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diverses explications qui en ont été proposées, voici celle qui nous paraît le plus plausible. Un des héritiers a une créance hypothécaire contre le défunt; il accepte la succession sous bénéfice d'inventaire, et l'immeuble hypothéqué à sa créance tombe dans le lot d'un de ses cohéritiers. Il pourra agir contre ce dernier par l'action hypothécaire, et exiger de lui, si mieux il n'aime délaisser, le paiement intégral de sa créance, déduction faite toutefois de la part qu'il doit lui-même supporter dans la dette comme héritier bénéficiaire; il pourra donc agir hypothécairement pour tout ce qui excède sa part contributoire dans la dette, et même pour tout ce qui excède son émolument, en supposant qu'il soit inférieur à sa part contributoire.

Si tel est le sens de notre disposition, il en résulterait par argument a contrario que l'héritier pur et simple, créancier hypothécaire du défunt, ne pourrait poursuivre chacun de ses cohéritiers, même celui qui détient l'immeuble hypothéqué à sa créance, que pour sa part contributoire dans la dette. Cette solution, qui nous paraît très exacte, peut d'ailleurs se justifier par les mêmes motifs que celle qui est contenue dans l'art. 875 1re partie.

IV. Hypothèse particulière prévue par l'art. 872.

300. « Lorsque des immeubles d'une succession sont grevés de rentes par hypo» thèque spéciale, chacun des cohéritiers peut eriger que les rentes soient rembour»sées et les immeubles rendus libres avant qu'il soit procédé à la formation des » lots. Si les cohéritiers partagent la succession dans l'état où elle se trouve, l'im» meuble grevé doit être estimé au même taux que les autres immeubles; il est fait » déduction du capital de la rente sur le prix total; l'héritier dans le lot duquel » tombe cet immeuble, demeure seul chargé du service de la rente, et il doit en » garantir ses cohéritiers » (art. 872).

Pour éclaircir ce texte, prenons une espèce. Le défunt était débiteur d'une rente perpétuelle, garantie par une hypothèque portant sur l'immeuble A, et dont les arrérages s'élevaient à 3,000 fr. par an; il laisse trois héritiers. L'application des règles du droit commun aurait conduit aux résultats suivants. Comme toutes les autres dettes de la succession, la rente se serait divisée entre les trois héritiers proportionnellement à leurs parts héréditaires, c'est-à-dire dans l'espèce par portions égales; chacun des héritiers, débiteur du tiers de la rente, aurait donc dù contribuer chaque année au paiement des arrérages pour un tiers, soit 1,000 fr., et aurait pu être poursuivi par le crédi-rentier dans cette mesure. Mais le crédi-rentier aurait rarement divisé son action entre les divers héritiers; car, son hypothèque lui permettant d'agir pour le tout contre celui dans le lot duquel est tombé l'immeuble hypothéqué, il n'eût guère manqué d'user de ce droit qui lui permet d'obtenir un paiement plus facile et plus prompt. Régulièrement donc, il serait arrivé que l'héritier détenteur de l'immeuble affecté au service de la rente aurait été forcé d'en payer chaque année intégralement les arrérages, sauf son recours contre ses cohéritiers; et, la rente étant perpétuelle, cet inconvénient se serait reproduit indéfiniment, et aurait même pu s'aggraver beaucoup au cas où l'un des cohéritiers serait venu à mourir laissant plusieurs héritiers entre lesquels se serait divisée son obligation. Notre article indique deux moyens pour remédier à cet état de choses. Le premier consiste dans le remboursement de la rente: « chacun des cohéritiers », dit la loi, « peut exiger que les rentes soient remboursées et les immeubles rendus libres » avant qu'il soit procédé à la formation des lots ». Le législateur suppose ici, sans le dire, que le remboursement de la rente est possible. Dans le cas contraire, qui peut se présenter si l'on se trouve encore dans le délai (de trente ans, art. 530 al. 3, ou de dix ans, art. 1911 al. 2) pendant lequel la rente a été stipulée irrachetable,

on ne pourra avoir recours qu'au deuxième moyen qui est indiqué par la partie finale de notre article. L'immeuble hypothéqué au service de la rente ne sera compris dans le partage que pour sa valeur déduction faite du capital de la rente, et l'héritier, dans le lot duquel il tombera, sera seul chargé du service de la rente. Ainsi, dans notre espèce, en supposant que l'immeuble affecté au service de la rente ait une valeur de 100,000 fr. et que le capital de la rente soit de 60,000 fr., l'immeuble ne sera compris dans le partage que pour 40,000 fr., et l'héritier qui l'obtiendra dans son lot demeurera seul chargé du service de la rente. Il recevra ainsi, en sus de la part que reçoivent ses cohéritiers, un capital suffisant pour le service des arrérages, puisqu'on lui donne pour 40,000 fr. un immeuble qui en vaut 100,000, et cette bonification compensera la charge qu'on lui impose.

