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exclusivement le fruit d'un talent naturel, spontané, indépendant de toute culture. Tel de ces poëmes, dont la pensée sera un trait de génie, et dont l'exécution et les détails seront à la hauteur de la pensée, pourra être indifféremment regardé comme l'œuvre d'un pâtre ou d'un artisan, d'un soldat ou d'un matelot, d'une jeune fille ou d'une vieille femme. La seule chose dont on puisse être à peu près certain, c'est que l'auteur n'avait appris ni à lire ni à écrire, ne savait point par théorie ce que c'est que vers ou poésie, et ne songeait, en composant, qu'à satisfaire un besoin de son imagination, qu'à exprimer un sentiment de son cœur, nullement à faire preuve de science ou parade de talent poétique. La conséquence de cette première remarque, c'est qu'il est de la nature de la poésie populaire de demeurer impersonnelle et anonyme, d'avoir pour ordinaires interprètes les classes de la société les plus humbles, les mendiants, entre autres, ou les aveugles, et de se conserver ainsi par la transmission orale, aidée du chant et quelquefois de certaines danses traditionnelles. Enfin, un dernier caractère de ce genre de poésie est d'être le plus habituellement le fruit de l'occasion, le résultat d'une impression accidentelle, en un mot, d'être improvisée. Telle est la définition que l'habile éditeur des Chants de la Grèce moderne a donnée de la poésie populaire. Pour notre compte, nous l'adoptons sans réserve, et nous la regardons comme une pierre de touche assurée.

Aujourd'hui, ce que Percy, Evans, Jamieson, Ritson et d'autres ont fait pour l'Angleterre, Walter-Scott pour l'Écosse, Guillaume Muller pour l'Italie1, M. Fauriel pour la Grèce moderne, M. de la Villemarqué pour la Bretagne; ce que Herder, Brentano et Achim d'Arnim, Erlach, etc., ont fait pour l'Allemagne2, M. Édélestand du Méril entreprend de le faire pour une langue et pour des populations depuis longtemps éteintes : il publie le recueil des poésies populaires latines depuis les premiers temps de Rome jusqu'au xır° siècle de notre ère. On voit que l'auteur s'impose une tâche complexe, ou plutôt deux tâches fort différentes, et qui ne se ressemblent que par une égale difficulté d'exécution, à savoir de réunir les chants populaires latins de la période consulaire et impériale, et ceux des nouvelles populations de l'Europe barbare et chrétienne.

La première réflexion que suggère l'entreprise de M. Édélestand du Méril est la suivante : Jusqu'à quel point est-il possible de recueillir et même de reconnaître aujourd'hui des chants populaires composés dans

1 W. Muller, Egeria, 1829, in-8°. — Voyez aussi, dans la Bibliothèque d'Élite, les Ballades et chants populaires de l'Allemagne, traduction nouvelle par Sébastien Albin, 1 vol. in-12.

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une langue morte par et pour des nations qui, depuis plusieurs siècles, n'existent plus? On conçoit qu'aussi longtemps qu'un peuple est debout et vivant, ou, du moins, tant qu'il n'est encore détruit et transformé qu'à demi, une pieuse sollicitude puisse, à grand' peine, recueillir de la tradition les derniers murmures de cette poésie séculaire et toujours nouvelle, que chacun sait par cœur, que personne n'a apprise, et dont le propre est de circuler, de s'accroître, et malheureusement aussi de s'altérer de bouche en bouche. Mais, quand il s'agit de générations dont la voix est depuis longtemps muette, est-il permis de croire qu'on pourra saisir ce qui n'a d'existence réelle que dans la joie, dans les douleurs, en un mot, dans la vie intime et, pour ainsi dire, dans la respiration d'un peuple qu'on est à même de voir et d'interroger? La seule chose que puisse raisonnablement se proposer un collecteur de poésies populaires latines, c'est de réunir en corps et d'éclairer de ses remarques le petit nombre de pièces éparses et les courts passages que les auteurs anciens eux-mêmes ont signalés et conservés comme populaires. Tout au plus peut-on espérer de glaner, dans quelques textes rarement consultés ou depuis peu découverts, trois ou quatre nouveaux échantillons de poésie supposée populaire ; je dis supposée, car il manquera toujours aux pièces qui formeront ce hasardeux recueil la marque la plus certaine et la seule irréfragable d'une origine et d'une existence vraiment populaires, à savoir la transmission orale et la filiation traditionnelle 1.

