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I. Par qui la séparation des patrimoines peut être demandée. 307. La séparation des patrimoines peut être demandée par tout créancier de la succession et par tout légataire.

a. Par tout créancier de la succession. « Ils [les créanciers du défunt] » peuvent demander, dans tous les cas, et contre tout créancier [de l'héri» tier], la séparation du patrimoine du defunt d'avec le patrimoine de » l'héritier» (art. 878). Cpr. art. 2111. Cette disposition est conçue. dans les termes les plus généraux; la séparation des patrimoines peut donc étre demandée par un créancier à terme ou conditionnel, aussi bien que par celui dont la créance est pure et simple, par un créancier privilégié ou hypothécaire, aussi bien que par un créancier chirographaire.

Sans doute, c'est principalement aux créanciers chirographaires que la séparation des patrimoines sera utile, car ce sont eux qui ont le plus à redouter les conséquences de la confusion du patrimoine du défunt avec celui de l'héritier; mais notre institution peut offrir aussi un utile secours aux créanciers privilégiés ou hypothécaires, notamment dans le cas où leur privilège ou hypothèque ne leur permet pas d'arriver en ordre utile ou ne le leur permet qu'en partie. D'ailleurs, les créanciers privilégiés ou hypothécaires n'ont pas besoin de la séparation des patrimoines pour pouvoir opposer leur privilège ou leur hypothèque aux créanciers personnels de l'héritier.

Mais ce sont seulement les créanciers de la succession qui peuvent demander la séparation des patrimoines; le même droit n'appartient pas aux créanciers personnels de l'héritier. « Les créanciers de l'heri» tier », dit l'art 881, « ne sont point admis à demander la séparation » des patrimoines contre les créanciers de la succession ».

Dans notre ancien droit, la pratique avait admis en général une solution contraire. Mais, dit M. Demolombe, Lebrun, tout en reconnaissant « qu'on vivait ainsi au palais », voyait là seulement « quelque coutume ou mauvaise tradition, et Pothier était du même avis. Leur opinion, conforme au droit romain, a passé dans l'art. 881.

Et cependant, la confusion des patrimoines résultant de l'acceptation pure et simple peut nuire aux créanciers de l'héritier. Qu'on suppose un débiteur qui a 100,000 fr. de biens et 100,000 fr. de dettes; ce débiteur accepte purement et simplement une succession à lui échue, dans laquelle il y a 100,000 fr. de dettes et un actif nul. La confusion des patrimoines va faire perdre 50 % aux créanciers de l'héritier, qui seraient payés intégralement s'ils pouvaient demander la séparation des patrimoines. Pourquoi leur refuse-t-on le droit de l'invoquer, puisqu'on l'accorde dans des conditions analogues aux créanciers de la succession? - La situation n'est pas tout à fait la même. C'est par le fait de leur débiteur, qui a accepté une succession obérée, que les créanciers personnels de l'héritier éprouvent ici un préjudice; or, comme le dit fort bien Ulpien, « licet alicui, adjiciendo sibi creditorem

creditoris sui facere deteriorem conditionem ». Les créanciers de l'héritier ont suivi sa foi, en traitant avec lui sans exiger aucune garantie; ils doivent subir le concours de tous les nouveaux créanciers qu'il plaira à leur débiteur de se donner, le cas de fraude excepté; or il se donne de nouveaux créanciers, en acceptant purement et simplement la succession. Au contraire, ce n'est pas par le fait de leur débiteur, qui est aujourd'hui décédé, mais par celui de son héritier, que la situation des créanciers du défunt se trouve empirée, lorsque la succession est acceptée par un héritier insolvable. C'est bien assez qu'un créancier soit à la merci de son débiteur, sans qu'il soit en outre à la merci de son héritier, qu'il ne connait pas. On s'explique ainsi que la loi accorde aux créanciers du défunt la séparation des patrimoines, qui est une sorte de restitution contre le fait de l'héritier de leur débiteur, tandis qu'elle la refuse aux créanciers de l'héritier, parce qu'elle constituerait pour eux une restitution contre le fait de leur débiteur lui-même. Ils n'auraient que le droit de faire annuler l'acceptation de leur débiteur, s'ils parvenaient à démontrer qu'elle a été faite en fraude de leurs droits. Arg. art. 1167.

