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légataires qui ne sont que ses ayant cause. Mais les légataires ne peuvent pas non plus demander aux héritiers le rapport des legs qui leur ont été faits par le défunt; en d'autres termes, les héritiers ne sont pas privés à l'égard des légataires étrangers, comme ils le, sont dans leurs rapports entre eux, du droit de réclamer le montant de leurs legs.

Est-ce à dire que les legs faits à l'un des héritiers seront payés par préférence aux legs faits à des étrangers? Nullement. En cas d'insuffisance des biens héréditaires, tous les legs seront payés au marc le franc (art. 926); et, comme l'héritier légataire doit le rapport de son legs à son cohéritier, il devra laisser dans la masse de la succession, pour les partager avec ses cohéritiers, les sommes ou valeurs qui lui seront attribuées dans cette distribution proportionnelle. Ainsi le défunt laisse comme habiles à lui succéder trois frères germains; à l'un, Primus, il a légué 50,000 fr.; il a légué 50,000 fr. également à un étranger; l'actif net de la succession s'élève à 50,000 fr.; les trois héritiers acceptent sous bénéfice d'inventaire. Le légataire étranger ne pourra pas dire à Primus : « Aux termes de l'art. 843, vous devez le rapport de votre legs, c'est-à-dire que vous ne pouvez pas en réclamer le montant; par suite je dois être payé de préférence à vous ». En effet un légataire ne peut pas demander le rapport à un héritier (art. 857). Les deux légataires seront donc payés par concurrence (art. 926), et ils obtiendront par conséquent chacun 25,000 fr. Maintenant, Primus pourra-t-il garder pour lui tout seul les 25,000 fr. qui lui sont ainsi attribués ? Non; car il en doit le rapport à ses cohéritiers; il devra donc les partager avec ses deux frères.

La règle que le rapport n'est pas dû aux légataires est absolue; elle s'applique aux légataires universels ou à titre universel aussi bien qu'aux légataires à titre particulier.

Non seulement les légataires ne peuvent pas demander le rapport, mais ils ne peuvent pas en profiter quand il a été effectué; il en est à cet égard du rapport comme de la réduction (art. 921).

251. En second lieu, le rapport, avons-nous dit, n'est pas dû aux créanciers de la succession. Ainsi le défunt laisse comme héritiers deux enfants, Primus et Secundus; à Primus il a donné par donation entre vifs un immeuble valant 20,000 fr., rien à Secundus; la succession ne comprend aucun actif, mais il y a un lourd passif; aussi les deux héritiers acceptent sous bénéfice d'inventaire. Les créanciers pourront-ils demander à Primus le rapport de son don? Nullement. Ils ne pourront même pas profiter du rapport effectué sur la demande de Secundus. En effet le bien donné à Primus était définitivement sorti du patrimoine du défunt; il avait donc cessé de faire partie du gage de ses créanciers, comme tout autre bien qu'il aurait aliéné, et, s'il· rentre dans la succession par l'effet du rapport, c'est seulement en faveur des cohéritiers du donataire.

Ce dernier point demande quelques explications. Les créanciers ont un droit de gage général sur tous les biens qui appartiennent à leur débiteur (art. 2092), mais ils n'ont de droit que sur ces biens. Toute chose qui entre dans le patrimoine d'un débiteur devient immédiatement le gage de ses créanciers; mais en sens inverse toute chose qui en sort échappe à leur droit de gage, en supposant toutefois une

