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tion ne détruit point ces puissances, et qu'elle ne met aucun obstacle à l'usage qu'on en peut faire. Donc ceux qui soutiennent ce sentiment conservent la raison et la foi; et il ne conduit point à perdre ni l'une ni l'autre, ce qui cependant y conduirait, si l'impossibilité du libre arbitre en était une suite. Que votre ami cesse donc d'accuser ce sentiment de ramener au spinosisme.

« Je vous avouerai ici, Monsieur, que ce n'est pas sans dessein que je n'ai point appuyé sur le terme inexplicable que votre ami emploie dans son objection. Ou l'on considère cette proposition en elle-même : l'homme est libre; alors rien de plus évident, rien de plus lumineux, en suivant cette définition de saint Thomas: facultas electiva mediorum servato ordine finis, puisque cette faculté est évidemment en nous. Mais, si on compare cette proposition avec celle-ci : Dieu a tout voulu et tout connu de toute éternité, et si on (en) cherche la concorde, je ne me pique pas de l'expliquer : c'est ce que vous connaîtrez dans la suite. «Sixième objection. L'idée d'une création continue était inconnue à toute l'antiquité sacrée.

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Réponse. Je sais, Monsieur, que la création continue était inconnue aux anciens philosophes, puisqu'ils ne connaissaient pas la création, et que, selon eux, toute substance, matière, atomes, nos âmes mêmes, étaient des substances nécessaires, éternelles, qui ne pouvaient être ni détruites ni produites. Ainsi le chrétien, dès le 1" article du symbole de sa foi, en sut plus que tous ces prétendus sages que l'antiquité profane comptait comme des oracles. Mais je ne sais point que la continuité de la création ait été inconnue à l'antiquité sacrée, qui a sans doute reconnu la création dont votre ami voudrait combattre la continuité. Il doit y prendre garde; ces deux objets sont bien voisins l'un de l'autre. Un être sans durée est bien difficile à concevoir; c'est ce qu'on lui fera voir incessamment.

« Instance. Mais la création continue, poursuit votre ami, est un rejeton de la philosophie des Arabes et des Orientaux, qui soutiennent, avec Spinosa, que tous les êtres sortent de Dieu par voie d'émanation, et qu'ils sont des formes substantielles de son essence.

« Réponse. Je veux bien croire que tel est le sentiment des Arabes et des Orientaux, d'autant plus volontiers que je sais que les anciens philosophes arabes, livrés à la métaphysique d'Aristote, ou du moins croyant la suivre, n'ont point connu la création, et encore parce que je sais que les livres de métaphysique de ce philosophe ayant été connus en France, quelques docteurs dogmatisèrent que tous les êtres sortaient de Dieu par voie d'émanation, et que Dieu n'était que la matière pre

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mière qu'Aristote définit le premier sujet permanent et subsistant duquel se forment tous les êtres, et dans lequel, si quelqu'un de ces êtres cesse, il retourne et se trouve résolu, sans que ce sujet puisse jamais être anéanti. Mais il n'y a pas moyen que je puisse convenir que la création continue soit un rejeton de ce sentiment. Il s'en faut bien nous puissions être d'accord, votre ami et moi. Quoi! je croirai que la création continue, qui se dit des substances produites, est un rejeton d'un sentiment qui ne reconnaît que des formes consubstantielles à l'essence de Dieu, d'un sentiment qui ne reconnaît ni créateur ni créature? Non, Monsieur, je ne le croirai jamais. J'oppose, avec tous les chrétiens, à l'émanation des Arabes, à leurs formes consubstantielles à l'essence divine, la création, et par conséquent des substances contingentes produites, qui sont sans doute bien différentes de ces formes consubstantielles. Comment se peut-il faire, Monsieur, qu'en ajoutant à la création la continuité, mon sentiment devienne un rejeton de leur opinion? L'émanation qu'ils soutiennent est continue, et je leur oppose une création continue. Tout ce qui pourrait arriver c'est que je leur serais trop opposé. Je croirais plus volontiers que le sentiment qui attribue au corps la puissance de se mouvoir, ou plutôt qui associe avec la matière le principe du mouvement et du repos, serait un rejeton de la philosophie des Arabes. En effet, sans ce principe, l'univers ne serait qu'une matière mobile, divisible, figurable, sans ornement. Ainsi cet ornement qui s'y trouve ne serait qu'une émanation continuelle, non de la vertu motrice, mais de la matière, être inconnu qu'on lui substitue, ou des atomes.