Et toutefois, le crédi-rentier demeurant complètement étranger au règlement que font ainsi les cohéritiers, ce règlement ne peut porter aucune atteinte à ses droits. Il conservera donc la faculté, que le droit commun lui accorde (art. 1220), de demander chaque année à chacun des cohéritiers sa part des arrérages de la rente. C'est en vue de cette éventualité, peu probable d'ailleurs, et qui, si elle se réalise, donnera lieu à un recours contre le cohéritier chargé seul du service de la rente, que notre article oblige celui-ci à « en garantir ses cohéritiers ».

301. L'art. 872 étant conçu dans les termes les plus généraux, sa disposition s'applique à toutes les rentes perpétuelles soit foncières, soit constituées. Mais il est sans application possible aux rentes viagères, hypothéquées sur un ou plusieurs immeubles héréditaires. En effet, d'une part les rentes viagères ne sont pas remboursables (art. 1979): ce qui rend impossible l'emploi du premier moyen qu'indique notre article; et d'autre part on manque de base certaine pour l'évaluation du capital de la rente : ce qui ne permet pas de songer au second moyen. D'ailleurs, la rente viagère étant temporaire, l'application du droit commun ne présentait pas ici des inconvénients aussi graves que pour les rentes perpétuelles, et on conçoit que le législateur n'ait pas senti le besoin d'y déroger.

*302. Notre article parle du cas où l'hypothèque qui garantit le service de la rente est une hypothèque spéciale; serait-il applicable aussi à l'hypothèse d'une rente garantie par une hypothèque générale? Notons d'abord que le cas sera infiniment rare. L'hypothèque, garantissant le service de la rente, sera presque toujours conventionnelle; or, si dans notre ancien droit l'hypothèque conventionnelle pouvait être générale, elle est nécessairement spéciale d'après le code civil, qui a reproduit sur ce point (art. 2129) les dispositions de la loi du 11 brumaire an VII. On peut cependant supposer que le défunt a été déclaré débiteur d'une rente par un jugement, auquel cas la rente se trouvera garantie par une hypothèque judiciaire, donc par une hypothèque générale, portant sur tous les immeubles de la succession (arg. art. 2123 al. 2). L'art. 872 serait-il alors applicable? La négative parait bien résulter de la nature exceptionnelle de la disposition qui nous occupe. On ne saurait nier qu'elle déroge au droit commun; or exceptio est strictissimæ interpretationis.

La doctrine, qui accepte en général cette déduction, en ce qui concerne l'emploi du deuxième moyen autorisé par l'art. 872, la repousse quant au premier, consistant dans le remboursement de la rente. On se fonde principalement, pour le décider ainsi, sur les travaux préparatoires de la loi, et sur l'impossibilité où l'on se trouverait d'expliquer rationnellement la limitation de l'emploi du premier moyen au cas où la rente est garantie par une hypothèque spéciale.

V. De l'effet, à l'égard des héritiers, des titres exécutoires
contre le défunt.

303. Un titre exécutoire est celui qui est revêtu de la formule exécutoire : « ... le » président de la république mande et ordonne, etc. ». Les parties intéressées peuvent

en obtenir l'exécution sur simple requisition et sans l'intervention de la justice. Le titre exécutoire est donc prêt pour l'exécution, paratus ad executionem: d'où le nom de titre paré qu'on lui donne quelquefois. On tenait pour principe dans notre ancien droit coutumier que «< Toutes exécutions cessent par la mort de l'obligé ». S'inspirant de cette ancienne maxime, l'art. 194 du projet disposait : « Dans aucun cas les >> créanciers ne pourront exercer de poursuites contre l'héritier personnellement, » avant d'avoir fait déclarer exécutoires contre lui les titres qu'ils avaient contre le » défunt ». Un jugement était donc nécessaire pour rendre exécutoires contre l'héritier les titres exécutoires contre le défunt. Le tribunat fit observer avec raison que, l'héritier étant mis au lieu et place du défunt, pour ses obligations comme pour ses droits, les titres devaient conserver à l'égard des héritiers la force exécutoire qu'ils avaient contre le défunt, que par suite le besoin d'une intervention judiciaire ne se faisait nullement sentir, et qu'elle n'aurait d'autre résultat que d'entraîner des frais inutiles et frustratoires, qu'à la vérité l'héritier pouvait ignorer l'existence des titres exécutoires contre le défunt, mais qu'il suffisait pour les porter à sa connaissance de les lui signifier et de lui accorder un délai de grâce à compter de la signification. Ces observations ont porté leur fruit, et l'art. 194 du projet a été remplacé par la disposition suivante qui est devenue l'art. 877 du code civil : « Les titres exécutoires » contre le défunt sont pareillement exécutoires contre l'héritier personnellement; » et néanmoins les créanciers ne pourront en poursuivre l'exécution que huit jours » après la signification de ces titres à la personne ou au domicile de l'héritier ». En résumé, les créanciers peuvent agir contre l'héritier de la même manière que contre le défunt, c'est-à-dire soit par voie d'action, soit par voie d'exécution, suivant les cas, et sauf, dans cette dernière hypothèse, la nécessité de la signification dont parle l'art. 877. Cette signification, dont les frais sont à la charge des héritiers (Grenoble, 2 février 1884, Sir., 85. 2. 118) peut être faite pendant les délais pour faire inventaire et délibérer, car elle n'est qu'un préliminaire de l'exécution; mais l'exécution elle-même devrait être suspendue jusqu'à l'expiration de ces délais, si l'héritier oppose l'exception dilatoire.