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aliénation faite sans fraude. Les créanciers du défunt n'ont donc plus aucun droit aux biens, dont celui-ci a disposé par donation entre vifs soit au profit d'un de ses successibles, soit au profit de tout autre. Pour eux, comme pour leur débiteur, ces biens sont définitivement sortis du patrimoine de celui-ci, et, s'ils y rentrent par l'effet du rapport, c'est seulement en faveur des cohéritiers du donataire. Ainsi que le dit fort bien Pothier, « les biens rapportés ne sont plus de la succession, puisqu'ils n'appartenaient plus au défunt, étant définitivement sortis de son patrimoine ». Les créanciers du défunt ne peuvent donc élever sur eux aucune prétention; car ils n'ont droit que sur les biens composant le patrimoine de leur débiteur, c'est-à-dire sur les biens de la succession. Nous ne parlons que des créanciers chirographaires, les seuls dont il soit vrai de dire que leur droit de gage subit toutes les fluctuations du patrimoine de leur débiteur. Les créanciers hypothécaires sont armés d'un droit de suite, en vertu duquel ils peuvent poursuivre le bien qui leur est spécialement affecté, même après qu'il est sorti des mains du débiteur; et il en est de même des créanciers ayant privilège sur un immeuble.

La règle, que les créanciers de la succession ne peuvent pas demander le rapport ni en profiter quand il a été effectué, ne fait pas obstacle à ce que ces créanciers demandent à être payés sur les biens que le défunt a légués, même par préciput, à un ou plusieurs de ses héritiers. En formulant cette prétention, ils ne demandent pas le rapport, qui n'est pas nécessaire ici pour faire rentrer les biens dans la succession, puisqu'ils n'en sont pas sortis; ils invoquent seulement l'adage Nemo liberalis nisi liberatus, qui signifie qu'on n'a pas le droit d'être libéral aux dépens de ses créanciers, et que par conséquent les créanciers doivent être payés avant les légataires.

C'est seulement aux créanciers de la succession, c'est-à-dire aux créanciers du défunt, que l'art. 857 refuse le droit de réclamer le rapport. Cet article ne fait donc pas obstacle à ce que les créanciers personnels de l'héritier puissent le demander du chef de celui-ci, et ils auraient en effet ce droit par application de l'art. 1166. De là il résulte que les créanciers d'une succession acceptée purement et simplement peuvent demander le rapport; car cette acceptation les a rendus créanciers personnels des héritiers.

En définitive, on le voit, c'est seulement lorsque la succession sera acceptée sous bénéfice d'inventaire, que la disposition de l'art. 857 in fine pourra être opposée aux créanciers; car cette acceptation les réduit à leur titre de créanciers de la succession. Pothier formulait donc la règle d'une manière plus exacte que les auteurs du code, lorsqu'il disait : « Le rapport n'est pas dû aux créanciers de la succession acceptée sous bénéfice d'inventaire ».

No 3. De quels dons et de quels legs le rapport est dû. 252. En principe, tous les dons et tous les legs, faits par le défunt à l'un de ses successibles, sont rapportables, à moins qu'ils ne soient dispensés du rapport (art. 843).

L'application de cette règle est fort simple en ce qui concerne les legs qu'ils soient universels, à titre universel ou à titre particulier, considérables ou modiques, ils sont soumis au rapport dans tous les

cas.

Notre proposition exige plus de développements relativement aux dons entre vifs. « Tout héritier...› »>, dit l'art. 843, « doit rapporter à ses » cohéritiers tout ce qu'il a REÇU du défunt, par donation entre-vifs, DIREC» TEMENT OU INDIRECTEMENT ». Notons d'abord que la loi n'oblige l'héritier à rapporter que ce qu'il a REÇU; il ne serait donc pas tenu de rapporter ce qui lui a été seulement promis par le défunt à titre de don. Ainsi l'enfant venant à la succession de son père, ne doit pas le rapport de la dot, qui lui avait été constituée par celui-ci, mais qui n'avait pas encore été payée à l'époque de son décès. Comme le dit fort bien M. Demolombe, « rapporter c'est rendre, et on ne peut rendre que ce qu'on a reçu ».