b. La séparation des patrimoines peut aussi être demandée par les légataires (art. 2111). A bien dire, ce sont des créanciers, non du défunt, sans doute, qui n'a jamais été obligé envers eux, mais de la succession. Il s'agit seulement des légataires particuliers; car les légataires universels ou à titre universel sont loco heredum, et n'ont pas plus besoin de la séparation des patrimoines dans leurs rapports avec les héritiers que les héritiers eux-mêmes dans leurs rapports les uns avec les autres.

308. Chaque créancier et chaque légataire a le droit individuel de demander la séparation des patrimoines: ce qui ne les empêche pas de s'entendre pour la demander collectivement. Ils peuvent donc, à leur choix, agir individuellement ou collectivement. Il en était ainsi dans notre ancien droit; en droit romain, au contraire, la séparation des patrimoines était une mesure collective, communis cautio.

II. Contre qui la séparation des patrimoines doit être demandée. 309. La séparation des patrimoines doit être demandée, non contre l'héritier, mais contre ses créanciers. D'ailleurs elle peut être invoquée même contre ceux dont la créance mérite le plus de faveur, par exemple contre un créancier privilégié ou hypothécaire, contre tout créancier, dit l'art. 878. Tout créancier de la succession, même le moins favorable, peut demander la séparation des patrimoines contre un créancier quelconque de l'héritier, fût-ce le plus favorable.

Par le moyen de la séparation des patrimoines, un créancier quelconque du défunt peut combattre les prétentions de toute personne qui, en qualité de créancier

de l'héritier, se prévaut de la confusion des patrimoines produite par l'acceptation pure et simple. Un créancier héréditaire peut donc avoir besoin de l'invoquer contre un autre créancier héréditaire ou contre un légataire qui, acceptant la qualité de créancier personnel de l'héritier, que lui donne l'acceptation pure et simple, vient élever quelque prétention sur les biens de la succession.

Ainsi l'héritier a consenti une hypothèque sur un bien de la succession au profit d'un créancier du défunt; celui-ci veut, en vertu de cette hypothèque, se faire payer sur le prix de l'immeuble par préférence aux autres créanciers du défunt. Ces derniers ne pourront l'en empêcher qu'en demandant contre lui la séparation des patrimoines et en prenant inscription sur l'immeuble dans le délai déterminé par l'art. 2111.

* De même, un légataire, qui accepte les effets de la confusion produite par l'acceptation pure et simple de l'héritier, se présente comme créancier personnel de celui-ci pour être payé sur le prix d'un bien héréditaire en concurrence avec les créanciers du défunt. Ceux-ci ne pourront l'écarter et se faire payer par préférence à lui, qu'à la condition de demander contre lui la séparation des patrimoines. S'ils ne la demandaient pas, ils seraient considérés, eux aussi, comme créanciers personnels de l'héritier, et devraient subir le concours du légataire qui a le même titre; car les créanciers d'un même débiteur sont payés par concurrence (art. 2093). Au contraire, s'ils demandent la séparation des patrimoines, ils seront considérés comme créanciers du défunt, non de l'héritier, et seront payés par préférence au légataire en vertu de la règle Nemo liberalis nisi liberatus.

310. D'ailleurs la séparation des patrimoines peut être demandée, soit contre tous les créanciers de l'héritier collectivement, soit individuellement contre un seul ou quelques-uns. Et s'il y a plusieurs héritiers, la séparation peut être demandée contre les créanciers de celui-ci, sans l'être contre les créanciers de celui-là; car on comprend que le besoin de la séparation des patrimoines ne se fait sentir qu'à l'égard des créanciers des héritiers insolvables. En un mot, il est vrai de dire, au point de vue passif comme au point de vue actif, que la séparation des patrimoines constitue une mesure soit individuelle, soit collective.