«Quand bien même votre ami trouverait dans les livres des péripatéticiens et dans ceux des saints Pères, que la création est un seul acte, il n'en doit pas inférer que cet acte n'est pas continu, mais seulement qu'on n'a point eu d'égard à sa continuité. Dieu a connu les possibles, et il continue de les concevoir. Il a mu la matière et il continue de la mouvoir, suivant les lois de sa sagesse, etc.

«Voici le second principe de votre ami : Dieu conserve néanmoins toutes les créatures, parce qu'elles tiennent tellement à lui par le fond de leur être, que, s'il s'en séparait un instant, elles retomberaient dans le néant.

« Ce discours, Monsieur, détaché de ce qui le précède et qui le suit, est des plus justes, et il porte un caractère d'évidence qui devrait faire effacer ce néanmoins qui s'y trouve et qui le rend relatif au précédent.

« Dire que les créatures ne peuvent subsister disjointes de leur pre

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mière cause, parce qu'elles ne contiennent point une raison d'existence nécessaire, c'est nier qu'elles reçoivent une stabilité à jamais, en vertu d'une création sans continuité; c'est dire, en d'autres termes, qu'il faut que Dieu les crée dans tous les moments qu'elles existent. En effet, tant que Dieu les crée, elles ne sont point séparées de lui; elles lui sont unies comme à leur première cause. Si, au contraire, Dieu cessait de les créer, elles seraient disjointes: car on ne peut concevoir l'union d'un effet avec sa cause efficiente qu'autant qu'il en est produit, ou que la cause influe sur lui et lui donne l'être. Par conséquent, si cette cause cesse d'influer, l'effet cesse d'être uni avec sa cause. Donc la créature, dès que Dieu cesse de la produire, doit, de l'aveu de votre ami, retomber dans le néant.

« Si la créature existe dans l'instant A, c'est, sans doute, parce qu'elle reçoit par voie de création libre l'existence dans ce premier instant. Aura-t-elle cette existence dans le deuxième instant et dans les autres suivants, si Dieu cesse de la produire ? Il est évident qu'elle ne l'aura pas. Elle ne contient aucune raison d'existence nécessaire, ainsi elle ne peut avoir cette existence de son propre fond dans l'instant B. L'existence qu'elle a reçue dans l'instant A ne lui donne aucun droit pour exister dans l'instant B. Donc, etc.

« Je vais plus loin. La substance contingente peut être créée. Or l'acte de création ne peut être sans continuité. Un instant est une portion de durée qui peut être toujours plus petite à l'infini, comme le point est une mesure d'étendue qui peut être plus petite et plus petite à l'infini. Ce qui ne dure point, ce qui n'est nulle part, disait M. Moore, ce fameux adversaire du grand Descartes, n'existe point...

«Dieu ménage infiniment mieux le libre arbitre que quelque créature que ce puisse être qui les déterminerait à agir. Ces créatures sont hors de nous, au lieu que Dieu est une cause connaturelle, cause première, à laquelle, comme causes secondes, nous sommes essentiellement subordonnés. Ainsi, comme le remarque saint Augustin, il a plus (en). sa puissance notre volonté que nous ne l'avons nous-mêmes.

«Doit-on craindre que la toute-puissance de Dieu blesse notre liberté, puisque Dieu ne s'en sert que pour la conserver?

« Le docteur anglais prétend que la dépendance où les créatures sont de Dieu consiste en ce qu'elles tiennent originairement leur être de lui, qu'il les conserve par leur union avec lui, et qu'il peut les détruire à tous moments.

« On lui répond qu'il reste à prouver à ce docteur que, dans son système, Dieu conserve les créatures par leur union avec lui. Mais on a vu 1° que, dans ce système, l'acte de création tient aussi lieu d'acte de conservation, puisqu'il suffit pour produire la créature et lui donner une stabilité à jamais; 2° que les créatures ne sont plus unies à leur première cause dès qu'elle cesse d'influer sur elles; 3° Dieu ne conserve pas les créatures par leur union avec lui, mais les créatures lui sont unies parce qu'il les conserve: leur conservation n'est pas l'effet de cette union, elle en est la cause.