Peu importe d'ailleurs la nature des biens donnés, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels; le rapport est dû dans tous les cas. Peu importe aussi que la donation ait été faite en vue de l'établissement du successible ou pour toute autre cause. On lit à ce sujet dans l'art. 851 « Le rapport est dû de ce qui a été employé pour l'établissement d'un des cohéritiers, ou pour le paiement de ses dettes ». Peu importe enfin le caractère de la donation; le rapport serait donc dû, même pour les donations rémunératoires et les donations onéreuses; lex non distinguit. On appelle rémunératoires les donations qui sont faites en récompense ou rémunération d'un service rendu, et onéreuses, celles qui sont faites sous certaines charges imposées au donataire.

Et toutefois les donations rémunératoires et les donations onéreuses ne seraient rapportables que jusqu'à concurrence de l'avantage qu'elles contiennent en réalité pour le donataire. Ainsi une donation de 20,000 fr., faite par le défunt à un de ses successibles, à titre de rémunération d'un service appréciable à prix d'argent et dont la valeur était de 5,000 fr., ou sous l'obligation de supporter une charge de 5,000 fr., par exemple de payer une dette du donateur qui s'élève à ce chiffre, ne sera rapportable que jusqu'à concurrence de 15,000 fr.; car, en réalité, le successible n'est donataire que de cette somme.

Enfin l'obligation du rapport s'applique aux libéralités indirectes comme aux libéralités directes (art. 843).

253. Libéralités directes. On désigne sous ce nom les donations qui sont adressées directement et sans détour à la personne mème que l'on veut gratifier; telles sont les donations faites par acte (art. 931) au gratifié lui-même.

Les donations manuelles, c'est-à-dire celles qui se font de la main à la main, sont aussi des libéralités directes. C'est dire qu'elles sont

rapportables. Mais la plupart du temps les cohéritiers du donataire, qui demandent le rapport de semblables donations, éprouveront de graves embarras pour en démontrer l'existence; car, non seulement il n'y a aucun écrit qui les constate, mais le plus souvent elles ont lieu en l'absence de témoins; ils en seront donc à peu près réduits à faire appel à la loyauté de leur adversaire, auquel ils pourront déférer le serment. Arg. art. 1358.

Les dons manuels seraient rapportables alors même qu'ils seraient modiques. A moins cependant qu'à raison mème de leur modicité et des circonstances dans lesquelles ils ont été faits, ils ne pussent être considérés comme des présents d'usage, dispensés du rapport aux termes de l'art. 852.

D'après la jurisprudence de la cour de cassation, la dispense du rapport en ce qui concerne les dons manuels peut être tacite; le juge pourrait donc l'induire des circonstances de la cause. La disposition de l'art. 843, qui exige une dispense expresse du rapport, ne serait écrite qu'en vue des donations faites par acte. On concevrait difficilement, dit la cour suprême, qu'une donation, qui peut valablement être faite sans acte, ne pût être dispensée du rapport qu'en vertu d'une déclaration insérée dans un acte. Les donations manuelles sont un simple fait; au juge il appartient de l'apprécier et d'en déterminer la portée.

254. Libéralités indirectes. Une libéralité indirecte est celle qui a lieu per viam obliquam et indirectam. Les voies détournées, par lesquelles une personne peut arriver à en gratifier une autre, sont extrêmement nombreuses, et il serait peut-être périlleux d'en entreprendre une énumération complète. Bornons-nous à indiquer les principales.

a. Il y a d'abord les libéralités indirectes résultant d'une interposition de personne. Le de cujus, au lieu de donner directement au successible qu'il entendait gratifier, a donné à un intermédiaire (personne interposée) à un prête-nom, avec charge de remettre le bien donné au successible. Les libéralités, faites à un successible par personne interposée, sont rapportables comme toute autre libéralité indirecte. b. Doivent encore être rangés dans la catégorie des libéralités indirectes, et déclarés rapportables à ce titre, les avantages résultant d'une renonciation que le défunt a faite au profit d'un de ses successibles. Ainsi le de cujus, étant appelé à une succession ou à un legs conjointement avec l'un de ses héritiers présomptifs, y a renoncé pour en faire acquérir le bénéfice exclusif à cet héritier. Celui-ci a ainsi obtenu un avantage indirect, dont il doit le rapport.