III. A quels biens s'applique la séparation des patrimoines.

311. Elle peut être demandée, ainsi que son nom l'indique, relativement à tous les biens composant le patrimoine du défunt : biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, peu importe (1),

(1) Il y a lieu d'excepter toutefois les rentes sur l'Etat appartenant au défunt. En effet, si les créanciers héréditaires pouvaient demander la séparation des patrimoines en ce qui concerne ces rentes, ils arriveraient par ce moyen à les saisir pour se payer sur le prix, au préjudice de l'héritier qui en est devenu propriétaire; or les rentes sur l'Etat sont déclarées insaisissables pour le capital et pour les arrérages par les lois des 8 nivôse an VI et 22 floréal an VII. Cpr. Paris, 2 mai 1878 s. cass., Sir., 81, 1, 118.— D'ailleurs il ne faut pas exagérer la portée du principe que les rentes sur l'Etat sont insaisissables. Il ne signifie pas que les créanciers ne puissent en aucun cas faire vendre des rentes sur l'Etat appartenant à leur débiteur, mais seulement que leur poursuite doit échouer lorsqu'elle revêt la forme de la saisie-arrêt. Les lois précitées interdisent seulement la saisie-arrêt, et une disposition de ce genre comporte bien évidemment l'interprétation restrictive. Ainsi un créancier, qui a reçu en gage un titre de rente sur l'Etat (l'art, 832 al. 3 C. pr. autorise formellement une semblable constitution de gage) peut en provoquer la vente pour obtenir son paiement. De même les syndics d'une faillite peuvent procéder, dans l'intérêt de la masse des créanciers, à l'aliénation des titres de rente du failli qui se trouvent entre leurs mains par suite du dessaisissement de celui-ci. Paris, 19 janvier 1886, Sir., 87. 2. 1.

relativement à tous les biens en un mot qui font partie de l'hérédité. La séparation des patrimoines est donc une action universelle, judicium universale. D'où il faut conclure (mais ces deux déductions sont contestées) que la séparation des patrimoines s'applique : 1o aux fruits produits par les biens héréditaires depuis l'ouverture de la succession, fructus augent hereditatem; 2o à la créance du prix des biens héréditaires vendus par l'héritier, in judiciis universalibus pretium succedit loco rei, et res loco pretii. Nous disons à la créance du prix; car, si le prix avait été payé à l'héritier, il se serait confondu avec ses autres biens, et la séparation des patrimoines ne pourrait plus l'atteindre (infra n. 314).

Mais la séparation des patrimoines serait sans application aux biens qui rentreraient dans la succession par suite du rapport ou de la réduction. En effet ces biens avaient définitivement cessé de faire partie du patrimoine du défunt, pour ses créanciers comme pour lui; s'ils rentrent dans la succession, c'est seulement à l'égard des héritiers. Les créanciers ne peuvent donc élever sur eux aucune prétention (arg. art. 857 et 921).

Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette proposition, que la séparation des patrimoines est une action universelle. Elle signifie que la séparation des patrimoines est applicable à tous les biens de la succession, mais non qu'elle doive nécessairement s'appliquer à tous. En d'autres termes, la séparation des patrimoines n'est pas nécessairement, comme pourrait le faire croire son nom, une mesure d'ensemble, applicable à tous les biens qui composent le patrimoine du défunt; les créanciers pourraient fort bien la demander relativement à certains biens héréditaires seulement. Elle est universelle en droit, mais elle ne l'est pas nécessairement en fait.

IV. Formalités à remplir pour oblenir la séparation des patrimoines. 312. La séparation des patrimoines n'a pas lieu de plein droit; elle doit être demandée. Ce mot est écrit dans les art. 878, 881 et 2111, et il parait bien faire allusion ici comme ailleurs (voyez notamment art. 1153) à une demande judiciaire. L'art. 880 parle même d'une action: ce qui est encore plus significatif. Tel était d'ailleurs notre ancien droit « C'est au juge, dit Pothier, que les créanciers s'adressent pour obtenir la séparation des patrimoines»; et il est peu probable que notre législateur ait voulu innover sur ce point.