Peut-être nous dira-t-on qu'il existe une autre sorte de poésie qu'on peut, avec raison, appeler aussi populaire. A côté des chants composés par le peuple, il y a les chants faits pour le peuple, ou qui, du moins, lui arrivent; il y a la poésie qu'une nation tout entière accepte et répète. En ce sens, les vers les plus artistement travaillés, les plus savants par le rhythme et la forme, les chansons de notre Béranger, par exemple, et plusieurs odes d'Horace qu'on a chantées assez longtemps dans le monde romain pour que la musique de quelques-unes nous soit parvenue2, pourraient prendre place dans un recueil de chants popu

'Chez presque toutes les nations du monde, des littérateurs érudits se sont appliqués à faire des pastiches de poésies populaires. - M. Libri a signalé dans ce journal (numéro de janvier 1842, p. 39 et suivantes) un manuscrit d'Horace, de la fin du x ou du commencement du x1° siècle, ayant appartenu à Pithou et aujourd'hui possédé par la bibliothèque de Montpellier, dans lequel l'ode à Phyllis, qui commence par le vers Est mihi nonum superantis annum, présente, dans les interlignes, la notation musicale; et, comme il est peu vraisemblable, ainsi que le fait remarquer M. Libri, qu'au moyen âge on mît en musique et que l'on chantât les odes d'Horace, il est à croire que cette notation a été copiée sur un manuscrit plus ancien, et contient l'air sur lequel les Romains chantaient cette ode. Au reste,

laires! On sent que ce n'est là qu'un abus de mots, et que ce serait confondre la poésie nationale avec la poésie populaire. M. du Méril adopte pour son usage et élargit encore cette nouvelle définition, déjà trop compréhensive. Il va même beaucoup plus loin: il pose en principe qu'on doit regarder comme des compositions populaires les poésies dont le cercle de popularité ne s'étend qu'aux classes de la société les plus éclairées. C'est exactement le contre-pied de la judicieuse définition de M. Fauriel, que nous avons citée plus haut. Mais écoutons M. du Méril, et voyons par quelle série d'arguments il arrive à cette conclusion inattendue : « Pour être populaires dans le sens philosophique du mot, il n'est point, dit-il, nécessaire que des poésies, dont la forme est simple et le sens profondément historique, jouissent d'une popularité universelle. Les différentes agrégations qui composent un peuple sont réunies longtemps par des idées et des intérêts communs, avant d'arriver à une complète unité, et chacune peut avoir des chants à elle, d'autant plus dignes d'être soigneusement étudiés, qu'elle exerce plus d'influence sur l'ensemble de la civilisation. Les poésies qui appartenaient plus spécialement à la classe éclairée, à celle qui avait le mieux conservé les traditions et les idées du passé, se recommandent donc d'une manière toute spéciale à l'attention des historiens. Loin d'être une cause de dédain, leur forme érudite, la langue classique dans laquelle elles étaient écrites, leur donnent un nouveau degré d'intérêt 1. » A ce compte, toute poésie qui arrive à une célébrité quelconque serait de la poésie populaire. Le fameux sonnet sur la puce, de Me des Roches, et les non moins fameux sonnets de Job et d'Uranie, qui firent tant de bruit dans les ruelles de la cour d'Anne d'Autriche et de l'hôtel de Rambouillet, devraient entrer dans une collection de poésies populaires. En vérité, c'est changer tout à fait gratuitement le sens des mots. Que la poésie faite pour plaire aux classes les plus polies et les plus raffinées puisse jeter de vives lumières sur certains côtés de l'histoire d'une nation, en raison même de l'influence que ces classes ont exercée sur elle, personne ne le met en doute. Mais, de ce que la poésie parée et érudite doit être prise en grande considération par l'historien et par le critique, il ne s'ensuit pas qu'elle soit la poésie populaire. En appliquant le principe posé par M. du Méril, on pourrait arriver à composer

cette page précieuse du manuscrit de Montpellier sera publiée incessamment, en fac-simile, dans le premier volume du Catalogue général des manuscrits de la France, qui s'exécute, en ce moment, d'après la pensée et sous les auspices de M. le ministre de l'instruction publique. 1 Poésies populaires latines, introduct.,

p. 38 et suivantes.

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un recueil d'un incontestable intérêt historique et littéraire, et qui, malgré son titre, ne contiendrait qu'à peine cinq ou six morceaux de poésie véritablement populaire. C'est effectivement ce que l'on est forcé de dire du nouveau volume, très-savant et très-intéressant, à tous autres égards, que vient de publier M. Édélestand du Méril.

Ce recueil se divise en trois parties: 1° les poésies populaires de l'époque païenne; 2° les poésies populaires chrétiennes; 3° les poésies de l'époque chrétienne sur des sujets profanes. Le tout est précédé d'une introduction générale, où l'érudition la plus étendue et la plus variée est appliquée à la solution de problèmes de philologie peut-être trop nombreux et trop divers. Nous aurions préféré de beaucoup, pour notre compte, que l'auteur eût partagé ce faisceau trop compacte, et eût fait précéder chacune des grandes divisions qu'il a ouvertes par un examen particulier des faits et des idées que le sujet soulève. Les opinions et le dessein de l'auteur auraient, par ce mode d'exposition, infiniment gagné en ordre et en clarté.

