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établi au Théâtre, qu'en fait de reproche à l'Auteur, ce qui nous affecte le plus eft ce dont on parle le moins.

Il est peut-être utile de dévoiler aux yeux de tous, ce double afpect des comédies, & j'aurai fait encor un bon ufage de la mienne, fi je parviens en la fcrutant, à fixer l'opinion publique fur ce qu'on doit entendre par ces mots : Qu'est-ce que LA DÉCENCE THÉATRALE ?

A force de nous montrer délicats, fins connaisfeurs, & d'affecter, comme j'ai dit autre part, l'hypocrifie de la décence auprès durelâchement des mœurs, nous devenons des êtres nuls, incapables de s'amufer & de juger de ce qui leur convient: faut-il le dire enfin? des bégueules raffafiées qui ne favent plus ce qu'elles veulent, ni ce qu'elles doivent aimer ou rejetter. Déja ces mots fi rebattus, bon ton, bonne compagnie, toujours ajustés au niveau de chaque infipide cotterie, & dont la latitude eft fi grande qu'on ne fait où ils commencent & finiffent, ont détruit la franche & vraie gaité qui diftinguait de tout autre, le comique de notre nation.

Ajoutez-y le pédantefque abus de ces autres. grands mots décence & bonnes mœurs, qui donnent un air fi important, fi fupérieur, que nos jugeurs de comédies feraient défolés de n'avoir pas à les prononcer fur toutes les pieces de

Théâtre, & vous connaîtrez à-peu-près ce qui garote le génie, intimide tous les Auteurs, & porte un coup mortel à la vigueur de l'intrigue, fans laquelle il n'y a pourtant que du bel efprit à la glace, & des comédies de quatre jours.

Enfin, pour dernier mal, tous les états de la fociété font parvenus à fe fouftaire à la cenfure dramatique: on ne pourrait mettre au Théâtre les Plaideurs de Racine, fans entendre aujourd'hui les Dandins & les Brid'oifons, même des gens plus éclairés, s'écrier qu'il n'y a plus ni mœurs, ni refpect pour les Magiftrats.

On ne ferait point le Turcaret, fans avoir à l'inftant fur les bras, Fermes, Sous - fermes, Traites & Gabelles, Droits-réunis, Tailles, Taillons, le Trop-plein, le Trop-bu, tous les Impofiteurs royaux. Il eft vrai qu'aujourd'hui Turcaret n'a plus de modeles. On l'offrirait fous d'autres traits, l'obstacle refterait le même.

On ne jouerait point les Fâcheux, les Marquis, les Emprunteurs de Molière, fans révolter à la fois la haute, la moyenne, la moderne & l'antique Nobleffe. Ses Femmes favantes irriteraient nos féminins bureaux d'efprit; mais quel calculateur peut évaluer la force & la longueur du levier qu'il faudrait, de nos jours, pour élever jufqu'au Théâtre l'œuvre fublime du Tartuffe? Auffi l'Auteur qui fe compromet avec le Public

pour l'amufer, ou pour l'inftruire, au lieu d'intriguer à fon choix fon ouvrage, eft-il obligé de tourniller dans des incidens impoffibles, de perfifler au lieu de rire, & de prendre fes modeles hors de la fociété, crainte de fe trouver mille ennemis dont il ne connaiffait aucun en

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compofant fon trifte Drame.

J'ai donc réfléchi que fi quelque homme courageux ne fecouait pas toute cette pouffière, bientôt l'ennui des Pieces françaises porterait la nation au frivole opéra-comique, & plus loin encor, aux Boulevards, à ce ramas infect de tréteaux élevés à notre honte, où la décente liberté bannie du Théâtre français, fe change en une licence effrénée; où la jeuneffe va fe nourrir de groffières inepties, & perdre, avec fes mœurs, le goût de la décence & des chefs-d'œuvre de nos maîtres. J'ai tenté d'être cet homme, & fi je n'ai pas mis plus de talent à mes ouvrages, au moins mon intention s'eft-elle manifeftée dans tous.

J'ai pensé, je penfe encor, qu'on n'obtient ni grand pathétique, ni profonde moralité, ni bon & vrai comique au Théâtre, fans des fituations fortes, & qui naiffent toujours d'une difconvenance sociale, dans le fujet qu'on veut traiter. L'Auteur tragique, hardi dans fes moyens, ofe admettre le crime atroce; les confpirations,

l'ufurpation du trône, le meurtre, l'empoifonnement, l'incefte dans Edipe & Phédre; le fratricide dans Vendôme; le parricide dans Mahomet; le régicide dans Machbet, &c. &c. La comédie, moins audacieuse, n'excede pas les difconvenances, parce que fes tableaux font tirés de nos mœurs, fes fujets, de la fociété. Mais comment frapper fur l'avarice, à moins de mettre en fcène un méprifable avare? démafquer l'hypocrifie, fans montrer, comme Orgon dans le Tartuffe, un abominable hypocrite, époufant fa fille & convoitant fa femme? un homme à bonnes fortunes, fans le faire parcourir un cercle entier de femmes galantes; un joueur effréné, fans l'envelopper de fripons, s'il ne l'eft pas déja lui-même ?

Tous ces gens-là font loin d'être vertueux; l'Auteur ne les donne pas pour tels : il n'est le patron d'aucun d'eux ; il eft le peintre de leurs vices. Et parce que le lion eft féroce, le loup vorace & glouton, le renard rufé, cauteleux, la fable eft-elle fans moralité ? quand l'Auteur la dirige contre un fot que la louange enivre, il fait choir du bec du corbeau le fromage dans la gueule du renard, fa moralité eft remplie : s'il la tournait contre le bas flatteur, il finirait fon apologue ainfi : le renard s'en faifit, le dévore; mais le fromage était empoisonné. La fable eft une comédie légère, & toute comédie n'eft qu'un

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long apologue leur différence eft, que dans la fable les animaux ont de l'efprit ; & que dans notre comédie les hommes font fouvent des bêtes, & qui pis eft, des bêtes méchantes.

Ainfi, lorfque Molière, qui fut fi tourmenté par les fots, donne à l'Avare un fils prodigue & vicieux qui lui vole fa caffette, & l'injurie en face; eft-ce des vertus ou des vices qu'il tire fa moralité? Que lui importent fes fantômes ? c'est vous qu'il entend corriger. Il est vrai que les afficheurs & balayeurs littéraires de fon tems, ne manquèrent pas d'apprendre au bon Public combien tout cela était horrible! Il eft auffi prouvé que des envieux très-importans, ou des importans très-envieux fe déchaînèrent contre lui. Voyez le févère Boileau dans fon épître au grand Racine, venger fon ami qui n'est plus, en rappellant ainfi les faits :

L'Ignorance & l'Erreur à fes naiffantes Pieces,
En habits de Marquis, en robes de Comteffes,
Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,
Et fecouaient la tête à l'endroit le plus beau.
Le Commandeur voulait la fcène plus exacte ;
Le Vicomte indigné, fortait au second acte:
L'un, défenfeur zèlé des dévôts mis en jeu,
Pour prix de fes bons mots, le condamnait au feu;
L'autre, fougueux Marquis, lui déclarant la guerre,
Voulait venger la Cour immolée au Parterre.

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