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lui donne immédiatement quittance du prix sans l'avoir touché; de sorte que l'enfant est en réalité donataire, mais il paraît être acquéreur à titre onéreux. En dissimulant la libéralité sous ce masque, le disposant espère la soustraire à l'application de l'art. 908. Si l'existence de cette fraude est démontrée, la vente sera prise pour ce qu'elle est réellement, c'est-à-dire qu'elle sera considérée comme une donation et par suite annulée.

Remarquons que la fraude ne se présumera pas. Il est possible après tout que le contrat soit sincère, qu'il ne déguise pas une donation. Les intéressés, qui prétendent que l'acte à titre onéreux n'est autre chose qu'une donation déguisée, devront donc prouver leur assertion. Tous les modes de preuve seront d'ailleurs admissibles; c'est le droit commun quand il s'agit de démasquer une fraude; donc, non-seulement la preuve littérale, l'aveu et le serment, mais aussi la preuve testimoniale et même les simples présomptions dont l'appréciation est abandonnée au pouvoir discrétionnaire du juge. Ainsi, au cas de donation déguisée sous la forme d'une vente, comme nous le supposions tout à l'heure, les juges pourront considérer la fraude comme établie, s'il est démontré que le prétendu acheteur n'a pas pu payer avec ses ressources personnelles la somme représentant le prix de la vente, ou si cette somme ne se retrouve pas dans la succession du prétendu vendeur et qu'il soit impossible d'en découvrir la trace.

398. En deuxième lieu, la loi s'occupe du cas où la libéralité a été faite à l'incapable sous le nom d'une personne interposée. La personne interposée est un intermédiaire choisi par le disposant pour faire parvenir la libéralité à l'incapable; c'est un prête-nom qui reçoit à la charge de transmettre à l'incapable; il sert de trait d'union entre le disposant et l'incapable: d'où la dénomination de personne interposée. Ainsi un père naturel, qui a déjà donné à son enfant tout ce dont il peut disposer à son profit, voulant l'avantager au delà de cette limite, fait une donation à un ami qu'il charge secrètement de restitution au profit de l'enfant. Il espère ainsi donner le change, et soustraire la libéralité à la nullité en la dissimulant. Si la fraude est découverte, l'enfant sera considéré comme donataire véritable, et par suite la donation sera nulle. Mais ici, comme dans le cas de donation faite sous le voile d'un contrat à titre onéreux, la fraude ne se présumera pas; il faudra que son existence soit prouvée par le demandeur en nullité, qui sera d'ailleurs autorisé à faire cette preuve par tous les moyens possibles. Il y a fraude, dès que le donataire apparent a été chargé, mėme secrètement, par le disposant, de restituer à l'incapable. Cette charge de restitution est connue sous le nom de fideicommis, ou mieux fiducie.

La jurisprudence décide qu'il n'est pas nécessaire que la charge de restitution résulte d'une déclaration expresse. Les disposants, qui savent que l'existence prouvée du fidéicommis au profit d'un incapable entraîne la nullité de la donation et par suite la ruine de leurs espérances, se gardent avec soin d'imposer la charge de restitution dans un acte écrit; ils évitent même quelquefois de l'imposer par une déclaration verbale, dont l'existence pourrait être prouvée plus tard, principalement par l'aveu du donataire ou par son refus de prêter serment; ils en agissent ainsi du moins, quand ils ont la certitude que l'intermédiaire auquel ils s'adressent devinera leurs intentions sans qu'ils les expriment; on se comprend quelquefois à demi-mot et même sans se parler. Ce fideicommis tacite, si l'existence en est reconnue, entraînera les mêmes conséquences qu'un fidéicommis exprès. Comme le dit la cour de Bordeaux, le législateur a évité avec intention de définir les fidéicommis tacites, parce qu'il a voulu que le pouvoir des tribunaux pût se mouvoir dans un cercle aussi large que la fraude. Voyez aussi Pau, 24 juillet 1878, Sir., 78. 2. 282, et Besançon, 7 juin 1879, Sir., 80. 2. 14.