Nous allons examiner de quelle manière M. du Méril a rempli le vaste cadre qu'il s'est tracé.

La première partie du recueil, celle où l'éditeur a réuni ce qu'il appelle les poésies populaires romaines, ne renferme qu'un fort petit nombre de morceaux. Ce sont : 1° les six vers qui nous restent du chant des frères Arvales 1; 2° sept épigrammes de deux ou trois vers contre Jules César et Auguste; 3° quatre courtes épigrammes sur les consuls Lepidus et Plancus, sur Sempronius Rufus, sur Ventidius Bassus, et sur Sarmentus, un des bouffons attitrés d'Auguste; 4° une épigramme contre Tibère; 5° une autre contre Galba; 6° trois vers de Florus contre Hadrien, et la réponse de l'empereur; 7° une épigramme contre Sévère; 8° quelques mots du chant des soldats d'Aurélien; 9° le refrain du chant de la sixième légion; 10° une chanson contre Maximin; 11° enfin le Pervigilium Veneris. C'est là tout ce que l'antiquité a fourni à M. du Méril.

L'histoire romaine de Niebuhr a tellement agrandi, aux yeux de certains lecteurs, la place occupée par la poésie populaire dans les an

1 M. du Méril écrit constamment Arvals, contre l'usage reçu, qui demande Arvales. Je crois cette nouvelle orthographe fautive. Les substantifs et les adjectifs masculins en alis, pluriel ales, font en français al et aux : fecialis, fécial, féciaux. Cette règle ne reçoit d'exception que lorsque le mot latin, n'étant employé que par les érudits, conserve sa forme latine, comme cela est arrivé pour le pluriel Arvales, qu'il est d'usage de transcrire en français. Si, au contraire, on voulait le franciser, il faudrait dire Arvaux, comme on dit féciaux, etc. Écrire Arvals, avec M. du Méril, est à la fois contraire à l'étymologie latine et à l'analogie française.

ciennes annales de Rome, que l'on sera peut-être surpris de la trouver, dans un recueil spécial, réduite à si peu de chose, et surtout à des choses si peu populaires. M. du Méril, dans les vingt premières pages de son introduction, apprécie à leur juste valeur les exagérations systématiques du professeur de Bonn, qui n'a voulu voir, comme on sait, que des chants populaires ou des récits symboliques dans l'histoire des premiers siècles de Rome. M. du Méril ne consent même pas à accepter pour des fragments de nénies (c'est-à-dire pour des extraits de ces éloges qui se chantaient aux funérailles et que les jeunes Romains répétaient dans les repas) les inscriptions en vers du tombeau des Scipion. Il nous semble que, pour un éditeur des poésies populaires romaines, à défaut de presque tout autre monument, la conjecture de Niebuhr relative à ces inscriptions était admissible, et que, dans tous les cas, le texte de ces vers si éminemment historiques aurait été, pour le moins, aussi convenablement placé dans ce volume qu'aucune des pièces que nous y trouvons.

Les épigrammes contre les empereurs, que M. du Méril a réunies, après M. George Henri Bernstein 2, n'ont pas toutes, il faut le dire, un caractère bien populaire, et quelques-unes même semblent n'avoir pu être composées que par de beaux esprits de Rome. L'épigramme de Florus contre Hadrien, par exemple, et la piquante réponse du poëte couronné sont bien évidemment un duel de courtisan lettré à empereur, tel à peu près que le xvir° siècle en a vu entre le roi de Prusse et Voltaire. Aussi la mesure trochaïque, que le savant éditeur regarde comme un des signes les plus certains de la poésie populaire 3, ne change-t-elle rien, ce nous semble, à la nature tout aristocratique de ces deux morceaux. Quoi qu'il en soit, nous ne voudrions retrancher de cette très-courte collection de vers satiriques qu'une seule pièce, qui s'y est glissée par méprise, et qui n'y devait figurer à aucun titre nous voulons parler d'une chanson dont il fut fait, en plein théâtre, une ap

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M. du Méril rapproche les Spñvoi des Grecs et les nenia romaines des endechas de l'Espagne et du Portugal (p. 14, n. 4). Cette assimilation ne nous paraît pas exacte. L'endecha est, à la vérité, un chant triste, une élégie, mais non pas précisément une lamentation ni un chant funèbre. 2 Versus ludicri in Romanorum Casares priores olim compositi. Halis Saxonum, 1810, in-8°. 3 Poésies populaires latines, p. 109, n. 5. Je ne vois pas la preuve de cette assertion dans les anciens grammairiens. Marius Victorinus dit seulement du vers trochaïque : « Carmen jocosis motibus emollitum. » Le mot trochæus paraît venir de péxew, courir. Aussi le trochée était-il surtout employé dans la poésie des chœurs. Prudence appelle les trochées rotatiles, probablement parce que les vers de ce genre étaient particuliè rement usités dans les chants faits pour accompagner les danses circulaires.

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