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CHAPITRE III

DE L'EFFET DES OBLIGATIONS

857. Le législateur traite pêle-mêle dans ce chapitre de l'effet des conventions et de l'effet des obligations, deux choses qu'il importe de ne pas confondre et que Pothier n'avait pas manqué de distinguer. 858. Effet des conventions. Les conventions produisent ordinairement des obligations, soit à la charge des deux parties si le contrat est synallagmatique, soit à la charge d'une seule s'il est unilatéral. Quelquefois elles ont seulement pour but de modifier ou d'éteindre des obligations préexistantes. Enfin, dans certains cas, elles opèrent un transport de propriété ou l'établissement d'un droit réel.

Toutefois, le transport de la propriété n'est, ainsi que nous le verrons plus loin, qu'un effet médiat de la convention qui a été formée dans ce but, en ce sens qu'il est seulement le résultat de l'exécution de l'obligation de transférer la propriété, que cette convention a engendrée. Ainsi la vente, qui est une convention de donner, fait naître une obligation de transférer la propriété à la charge du vendeur, et c'est l'exécution de cette obligation qui rend l'acheteur propriétaire. Il en est ainsi, non seulement lorsque la convention a pour objet une chose déterminée seulement quant à son espèce (tel serait le cas d'une vente de vingt hectolitres de froment), mais aussi lorsqu'elle a pour objet un corps certain, comme s'il s'agit par exemple de la vente de telle maison. Il est vrai que, dans cette dernière hypothèse, la loi répute l'obligation de transférer la propriété, que la convention engendre, immédiatement exécutée (art. 1138), et c'est en envisageant ce résultat final, sans tenir compte de la filière par laquelle la loi nous fait passer pour y arriver, qu'on a pu dire que la propriété est transférée par la convention elle-même. Mais on est allé trop loin, à notre avis, en disant que, sous notre droit actuel, l'obligation de transférer la propriété ne prend même pas naissance dans les conventions de donner relatives à un corps certain; c'est rayer du code civil de nombreux textes qui parlent de cette obligation. La vérité est qu'elle nait, mais qu'elle meurt en naissant, parce qu'elle est réputée accomplie, exécutée, payée au moment même de sa nais

sance.

859. Effet des obligations. -L'obligation met le débiteur dans la nécessité juridique d'accomplir la prestation qu'il a promise, de faire ce qu'il a promis de faire, de payer. Contractus sunt ab initio voluntatis, ex postfacto necessitatis. La loi vient en aide au créancier, en lui prêtant au besoin le concours de la force publique, pour lui permettre d'obtenir l'exécution forcée de l'obligation, lorsque le débiteur refuse de s'exécuter de bonne grâce. Ainsi le créancier d'une somme d'argent pourra, après avoir obtenu un jugement contre son débiteur qui refuse de payer, ou même recta via s'il a un titre exécutoire, saisir les biens de son débiteur et les faire vendre pour se payer sur le prix. S'agit-il de l'obligation de livrer une chose déterminée, telle maison par exemple, en exécution d'un contrat de vente? Si le débiteur (le