D'ailleurs, la séparation des patrimoines peut être demandée, non seulement par action principale, mais aussi par voie incidente, sous forme d'exception opposée à la demande en collocation des créanciers de l'héritier sur le prix d'un bien héréditaire. Ainsi les créanciers du défunt font vendre un bien héréditaire; un ordre s'ouvre sur le prix, et un ou plusieurs créanciers de l'héritier y produisent et demandent à être colloqués. Les créanciers de la succession les écarteront en leur opposant par voie d'exception la séparation des patrimoines.

Aucune autre formalité n'est requise pour l'exercice du bénéfice de séparation des patrimoines, relativement aux meubles de la succession.

En ce qui concerne les immeubles, la loi exige en outre, pour la conservation complète du bénéfice, une inscription, qui doit être prise dans le délai de six mois compter de l'ouverture de la succession. V. art. 2111.

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V. Comment se perd le droit de demander la séparation des patrimoines. 313. Parmi les causes qui entraînent la perte du droit de demander la séparation des patrimoines, il y en a qui sont communes aux meubles et aux immeubles, d'autres qui sont spéciales aux meubles.

314. A. Causes communes aux meubles et aux immeubles. Elles sont au nombre de deux :

1o Le droit de demander la séparation des patrimoines, et même celui d'en profiter quand elle a été demandée, se perdent par la renonciation des intéressés. Conformément au droit commun, cette renonciation peut être expresse ou tacite. Nous n'avons rien à dire de la renonciation expresse. Quant à la renonciation tacite, elle est régie par l'art. 879, ainsi conçu: « Ce droit ne peut cependant plus étre » exercé, lorsqu'il y a novation dans la créance contre le défunt, par » l'acceptation de l'héritier pour débiteur ».

La séparation des patrimoines a pour but d'empêcher la confusion des biens et des dettes, qui résulte de l'acceptation pure et simple. Le créancier ou le légataire, qui ratifie cette confusion, renonce donc implicitement au droit de demander la séparation des patrimoines, et il est censé la ratifier quand il accepte l'héritier pour débiteur. Tel est le sens de notre article.

La novation est la transformation d'une ancienne dette en une nouvelle. Cette transformation peut résulter du changement d'un des éléments essentiels de l'obligation le créancier, le débiteur ou la chose due (art. 1271).

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Au premier abord, on pourrait croire que la novation, dont parle l'art. 879, est une novation par changement de débiteur. Elle consiste, dit notre article, dans l'acceptation de l'héritier pour débiteur; or cette acceptation semble bien changer le débiteur, qui est désormais l'héritier, au lieu d'être le défunt. Mais ce n'est là qu'une fausse apparence; car, au point de vue du droit, le débiteur reste le même, l'héritier n'étant que le continuateur de la personne du défunt, heres et defunctus una eademque persona esse intelliguntur. Il ne s'agit donc pas d'une novation par changement de débiteur; et, comme d'autre part il ne s'agit certainement pas d'une novation par changement de créancier ou d'objet dans la dette, puisque le créancier et la chose due restent les mêmes, il en résulte que la novation dont parle notre article n'est nullement celle dont s'occupent les art. 1271 et s. C'est une novation tout à fait spéciale à la matière qui nous occupe. Elle consiste, nous l'avons dit, dans la confirmation de l'état de choses créé par l'acceptation pure et simple. Ce qu'il y a de nouveau dans la situation, c'est que le créancier a ratifié la confusion des patrimoines, résultant de l'acceptation pure et simple; il l'a prouvé en acceptant l'héritier pour débiteur, c'est-à-dire en accomplissant avec lui un acte qui démontre qu'il le considère comme le représentant du défunt; il contresigne ainsi l'acceptation pure et simple de l'héritier, et s'engage à en subir le s conséquences.

Quant à savoir quels sont les actes qui produisent ce résultat, ce n'est plus qu'une question de fait. On peut citer notamment le cas où un créancier du défunt stipule de l'héritier des garanties, telles qu'une caution, un gage ou une hypothèque, et celui où il accomplit un acte d'exécution sur ses biens personnels. Il en serait autrement de la simple signification faite à l'héritier d'un titre exécutoire contre le défunt.

2o La séparation des patrimoines ne peut plus être demandée relati

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