ces trois questions, littéraire, historique et politique, la première est assez importante et assez vaste pour que nous y bornions notre examen.

L'épopée historique ou plutôt la chronique rimée de du Guesclin est curieuse à étudier, moins encore à cause de son mérite réel que parce qu'elle nous offre le dernier monument de ces chansons de geste qui tiennent une si grande place dans l'histoire des premiers âges de la poésie française. Mais, pour apprécier la valeur poétique de cette œuvre, qui marque, pour nous, la fin d'une ère littéraire, il faut se souvenir de ce que fut, durant trois ou quatre siècles environ, ce genre de poésie qu'on a nommé l'épopée française.

Les écrivains qui se sont occupés des chansons de geste les ont toujours considérées isolément, et plutôt en archéologues qu'en poëtes; ils en ont examiné la date et découvert les auteurs, ils y ont cherché des questions de langue ou d'histoire, ils en ont même détaché quelques morceaux pour en relever la grâce, ou en faire briller l'éclat; mais on s'est peu mis en peine d'établir les caractères généraux de cette poésie, de voir si ces poemes sont bien, en effet, de la famille des célèbres épopées antiques et modernes dans la filiation desquelles on les veut faire entrer, enfin s'ils n'usurpent pas le grand nom poétique dont ils s'emparent.

Or tel est l'objet que nous nous proposons ici. Nous essayons de donner une idée succincte, mais aussi exacte, aussi fidèle qu'on le peut faire en un étroit espace, de toute une série de poëmes qu'on ne connaît que vaguement, par quelques fragments ou seulement par des ouï-dire plutôt que par une lecture assidue ou une étude intime. Et il faut bien que l'intimité poétique avec les épopées du moyen âge ait peu d'attrait puisqu'elle est si rare.

Sans examiner avec les bénédictins, avec l'abbé de la Rue, avec M. Fauriel, M. P. Paris et d'autres, s'il faut faire remonter les plus anciens de ces poëmes connus au x1o ou seulement au xır° siècle; sans aller plus loin encore chercher la naissance de cette épopée jusque dans les informes ébauches de ses vieilles origines, nous la prendrons telle qu'elle nous apparaît dans son plus beau temps, et dans ses monuments les plus célèbres, telle qu'elle est sortie du grand mouvement littéraire du xir° siècle.

Jusqu'au premier quart du siècle où nous sommes, cette portion si considérable de notre littérature poétique n'avait pu être connue que des curieux investigateurs des richesses manuscrites de nos bibliothèques;

l'imprimerie s'était bornée à la tâche plus facile et plus frivole de publier des poésies légères, des pièces badines, satiriques, courtes surtout. Les immenses travaux de La Curne de Sainte-Palaye sont euxmêmes restés manuscrits, et, sans le Glossaire de Ducange et deux ou trois ouvrages de haute érudition, comme le Recueil des historiens de France, les Notices des manuscrits de la Bibliothèque royale, l'imprimerie n'aurait pas même fourni quelques vers épars de ces grandes épopées, car nous ne saurions guère mentionner ici les rares et trompeuses analyses de la Bibliothèque des romans. Voilà 16 à 17 ans seulement qu'on a commencé à en livrer les textes à la presse; et, depuis 1827, où Fréd. Pluquet publia le Rou, jusqu'à 1842, que parut l'Ogier, donné par M. Barrois, cette collection s'est enrichie de l'élite de ces vieux poëmes, par les soins de M. P. Paris et de quelques autres amateurs de notre ancienne littérature.