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vendeur) refuse d'effectuer la livraison, le créancier (l'acheteur) pourra obtenir l'assistance de la force publique pour entrer en possession; force doit rester au droit. Enfin s'il s'agit d'une obligation de ne pas faire, à laquelle le débiteur contrevient en faisant ce dont il a promis de s'abstenir, le créancier pourra se faire autoriser à détruire, avec le concours de la force publique au besoin, ce qui a été fait en violation de son droit, par exemple à faire démolir les constructions que le débiteur avait promis de ne pas élever. Dans un seul cas, le créancier ne pourra pas obtenir l'exécution directe de l'obligation qui a été contractée envers lui: c'est celui où cette exécution suppose nécessairement le fait personnel du débiteur, comme il arrivera si un artiste s'est engagé à peindre un tableau, à jouer sur un théâtre... Celui qui a contracté une semblable obligation peut seul l'exécuter, car son talent personnel a été pris en considération, et comment arriver à l'y forcer s'il s'y refuse? Il y a là un obstacle matériel que le législateur ne peut pas vaincre, malgré sa puissance. Voilà, selon nous, tout ce que signifie le vieil adage Nemo potest præcise cogi ad factum, qui signale l'existence d'un obstacle de fait, plutôt que d'un obstacle de droit, à l'exécution de l'obligation. Si la puissance humaine pouvait forcer le débiteur à faire ce qu'il a promis de faire, la loi devrait permettre de l'y contraindre, fallût-il pour cela exercer des violences sur sa personne; car il a enchaîné sa liberté en s'obligeant à faire ce qu'il a promis, et il n'est que juste de permettre au créancier d'obtenir ce qui lui est dû. N'accorderait-on pas le secours de la force publique à l'acheteur d'une maison, non seulement pour lui permettre d'en prendre possession, si le vendeur refuse de la livrer, mais aussi pour jeter le vendeur à la porte s'il s'obstine à ne pas vouloir sortir? Refuserait-on ce même secours à l'acheteur d'un objet mobilier pour forcer le vendeur, qui le garde dans sa poche, à le délivrer? Et cependant il faudra dans l'un et l'autre cas exercer une violence sur la personne du débiteur. Mais cette considération n'a pas dû arrêter le législateur, parce qu'à l'aide de cette violence on peut arriver directement au but proposé.

Nous approuvons donc une décision, que tous les auteurs critiquent et par laquelle le tribunal de la Seine a autorisé l'emploi de la force publique pour faire enlever un acteur qui persistait à jouer sur un théâtre, en violation de l'engagement formel qu'il avait pris de n'y pas paraître. Ici le concours de la force publique devait à notre avis être prêté au créancier, parce qu'il pouvait lui procurer l'exécution directe de l'obligation. Il n'en serait pas de même dans le cas d'une obligation de faire dont l'accomplissement suppose nécessairement le fait personnel du débiteur, par exemple si, comme nous le disfons tout à l'heure, un acteur a promis de jouer sur un théâtre. Il n'y a pas de puissance humaine qui puisse alors l'obliger à faire ce qu'il a promis de faire. On ne peut pas songer à l'y contraindre directement par l'emploi de la force publique, parce que la nature des choses s'y oppose, et on ne peut pas davantage l'y contraindre indirectement en exerçant des violences sur sa

personne, par exemple en le contraignant par corps, parce que la loi n'autorise pas, et avec raison, l'emploi de ce moyen. Que reste-t-il donc alors? uniquement la ressource d'une condamnation à des dommages et intérêts.

La théorie que nous venons d'exposer diffère notablement de celle admise par les auteurs, qui rattachent la règle établie par l'art. 1132 au principe de l'inviolabilité de la liberté individuelle. « L'homme, dit M. Laurent (t. 16, n. 198), est libre de ne » pas remplir ses engagements, sauf à supporter les conséquences de cette inexécu>>tion on ne peut pas lui enlever cette liberté en employant la violence ». Nous répondons: Le débiteur en s'obligeant engage sa liberté, et ce n'est pas violer le principe de la liberté individuelle que de l'obliger, même par la violence, à faire ce qu'il a promis de faire. Il était libre de ne pas enchaîner sa liberté; mais, une fois qu'il l'a enchaînée, il n'a pas le droit de rompre son lien. La loi ne s'arrête que devant une impossibilité de fait. La violence pourra donc être employée dans les cas, assez rares, il faut en convenir, où elle pourra procurer au créancier l'exécution directe de l'obligation.