Mais toujours est-il que la fraude devra être démontrée, fût-ce à l'aide de simples présomptions dont le juge aura à apprécier le mérite et la gravité. (Lyon, 10 janvier 1883, Sir., 84. 2. 136). Un des faits les plus probants, parmi ceux qui pourront être invoqués à titre de présomptions, est la restitution faite à l'incapable par celui qu'on prétend être une personne interposée, et à une époque voisine de la disposition.

399. Par exception à la règle qui vient d'être développée, il y a certains cas dans lesquels l'interposition de personne est présumée de plein droit par la loi, de sorte que les intéressés n'ont plus besoin de la démontrer. « Seront réputés personnes interposées », dit l'art. 911 in fine, « les pères et mères, les enfants et descendants et l'époux de la » personne incapable ». C'est l'expérience des faits qui a dicté cette présomption légale, comme toutes les autres. Præsumptio sumitur ex eo quod plerumque fit. En fait, les libéralités, adressées au père, à la mère, aux enfants, aux descendants ou à l'époux d'une personne incapable, sont presque toujours destinées à l'incapable lui-même : ce sont là les intermédiaires que le disposant choisit ordinairement comme étant les plus sûrs, pour faire parvenir la libéralité à l'incapable. Mais prouver le rôle qui leur est assigné est chose difficile; car la fraude se cache. Le législateur dispense les intéressés de toute preuve, en élevant la probabilité d'interposition de personne à la hauteur d'une présomption égale.

Cette présomption peut dans certains cas être contraire à la vérité; les intéressés qui le prétendent seront-ils admis à en fournir la preuve ? Non; notre présomption est l'une de celles sur le fondement desquelles la loi annule un acte (la donation), et, aux termes de l'art. 1352, les présomptions de cette nature ne sont pas susceptibles d'être combattues par la preuve contraire. Cass., 22 janvier 1884, Sir., 84. 1. 227, et Orléans, 5 février 1885, Sir., 85. 2. 252.

399 bis. Les présomptions légales sont de droit étroit, surtout celles qui aboutissent à une incapacité; on ne saurait donc les étendre en

dehors du cas spécial qu'elles prévoient. C'est à la lumière de ce principe qu'il faut interpréter l'art. 911 in fine. Il répute de droit personnes interposées :

1° Les père et mère de l'incapable, mais non les autres ascendants. D'ailleurs, la loi ne distinguant pas, la présomption d'interposition de personne s'appliquera au père et à la mère naturels, aussi bien qu'au père et à la mère légitimes (Cass., 22 janvier 1884, Sir., 84. 1. 227; Dijon, 26 décembre 1883, Sir., 84. 2. 163; Orléans, 5 février 1885, Sir., 85. 2. 152). La cour de Paris a fait une application remarquable de cette déduction dans l'espèce suivante : Un homme, dont la concubine était enceinte, avait reconnu son enfant pendant qu'il était encore dans le sein de sa mère; puis, toujours avant la naissance de l'enfant, il avait fait une donation à la mère. Celle-ci a été déclarée personne interposée à l'égard de l'enfant, par application de l'art. 911.

2o Les enfants et descendants de l'incapable.

Les enfants. Il est de jurisprudence que cette expression comprend, non seulement les enfants légitimes, mais aussi les enfants légitimés (arg. art. 333), les enfants adoptifs (arg. art. 350) et même les enfants naturels, ce qui est un peu plus douteux.

Les descendants, quel que soit leur degré, lex non distinguit.

3o L'époux de la personne incapable, ou son épouse bien entendu. La loi ne distinguant pas, il faut en conclure que la présomption d'interposition de personne continue à subsister, même après la séparation de corps prononcée entre l'incapable et son conjoint, bien qu'alors le motif qui a fait établir la présomption n'existe plus. Il en serait autrement en cas de divorce.