Cette poésie, pendant longtemps délaissée et trop méprisée, sans doute, a trouvé enfin d'ardents vengeurs du dédain qu'elle avait subi; et il ne manque pas d'hommes instruits dans la science du vieux langage qui s'efforcent aujourd'hui de nous persuader que nous avons beaucoup de grands poëtes inconnus, et qu'ils ressuscitent des Virgiles et des Dantes ensevelis sous la poudre séculaire des manuscrits. Malgré l'enthousiasme passionné de ces admirateurs des épopées du moyen âge, qui n'ont pas craint de prononcer le grand nom d'Homère à propos des poëmes des trouvères 2, on s'abuserait étrangement si l'on s'atten

1 Le manuscrit sur lequel a été imprimé le poëme d'Ogier est du xiv siècle; il est le seul complet que l'on connaisse; collationné avec celui de la Bibliothèque royale (fonds Lavallière, n° 78) par M. Chabaille, initié si avant à la connaissance de notre vieil idiome, il ne pouvait manquer de fournir, pour ce poëme, le texte le plus pur et le plus authentique. Ce manuscrit est précisément celui qui a appartenu aux bénédictins, selon l'opinion desquels la date du poëme remonte au XI° siècle. Quoi qu'il en soit de cette opinion, l'épopée de Raimbert est évidemment, parmi celles qui nous restent, une des plus anciennes, et pourrait bien commencer cette série de chansons de geste que termine la Vie de du Guesclin. Sous ce point de vue, elle aurait mérité ici une attention toute spéciale. Nous ferons remarquer seulement avec quelles ressources d'érudition, quelle finesse d'aperçus, M. Barrois a détruit cette opinion, si longtemps accréditée, de l'origine cimbrique du héros du poëme, et prouvé que cet Ogier le Danois était tout simplement Ogier l'Ardennois, que le paladin d'outre-mer n'était que d'outre-Meuse (oultre-Mase). Préface, v, XI et passim.. 2 Ce n'est là une opinion nouvelle et soutenue seulement des hommes de peu de poids. Dès le dernier siècle, un savant anglais, l'évêque de Dromore, s'efforçant de réchauffer une admiration déjà éteinte depuis près de trois cents ans, avait mis les vieux poëmes anglo-normands au rang des grandes épopées. (Reliques of ancient poetry, III, 27.) Ritson, à son tour, exprime le même sentiment

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dait à rencontrer dans ces œuvres épiques quelque chose qui ressemblât, même de loin, aux grandes épopées antiques ou aux épopées modernes. Aussi, lorsque M. Charrière nous dit, en parlant de la Chanson de Bertrand du Guesclin : « La chronique, forme moderne de l'épopée antique 1.» Il éveille un souvenir et se sert d'un mot bien solennels pour un tel ouvrage; lui-même l'a compris, car il ajoute presque aussitôt «La chronique, on le sait, n'a pu avoir l'autorité de l'épopée comme expression de la pensée religieuse des peuples, et elle a été promptement annulée par l'histoire, du moment où elle s'est faite avec des documents positifs, des chartes, des pièces authentiques. >> Mais, si ces poëmes ont été si vite et si complétement effacés par l'histoire, c'est qu'ils n'étaient pas réellement de la poésie; car jamais l'histoire n'a eu, sur de véritables épopées, cette puissance d'absorption. Et, en effet, les chansons de geste n'ont rien qui rappelle la savante unité, le grand but, les admirables caractères, le merveilleux magnifique, la divine poésie, la philosophie profonde, qui font l'éternelle beauté, le charme sans pareil des épopées où l'on chantait le siége de Troie, la fondation de Rome, la délivrance du tombeau de Jésus-Christ, les tortures des damnés et les ravissements du paradis.