SECTION PREMIÈRE

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

860. « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux » qui les ont faites », dit l'art. 1134 al. 1. En mettant les conventions sur la même ligne que les lois, ce texte rend la justice gardienne de l'observation des premières comme des secondes. Si donc quelque contestation amène les parties contractantes devant le juge, il devra assurer la stricte exécution de la convention; c'est une loi privée dont il doit leur faire l'application, et qui l'enchaîne au même titre qu'une disposition législative.

Il ne faut pas cependant pousser trop loin l'assimilation entre la convention et la loi. Notamment la fausse interprétation d'une loi par le juge donne ouverture à cassation, tandis qu'il en est autrement de la fausse interprétation d'une convention, à moins cependant que cette fausse interprétation ne repose elle-même sur une fausse interprétation de la loi, comme il arriverait si le juge, en reconnaissant que les parties ont voulu faire une vente, faisait produire à leur convention les effets d'un louage. 861. L'art. 1134 ajoute dans son alinéa 2: « Elles [les conventions] » ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les » causes que la loi autorise ».

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— De leur consentement mutuel. C'est le consentement qui forme le contrat; un consentement contraire doit donc pouvoir le dissoudre, conformément à cette règle de raison: Nihil tam naturale est quam eo genere quidque dissolvere quo colligatum est.

Et toutefois la révocation, résultant du consentement en sens contraire manifesté par les parties contractantes (distractus) ne produit ses effets que dans l'avenir, non dans le passé; elle opère ex nunc et non ex tunc. Le passé n'appartient plus aux parties contractantes, et il n'est pas en leur pouvoir de supprimer ce qu'il contient; ce qui est fait est fait, nemo potest condicere factum. Les effets que le contrat

a produits dans le passé seront donc maintenus; leur anéantissement aurait pu d'ailleurs porter atteinte à des droits acquis à des tiers. Ainsi je vous vends ma maison moyennant un certain prix; cette convention vous rend immédiatement propriétaire (art. 1138); quelques mois après, nous convenons que la vente sera non avenue. Résulterat-il de cette nouvelle convention que la vente sera considérée comme n'ayant jamais existé, que par suite vous serez censé n'avoir jamais été propriétaire de la maison et moi n'avoir jamais cessé de l'être? Non; notre nouvelle convention n'agira que dans l'avenir; elle aura seulement pour résultat de me retransférer la propriété que la vente vous avait transmise, de sorte qu'il y aura dans mon droit de propriété une solution de continuité, que notre volonté commune ne peut pas faire disparaître.

Il en résulte notamment cette conséquence que le fisc sera fondé à réclamer deux droits de mutation, tandis qu'aucun ne lui serait dû, si la vente était résolue dans le passé. Il s'ensuit également que la révocation ne pourra porter aucune atteinte aux droits acquis à des tiers sur la chose, du chef de l'acquéreur. Ainsi le vendeur, qui reprend l'immeuble vendu, devra respecter les baux consentis par l'acheteur, et aussi les droits réels, tels que servitudes, hypothèques, dont il l'aurait grevé ou qui se seraient établis sur lui de son chef, par exemple l'hypothèque légale de sa femme. Le tout sauf la question de transcription et d'inscription.

Il en est autrement de la révocation ou résolution (nous considérons ces deux mots comme synonymes), qui s'opère en vertu d'une condition résolutoire expresse (art. 1183) ou tacite (art. 1184): elle agit dans le passé comme dans l'avenir; car la condition résolutoire accomplie « remet les choses au même état que si l'obligation » n'avait pas existé » (art. 1183). Les tiers pourront donc en subir les conséquences ce dont ils n'ont pas le droit de se plaindre, parce qu'ils ont pu prévoir cette révocation, tandis qu'ils ne pouvaient pas prévoir celle résultant de la libre volonté des parties.