Mais la présomption ne s'appliquerait pas au fiancé de l'incapable; la loi dit : l'époux. On maintient en général cette solution, même dans le cas où la donation est faite au futur époux de l'incapable par son contrat de mariage. N'est-ce pas à tort? La donation par contrat de mariage est faite sous la condition si nuptiæ sequantur; elle devient par suite caduque, si le mariage ne s'ensuit pas (art. 1088). Alors n'est-il pas vrai de dire qu'elle s'adresse en réalité à l'époux plutôt qu'au fiancé? D'autant plus que la donation par contrat de mariage, comme toutes les autres conventions faites en vue du mariage par ledit contrat, ne produit son effet qu'à partir du mariage; elle s'adresse donc en réalité à l'époux. Aussi remarquera-t-on que, dans les dispositions où elle réglemente les donations faites par contrat de mariage aux futurs époux ou à l'un d'eux, la loi parle toujours de donations s'adressant aux époux. Voyez la rubrique du chap. VIII de notre titre, et les art. 1081, 1082, 1089, 1090. Ainsi jugé par la cour de Lyon, le 24 novembre 1860, au sujet d'une donation qu'un père naturel avait faite par contrat de mariage au futur conjoint de son enfant. En sens contraire, Cass., 24 janvier 1881, Sir., 81. 1. 404.

On est d'accord pour admettre que la présomption d'interposition de personne dont nous nous occupons ne frappe pas le concubin ou la concubine de l'incapable, ni ses alliés même les plus proches.

400. La donation, faite à un incapable par personne interposée, est nulle ou réductible, non seulement à l'égard de l'incapable, mais aussi à l'égard de la personne interposée; ce n'est pas elle en effet que le disposant a voulu gratifier.

401. Limites de l'art. 911. Nous avons dit plus haut que les présomptions d'interposition de personnes, écrites dans l'art. 911 in fine, n'étaient pas susceptibles d'être combattues par la preuve contraire; ce sont des présomptions inflexibles. Elles cesseraient cependant de recevoir leur application dans le cas où il serait matériellement impossible que la donation parvint à l'incapable, par exemple s'il était mort au moment de l'ouverture du droit. Ainsi un père naturel, dont l'enfant est mort, fait une donation entre vifs à la mère de l'enfant; ou bien, l'enfant étant vivant, il dispose par testament au profit de sa mère ou de son conjoint; mais l'enfant meurt avant le testateur. La donation ou le legs ne tombera pas sous le coup de l'art. 911; car il est matériellement impossible qu'il profite à l'enfant.

D'autre part, les présomptions d'interposition de personnes qui nous occupent ne s'appliquent qu'aux incapacités, dont il est question dans le chapitre II, auquel appartient l'art. 911. En effet ces présomptions n'ont été évidemment écrites qu'en vue des incapacités que le législateur venait d'édicter. Elles ne recevraient donc pas leur application :

1o A l'incapacité qui frappe les condamnés à une peine afflictive perpétuelle. La solution contraire conduirait à ce singulier résultat, que le père ou la mère du condamné ou ses enfants ou son conjoint ne pourraient recevoir à titre gratuit de per

sonne.

2° Aux incapacités édictées par les art. 975, 997 et 1596.

Nos présomptions ne s'appliquent même pas indistinctement à toutes les incapacités édictées dans notre chapitre. Elles sont sans application :

a. A l'incapacité dont l'art. 906 frappe les personnes non conçues. Comme elles ne sont pas encore in rerum natura, elles ne peuvent avoir ni parents ni conjoint.

b. A l'incapacité prévue par l'art. 910. Le motif est le même : les personnes de mainmorte ne peuvent avoir ni parents ni conjoint.

c. Ni enfin à l'incapacité prévue par l'art. 912, aujourd'hui abrogé : ce qui résulte de la place même qu'occupe l'article.

De sorte que finalement les présomptions d'interposition de personnes de l'art. 911 ne concernent que les incapacités relatives de disposer et de recevoir édictées dans le chapitre II.