« Ceux qui prétendent qu'un seul acte instantané de la volonté divine suffit pour donner une existence éternelle aux êtres créés, et que la continuation de cet acte n'est pas nécessaire pour la continuation de leur durée, doivent conséquemment dire qu'afin qu'ils tombassent dans le néant, il faudrait que Dieu cût une volonté positive de les anéantir, parce qu'il faut, disent-ils, autant de force pour anéantir que pour produire, pour détruire un mouvement commencé que pour commencer un mouvement arrêté. On leur répond ici qu'il faut une cause pour faire exister ce qui n'existe point, qu'il n'en faut pas pour rendre un être non existant; si le moteur cesse d'appliquer sa vertu motrice sur le mobile, dès l'instant le mouvement commencé doit cesser; mais, parce que cette application continue et par conséquent l'effort, il faut lui opposer un autre effort.

V. COUSIN.

(La fin au prochain cahier.)

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

Dans sa séance du 9 décembre, l'Académie des sciences a élu M. Valenciennes à la place vacante, dans la section de zoologie, par la mort de M. Ét. GeoffroySaint-Hilaire.

Dans sa séance du 23 décembre, la même académie a nommé M. Faraday à la place d'associé étranger vacante par le décès de M. Dalton.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

M. Galle, membre de l'Académie des beaux-arts, section de gravure, est mort à Paris, le 21 décembre.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

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Recherches sur les langues celtiques, par W. F. Edwards, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, etc.; ouvrage présenté à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, le 26 décembre 1831, et qui a obtenu la médaille du prix Volney, décernée par l'Institut dans sa séance du 2 mai 1834. Paris, imprimé par autorisation du Roi à l'Imprimerie royale, 1844, in-8° de 111-538 pages. Cet ouvrage, d'un académicien dont les savants regrettent la perte récente, a été composé pour répondre à une question proposée en ces termes par l'Académie des inscriptions et belles-lettres: a Déterminer, par un travail lexicographique et grammatical, le caractère propre des idiomes vulgairement connus sous le nom de celtiques en France et dans les îles britanniques, et rechercher la nature et l'importance des emprunts qu'ils ont faits, soit au latin, soit aux autres langues. L'auteur a compris sous la dénomination de langues celtiques en général le basque, le gaël irlandais, le gael écossais, le gallois et le breton, et il désigne, sous le nom de langues celtiques proprement dites, ces quatre dernières seulement. La première partie de l'ouvrage comprend la grammaire comparée de ces idiomes; la seconde partie en donne la lexicographie, aussi comparée. M. Edwards indique ainsi lui-même les principaux résultats de son travail dans le résumé qui le termine. « La parenté intime des langues celtiques proprement dites est de la dernière évidence : 1° par la nature des sons et de leurs combinaisons; 2° par la transmutation des lettres, surtout des consonnes, qui parcourent toutes les modifications que les mêmes organes peuvent imprimer, et cela dans la même racine; 3° par l'identité d'une multitude infinie de racines; 4° par l'analogie des principes de la grammaire; 5° par le génie de ces langues. Elles forment deux tribus : la première renferme le gallois et le breton; la seconde le gael écossais et irlandais. Il y a un troisième idiome qui se rapporte au gaël, peu cultivé et peu connu: c'est celui qu'on parle dans l'île de Man.... Les langues bretonnes diffèrent des langues gaeles, principalement en ce que le gallois a un plus grand nombre de terminaisons et de préfixes, et un esprit de suite sans exemple dans les langues anciennes et modernes en Europe. Il y a des racines qui fournissent des dérivés et des composés à perte de vue. Le gaël est plus riche en racines, plus pauvre en terminaisons et en préfixes, ayant peu d'esprit de suite en comparaison du gallois. Les rapports des langues celtiques proprement dites avec le grec et le latin, indiqués dans l'ouvrage, sont extrêmement multipliés. Quant à leurs rapports avec les langues néo-latines et surtout avec le français, la prononciation des langues celtiques s'est continuée en grande partie dans le français. La

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