§ II. De la séparation des patrimoines.

304. L'acceptation pure et simple d'une succession entraine la confusion des biens et des dettes du défunt avec les biens et les dettes de l'héritier. Désormais les biens du défunt ne se distinguent plus de ceux de l'héritier tous appartiennent à un même propriétaire. Les créanciers du défunt ne se distinguent pas non plus des créanciers personnels de l'héritier tous ont désormais le même débiteur et par conséquent le même gage (art. 2092). En un mot les deux patrimoines du défunt et de l'héritier sont confondus.

Cette confusion peut, suivant les circonstances, être préjudiciable, soit à l'héritier, soit aux créanciers de la succession.

A héritier, si le passif de la succession se trouve excéder l'actif; car il devra dans ce cas sacrifier une partie de ses biens personnels pour payer les dettes de la succession, dont il est tenu ultra vires. Que l'héritier ne se plaigne pas ! Il avait en effet un moyen de se soustraire à cette responsabilité indéfinie : l'acceptation sous bénéfice d'inventaire.

Aux créanciers de la succession, lorsque l'héritier est insolvable. Ainsi le défunt a laissé 100,000 fr. de biens et 100,000 fr. de dettes; il est donc mort solvable. Sa succession échoit à un héritier, qui a 100,000 fr. de dettes et ne possède aucuns biens. Si cet héritier accepte purement et simplement, la confusion des biens et des dettes. amènera le résultat suivant: 100,000 fr. de biens, pour faire face à 200,000 fr. de dettes; les créanciers de la succession ne recevront donc que 50% du montant de leurs créances (arg. art. 2093). A ce nouveau mal notre législateur apporte un nouveau remède : il permet aux créanciers de la succession de demander la séparation des patrimoines (art. 878), qui fera cesser dans leur intérêt la confusion résultant de l'acceptation pure et simple. Les créanciers, qui usent de ce bénéfice, demandent qu'on les traite comme si leur débiteur vivait encore, qu'on reconstitue par conséquent le patrimoine du défunt, qu'on l'isole de celui de l'héritier, qu'on opére le triage des biens du défunt, mêlés avec ceux de l'héritier, et qu'on les autorise à se payer sur les premiers par préférence aux créanciers personnels de l'héritier. Etait-il juste en effet que les créanciers d'un débiteur mort solvable perdissent une partie de leurs créances à cause de l'insolvabilité de son héritier?

Les légataires peuvent éprouver également, par suite de l'acceptation pure et simple d'un héritier insolvable, un préjudice analogue à celui dont nous venons de parler. Aussi, au titre Des privilèges et hypothèques (art. 2111), le législateur a-t-il étendu aux légataires le bénéfice de la séparation des patrimoines, qu'il avait accordé aux créanciers seulement dans le titre Des successions.

un bénéfice

La séparation des patrimoines peut donc être définie légal, qui a pour résultat de prévenir ou de faire cesser la confusion des patrimoines, résultant de l'acceptation pure et simple de l'héritier, et de permettre à tout créancier héréditaire et à tout légataire de se faire payer sur les biens du défunt par préférence aux créanciers personnels de l'héritier.

305. La séparation des patrimoines et le bénéfice d'inventaire ont le même but: empêcher la confusion des biens et des dettes, que produit l'acceptation pure et simple. Cela posé, on pourrait être tenté de croire que la séparation des patrimoines obtenue par les créanciers héréditaires rend le bénéfice d'inventaire inutile pour l'héritier, et qu'en sens inverse l'acceptation sous bénéfice d'inventaire faite par l'héritier rend la séparation des patrimoines inutile pour les créanciers. Or a première déduction serait certainement erronée, et la deuxième est contestable.