861 bis. La règle que les conventions ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel des parties contractantes, souffre deux exceptions:

1o Le mandat peut prendre fin par la seule volonté soit du mandant, soit du mandataire (art. 2003);

2o Le contrat de société, au moins quand il a été formé pour une durée illimitée, peut se dissoudre par la volonté d'un seul des associés (art. 1869). Comme le dit fort bien M. Laurent, la société « ne peut prospérer que par l'entente et par la concorde ; forcer les associés à rester en communauté d'intérêts alors qu'ils ne s'entendent plus, ce serait aller contre le but même qu'ils ont eu en s'associant; la communauté forcée deviendrait une source de difficultés et de procès ».

D'un autre côté, il y a des conventions qui ne peuvent pas être révoquées par le consentement mutuel des parties: notamment les conventions matrimoniales, une fois que le mariage est célébré (art. 1395).

Les conventions peuvent aussi être révoquées pour les causes que la loi autorise. Ainsi la vente peut être révoquée (ou résolue) pour défaut de paiement du prix (art. 1654); la donation peut être révoquée pour cause d'inexécution des charges, d'ingratitude du donataire ou de survenance d'enfant au donateur (art. 953).

La révocation, qui se produit en vertu de la loi, a lieu, tantôt avec effet rétroactif, tantôt sans effet rétroactif. Ainsi, parmi les causes de révocation des donations, il y en a une qui opère sans effet rétroactif, c'est la révocation pour cause d'ingratitude; les deux autres au contraire opèrent rétroactivement.

862. L'art. 1134 contient un dernier alinéa, ainsi conçu: « Elles [les conventions] doivent être exécutées de bonne foi ». DE BONNE FOI, c'est-à-dire conformément à l'intention des parties et au but qu'elles se sont proposé en contractant. Cass., 31 janvier 1887, Sir., 87. 1. 420. En droit romain, il y avait des contrats qui donnaient lieu à des actions stricti juris, d'autres à des actions bonæ fidei. Dans l'action de droit strict, la formule ne laissait au juge aucune latitude : les principes austères du droit civil devaient seuls servir de base à sa décision, sans qu'il pût tenir compte d'aucune considération d'équité ou de bonne foi. La formule de l'action bonæ fidei permettait au juge de se mouvoir dans un cercle plus large; la bonne foi et l'équité y prenaient place à côté de l'ipsum jus, et permettaient de tempérer sa rigueur. Notre droit moderne ne connaît plus cette distinction; tous les contrats doivent aujourd'hui être exécutés de bonne foi, dit l'art. 1134 in fine, et l'article suivant ne fait que déduire une conséquence de ce principe, lorsqu'il ajoute :

« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais » encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obli» gation d'après sa nature » (art. 1135). · Ea quæ sunt moris et consuetudinis in contractibus tacite veniunt.

Les usages qui peuvent servir à déterminer le sens d'une convention sont seulement les usages du lieu où la convention s'est formée, et non ceux d'une autre localité plus ou moins éloignée. Cass., 9 août 1887, Sir., 87. 1. 416.

SECTION II

DE L'OBLIGATION DE DONNER

863. Dans cette rubrique et dans les articles de la section, le législateur nous paraît avoir pris le mot donner dans son sens traditionnel : transférer la propriété, dare. L'obligation de donner est donc celle de transférer la propriété, ajoutons: ou un droit réel, tel qu'un droit d'usufruit ou de servitude.

L'obligation de donner résulte d'une convention de donner. Ainsi le vendeur est tenu de l'obligation de transférer à l'acheteur la propriété de la chose vendue, par conséquent d'une obligation de donner; cette obligation dérive de la vente, qui est une convention de donner.

864. Aux termes de l'art. 1136: « L'obligation de donner emporte » celle de livrer la chose et de la conserver jusqu'à la livraison, à peine » de dommages et intérêts envers le créancier ».

Ainsi donc l'obligation de donner en engendre elle-même deux autres : l'obligation de livrer la chose au créancier, c'est-à-dire de la mettre en sa puissance et possession (art. 1604), 2o l'obligation de la conserver jusqu'à l'époque de la livraison. Nous parlerons d'abord

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