Il n'en est pas de même de la règle écrite dans l'alinéa 1 de l'art. 911. Cette règle qui a pour but de réprimer des fraudes à la loi, dont l'existence est démontrée, a par sa nature même la plus grande généralité, à tel point qu'on aurait peut-être pu se dispenser de la formuler. Elle devra donc s'appliquer dans tous les cas, et même quand il s'agira d'incapacités qui ne sont pas édictées dans notre chapitre, par exemple de l'incapacité qui frappe les condamnés à une peine afflictive perpétuelle. 402. A qui appartient le droit de demander la nullité ou la réduction de la disposition à titre gratuit faite au profit d'un incapable ou par un incapable? A toute personne intéressée. C'est la seule solution qu'on puisse admettre dans le silence de la loi. L'action appartiendra donc au disposant et à ses héritiers ou successeurs universels.

Appendice. - De l'époque à laquelle doit exister la capacité de disposer chez le donateur ou le testateur, et la capacité de recevoir chez le donataire ou le légataire.

403. Il ne suffit pas de savoir quelles personnes sont capables de disposer à titre gratuit, quelles autres sont capables de recevoir; il

PRÉCIS DE DROIT CIVIL.

3e éd., II.

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faut rechercher à quelle époque doit exister la capacité soit chez le disposant, soit chez le donataire.

Le code est presque muet sur cette question. Mais il n'est pas impossible de la résoudre à l'aide des principes généraux, combinés avec les données que nous fournit l'ancien droit. Une distinction doit tout d'abord être faite entre la donation entre vifs et le testament.

A. Donation entre vifs.

404. Le plus souvent la donation entre vifs se fait par un seul et même acte, qui contient l'offre du donateur et l'acceptation du donataire. Il faut alors que le donateur soit capable de fait et de droit au moment de la donation capable de fait, entendez sain d'esprit ; - capable de droit, c'est-à-dire exempt de toute incapacité juridique, soit absolue, telle que l'incapacité qui frappe les condamnés à une peine afflictive perpétuelle, soit relative, comme celle qui frappe les mineurs devenus majeurs, dans leurs rapports avec leur ancien tuteur, tant que le compte définitif de la tutelle n'a pas été rendu et apuré.

Quant au donataire, il suffit qu'il soit capable de droit au moment de la donation, c'est-à-dire qu'il ne soit alors frappé d'aucune incapacité juridique de recevoir à titre gratuit, soit absolue, soit relative (arg. art. 906 al. 1); il n'est pas nécessaire qu'il ait la capacité de fait, c'est-à-dire la sanité d'esprit, la donation pouvant être acceptée en son lieu et place par ses représentants légaux.

Ces règles s'appliquent à la donation conditionnelle comme à la donation pure et simple; en effet le contrat devient parfait au moment où les parties échangent leurs consentements, même quand la donation est surbordonnée à une condition.

La donation ne se parfait pas toujours par un seul et même acte; l'acceptation du donataire peut intervenir après coup et par un acte séparé (art. 932). Il y a alors trois phases à considérer dans la donation : 1o la pollicitation faite par le donateur, c'est-à-dire l'offre qu'il fait au donataire; 2o l'acceptation de cette pollicitation par le donataire; 3o la notification de cette acceptation au donateur.

Le donateur doit avoir la capacité de droit et la capacité de fait au moment de la pollicitation. Cette double capacité doit exister aussi au moment de l'acceptation faite par le donataire; car c'est à ce moment que le contrat se forme par le concours des volontés. Arg. art. 932. qui exige que l'acceptation ait lieu du vivant du donateur. Nous aurons à voir sous cet article si le donateur doit aussi être capable au moment de la notification de l'acceptation.

On admet généralement qu'il n'est pas nécessaire que la capacité du donateur ait subsisté pendant tout le temps intermédiaire entre la pollicitation et l'acceptation. Media tempora non nocent.

Quant au donataire, il n'est pas nécessaire qu'il soit capable de fait, c'est-à-dire sain d'esprit, à aucune des trois époques qui viennent d'être indiquées. Mais il doit incontestablement être capable de droit au moment de l'acceptation, c'est-à-dire qu'il doit n'être alors frappé d'aucune incapacité juridique de recevoir soit absolue, soit relative au disposant; car c'est alors que le contrat se forme. Nous recher-,

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