Contemporaine des deux faits historiques les plus considérables du moyen âge, la chevalerie et les croisades, née au sein d'une société dans laquelle fermentaient tant d'éléments poétiques, dans un siècle dans sa Dissert. on romance and minstrelsy (t. I de son recueil). Walter Scott, malgré son goût pour les choses du moyen âge et les préférences qu'aurait pu lui inspirer sa longue habitude avec les auteurs de cette époque, se montre plus réservé sur ce point, et établit une différence considérable entre ces sortes de poëmes et l'épopée. En réfutant, à cet égard, l'opinion de ses compatriotes, Percy et Ritson, il remarque « qu'il y a autant de distance entre ces deux genres de composition, qu'il en existe entre les moralités et les mystères du moyen âge et les productions dramatiques régulières dont ils furent suivis.» (Essais littéraires sur le roman, p. 11 de l'édition in-12.) L'abbé de la Rue, d'accord en cela avec Walter Scott (Essais historiques sur les bardes, etc., II, 267), se laisse pourtant entraîner quelquefois à des rapprochements un peu hasardés. Plus récemment M. P. Paris, dans son utile et curieux travail sur les manuscrits de la Bibliothèque royale, reconnaît nettement à quelques-uns de ces vieux poëmes tous les caractères de la haute épopée. » (III, 100.) Tout en avouant la supériorité d'Homère, il ne laisse de demander pour nos trouvères une place dans la famille du père de l'épopée, et de comparer leurs poëmes aux poëmes de l'Arioste et du Tasse. C'est cette admiration rétroactive, cette opinion hardie de critiques si compétents dans la matière, et dont le jugement pourrait être accepté sur parole, qu'il convient de ne pas laisser s'accréditer, et contre lesquelles il faut bien inspirer quelque défiance, si l'on veut donner une juste idée de ce qu'on nomme l'épopée française du moyen âge. - Introduction,

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qui avait pour devise Dieu et les dames, ce qu'il y a de plus sublime et de plus charmant hors de la création et dans la création, ce qui sait mieux élever et enivrer l'imagination du poëte, l'épopée du moyen âge s'est faite chronique; elle nous retrace assez bien l'histoire du temps, elle n'a pas su en conserver la poésie. Dans une de ses leçons sur la littérature de cette époque, M. Villemain a dit : « Bien que poëte signifie faiseur, et que troubadour ou trouvère soit synonyme d'inventeur, jamais poëte ne fait ou n'invente que l'idéal des événements ou des croyances de son temps 1. » Cette pensée, empreinte du profond sentiment littéraire, de la pénétrante sagacité, l'un des caractères de ce brillant enseignement qui restera l'une des gloires de la Sorbonne, nous semble exprimer, avec une justesse parfaite, ce qui a manqué aux trouvères : ils n'ont pas compris l'idéal des événements ou des croyances de leur temps. Sous l'influence de cette civilisation jeune et rude encore, mais bien autrement poétique qu'une civilisation plus avancée et plus polie, sont nés force rimeurs, pas un grand poëte; l'épopée était dans la société, elle n'est pas dans les poëmes; là, point de vaste création, point de ces fables marquées au coin de l'inspiration grandiose ou d'une délicieuse fantaisie.

Les anciens avaient nommé la poésie destinée aux représentations théâtrales d'un nom qui en déclarait l'objet, et qui, à lui seul, était une définition. Les trouvères étaient, sans doute, inspirés du même sentiment en appelant leurs poëmes de chevalerie des chansons de geste. Ils n'auraient pas osé, lors même qu'ils l'eussent connu, se servir du nom symbolique d'épopée, dont la simple étymologie éveille une pensée si vaste et si haute.

Les chansons de geste sont donc, pour la plupart, un simple récit d'aventures, plus remarquable par certaines parties d'exécution que par la conception générale, par les détails que par l'ensemble, par l'intérêt romanesque que par l'intérêt poétique. Malgré quelques éclairs d'imagination, quelques traits d'une admirable grandeur, quelques sentiments passionnés, des peintures gaies et satiriques, des tableaux de mœurs spirituellement touchés, malgré des beautés de style, de la vivacité, de la naïveté, de la verve même quelquefois, l'épopée du moyen âge ne mérite pas moins le sort qu'elle a subi; plus propre à piquer la curiosité qu'à la satisfaire, elle est un objet d'étude, non une cause de plaisir; genre nécessairement fastidieux des poemes d'une longueur excessive sans une grande conception poétique.

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