D'abord il est certain que l'héritier peut avoir intérêt à accepter sous bénéfice d'inventaire, bien que les créanciers héréditaires aient obtenu la séparation des patrimoines; car, ainsi que nous le verrons plus loin, la séparation des patrimoines n'empêche pas l'héritier qui accepte purement et simplement de se trouver personnellement obligé envers les créanciers héréditaires, de sorte que ceux-ci peuvent,

après avoir épuisé les biens de la succession, se retourner contre lui. L'héritier n'a qu'un moyen de prévenir ce danger, c'est d'accepter sous bénéfice d'inventaire.

En sens inverse, les créanciers du défunt ont-ils intérêt à demander la séparation des patrimoines, lorsque l'héritier accepte sous bénéfice d'inventaire? D'après une jurisprudence constante, approuvée par la grande majorité des auteurs, l'acceptation sous bénéfice d'inventaire entraîne de plein droit la séparation des patrimoines au profit des créanciers de la succession et des légataires, indépendamment de toute demande formée par ceux-ci, et même indépendamment de l'inscription prescrite par l'art. 2111; ce dernier point toutefois est plus douteux. L'acceptation sous bénéfice d'inventaire produit donc un double effet bénéfice d'inventaire pour l'héritier ; séparation des patrimoines pour les créanciers et pour les légataires; ce deuxième effet est une conséquence du premier. Maintenant on sait que le bénéfice d'inventaire n'est pas irrévocable: l'héritier peut y renoncer expressément ou tacitement (supra n. 208). Si cette éventualité se réalise, les créanciers perdront-ils le bénéfice de la séparation des patrimoines? En d'autres termes, la conservation de la séparation des patrimoines qui résulte pour les créanciers du bénéfice d'inventaire, est-elle subordonnée au maintien de ce bénéfice? La question semblerait bien devoir être résolue affirmativement. Le bénéfice d'inventaire a été introduit exclusivement en faveur de l'héritier; il doit donc en être maître absolu; et par suite, s'il y renonce expressément ou tacitement, tous les effets de ce bénéfice devront cesser, conformément à la règle Cessante causa cessat effectus, aussi bien ceux qu'il avait produits en faveur des créanciers héréditaires que ceux qu'il avait produits au profit de l'héritier. S'il en était ainsi, on conçoit qu'il ne serait pas inutile aux créanciers d'une succession acceptée sous bénéfice d'inventaire et aux légataires de demander la séparation des patrimoines et de remplir la formalité prescrite par l'art. 2111, en vue du cas où l'héritier perdrait ultérieurement son bénéfice d'inventaire; car il serait peut-être trop tard alors pour se mettre en règle. Dans la pratique, la prévoyance des créanciers héréditaires et des légataires ne va pas aussi loin; ils ne songent guère à demander la séparation des patrimoines en face d'une acceptation bénéficiaire qui la produit de plein droit; ils ne redoutent pas l'éventualité, assez peu probable, il faut en convenir, de la perte du bénéfice d'inventaire par l'héritier. Cette circonstance, toute de fait, n'a probablement pas été sans influence sur la direction, qu'ont suivie la jurisprudence, et, après elle, la majorité des auteurs, au sujet de la question qui nous occupe. On fait survivre à la perte du bénéfice d'inventaire la séparation des patrimoines qu'il avait produite au profit des créanciers, et on justifie tant bien que mal, plutôt mal que bien, à notre avis, cette solution, en disant que la séparation des patrimoines résultant de l'acceptation bénéficiaire constitue un droit acquis pour les créanciers héréditaires et les légataires, droit dont ils ne peuvent pas être privés par le fait de l'héritier bénéficiaire qui renonce à son bénéfice.

306. Historique. La séparation des patrimoines tire son origine du droit romain, où les préteurs l'introduisirent sous le nom de separatio bonorum, bien avant l'institution du bénéfice d'inventaire, pour corriger la rigueur du droit civil, corrigendi juris civilis gratia. La séparation des patrimoines fut admise dans notre ancien droit français; mais elle y reçut de profondes modifications. De là elle passa dans la loi du 11 brumaire de l'an VII (art. 14). Notre législateur a consacré à la séparation des patrimoines quatre articles au titre Des successions (art. 878 à 881), et un au titre Des privilèges et hypothèques (art. 2111); il lui a conservé les principaux caractères qu'elle avait dans notre ancien droit. Cpr., Cass., 11 janvier 1882, Sir., 84. 1. 317.

PRÉCIS DE DROIT CIVIL.

3. éd., II.

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