En effet, par sa renonciation, le de cujus a fait sortir de son patrimoine, où la loi les avait fait entrer art. 711), les biens dépendant de la succession ou du legs, et les a fait acquérir à son successible, non pas directement sans doute, mais du moins indirectement, en se retirant pour lui laisser la place libre. Il s'est donc appauvri, et il a enrichi son successible; il lui a fait un avantage, une donation

indirecte qui sera sujette à rapport. La jurisprudence est en ce sens (Cass., 1er mai 1876, Sir., 76. 1. 292; Limoges, 19 février 1884, Sir., 86. 2. 145); il y a quelques dissidences dans la doctrine.

Il faut cependant supposer qu'en renonçant à la succession ou au legs, le de cujus 'a eu l'intention de gratifier son successible; car, s'il était démontré qu'il a renoncé pour tout autre motif, par exemple parce qu'il croyait la succession mauvaise ou le legs grevé de charges dépassant sa valeur, on ne pourrait pas dire qu'il y a donation, la donation supposant nécessairement chez le disposant l'animus donandi.

c. Il y a encore libéralité indirecte, lorsque le de cujus a payé donandi animo les dettes de son successible; il l'a en effet enrichi d'autant à ses propres dépens. C'est l'hypothèse prévue par l'art. 851 in fine.

d. Enfin, il faut ranger dans la catégorie des donations indirectes, rapportables à ce titre, les profits retirés par le successible de contrats à titre onéreux par lui passés avec le défunt, et dans lesquels il a obtenu quelque avantage particulier qui aurait été vraisemblablement refusé à un étranger. On lit à ce sujet dans les art. 853 et 854 : « Il en » est de même [c'est-à-dire qu'il n'y a pas lieu au rapport] des profits » que l'héritier a pu retirer de conventions passées avec le défunt, si ces » conventions ne présentaient aucun avantage indirect, lorsqu'elles ont été faites» (art 853). « Pareillement, il n'est pas du de rapport pour les » associations faites sans fraude entre le défunt et l'un de ses héritiers, » lorsque les conditions en ont été réglées par un acte authentique » (art. 854).

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De ces deux textes résultent les quatre propositions suivantes :

1o Les contrats à titre onéreux sont permis entre une personne et ses héritiers présomptifs. Leur prohibition aurait engendré beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages.

2o Les contrats à titre onéreux, passés entre une personne et l'un de ses héritiers présomptifs, ne sont assujettis à aucune condition particulière de validité; à cet égard ils demeurent donc régis par le droit commun. Cette règle souffre cependant exception en ce qui concerne les associations. Pour produire le même effet qu'entre étrangers, l'association passée entre une personne et l'un de ses héritiers présomptifs doit être constatée par un acte authentique. Le contrat de société a particulièrement attiré l'attention du législateur, parce que, plus que tous les autres, il se prête à la fraude et aux avantages indirects. L'authenticité a pu paraître nécessaire ici pour empêcher les parties de substituer d'un commun accord un nouvel acte à celui qui aurait été primitivement dressé, dans le but de modifier les conditions de leur association.

A ce point de vue, et peut-être à d'autres encore, un acte sous seing privé, même enregistré, n'offrirait pas les mêmes garanties, et l'on ne doit pas admettre, ainsi que le font quelques auteurs, qu'il puisse remplacer ici l'acte authentique, fût-il publié et affiché dans les formes prescrites par les art. 55 à 65 de la loi du 24 juillet 1867. La jurisprudence est en ce sens.

3o Tout contrat à titre onéreux, passé entre une personne et l'un de ses héritiers présomptifs, produit les mêmes effets qu'entre étrangers, si, lors de sa formation, il ne présentait aucun avantage indirect au profit du successible. Cette condition se trouve remplie lorsque le de cujus a traité avec son successible comme il aurait

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