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d'autres termes, le père ou la mère, qui fait une donation à son enfant naturel dont la filiation est légalement constatée, peut-il, en cas de prédécès de celui-ci sans postérité, reprendre le bien donné, qui se retrouve en nature dans sa succession, au préjudice de l'autre auteur de l'enfant ? Grave est la controverse sur cette question. La majorité des auteurs admettent l'affirmative. Les motifs, qui justifient le retour légal au profit de l'ascendant légitime, existent, dit-on, avec la même force au profit du père et de la mère naturels; il faut donc appliquer la règle Ubi eadem ratio, ibi idem jus esse debet. A cet argument d'analogie on ajoute un argument a fortiori tiré de l'art. 766. Ce texte accorde un droit de retour, analogue à celui de l'art. 747, aux frères et sœurs légitimes d'un enfant naturel décédé sans postérité ni père ni mère, c'est-à-dire aux enfants légitimes du père ou de la mère de cet enfant naturel. A plus forte raison, dit-on, un droit semblable doit-il exister au profit des père et mère naturels eux-mêmes. Nous préférons l'avis de la minorité. Le droit établi par l'art. 747 est un droit d'exception (supra n. 84). Conformément à la règle Exceptio est strictissimæ interpretationis, on ne peut donc l'étendre en dehors du cas spécialement prévu par le législateur. Or tout nous indique qu'il n'a eu ici en vue que les ascendants légitimes: d'abord la place qu'occupe l'art. 747, au cœur des successions légitimes; puis le mot ascendants, qui comprend dans sa généralité les aïeuls, bisaïeuls, et prouve par conséquent que le législateur ne songeait pas au cas d'un enfant naturel, qui ne peut avoir d'autres ascendants que ses père et mère (t. I, n. 742).

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D'ailleurs l'argument a fortiori qu'on tire de l'art. 766 n'est nullement concluant; car on comprend parfaitement que le législateur ait pu refuser au père et à la mère naturels un droit de retour qu'il accorde après leur décès à leurs enfants légitimes, les père et mère naturels ayant sur les biens de leur enfant un droit de succession ordinaire qui est refusé aux frères et sœurs légitimes. La loi accorde aux père et mère naturels du défunt un droit de succession ordinaire seulement, à leurs enfants légitimes un droit de succession anomale seulement. Qu'y a-t-il d'illogique dans un pareil système ? En tout cas, s'il y a un défaut de concordance dans les dispositions de la loi sur ce point, ce n'est pas à l'interprète de le faire disparaître en violant une de nos règles d'interprétation les plus sûres, celle qui ne permet pas d'étendre une disposition exceptionnelle en dehors de ses termes.

La question qui vient d'être agitée ne présente d'intérêt que lorsque les deux auteurs de l'enfant naturel viennent concurremment à sa succession. Car si celui des deux qui a fait la donation se présente seul, soit parce que l'autre n'est pas légalement connu, soit parce qu'il est prédécédé, soit parce qu'il est renonçant ou indigne, la succession tout entière lui étant déférée (art. 765), qu'importe de savoir s'il peut exercer le droit de retour?

IV. A quels biens s'applique le retour successoral

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92. La loi dit aux choses données. Formule des plus générales, qui comprend les choses mobilières aussi bien que les choses immobilières, les choses incorporelles aussi bien que les choses corporelles.

Le mot choses n'a donc plus dans l'art. 747 le sens qu'il avait dans l'art. 313 de la coutume de Paris, où il désignait seulement les immeubles, que l'ascendant donateur reprenait, comme héritier aux propres, dans la succession du donataire, par exception à la règle Propres ne remontent.

La règle, que le retour successoral s'applique à toutes les choses données, quelle que soit leur nature, semble cependant devoir souffrir exception relativement aux cadeaux d'usage, faits à l'époque de la fête, du jour de l'an... Ce ne sont pas là de véritables donations, ainsi qu'on peut l'induire de l'art. 852, qui les dispense du rapport.

V. Des conditions auxquelles est subordonné l'exercice du droit de retour successoral.

93. Pour que le droit de retour successoral s'ouvre au profit de Deuf Cditions

l'ascendant donateur, il faut : 1° que le donataire prédécède sans postérité; 2o que la chose donnée se retrouve en nature dans sa succession. 94. PREMIÈRE CONDITION. Prédécès du donataire sans postérité. La loi suppose avec raison que, dans l'intention de l'ascendant donateur, la donation s'adressait au donataire et à sa postérité. Donc l'existence d'une postérité lors du décès du donataire doit faire obstacle au retour. Le mot postérité comprend certainement les enfants et descendants. légitimes du donataire, auxquels il y a lieu d'assimiler ceux qui auraient été légitimés. Toutefois leur présence ne fait obstacle au droit de retour qu'autant qu'ils ne sont ni renonçants ni indignes; car l'héritier renonçant ou indigne est censé n'avoir jamais été héritier (art. 785).

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Mais la présence d'un seul descendant venant à la succession du donataire forme un obstacle absolu et perpétuel à l'ouverture du droit de retour; de telle sorte que si ce descendant vient lui-même à mourir sans postérité avant le donateur, le droit de retour ne s'ouvrira pas il était définitivement défailli. La jurisprudence est constante en ce sens. Et en effet l'art. 747 exige, pour qu'il y ait lieu au droit de retour, que le descendant donataire soit décédé sans postérité; donc, s'il laisse une postérité, le retour ne saurait se produire. Le contraire a lieu il est vrai pour l'adoptant, qui peut exercer le droit de retour, non seulement dans la succession de l'adopté, mais aussi dans celle de ses descendants morts sans postérité. Mais c'est là une particularité du droit de retour de l'adoptant, particularité facile à expliquer d'ailleurs en effet si, dans cette hypothèse, le retour successoral ne s'ouvrait pas au profit de l'adoptant, les biens donnés sortiraient définitivement de sa famille, puisqu'ils seraient recueillis par des parents de l'adopté, qui sont des étrangers pour l'adoptant. Autre est la situation de l'ascendant donateur, qui, s'il ne peut exercer le retour légal dans la succession des descendants du donataire, ne verra pas du moins passer à des étrangers les biens par lui donnés.

95. Le mot postérité de l'art. 747 comprend-il aussi les enfants adoptifs et les enfants naturels? Sur l'un et l'autre point il y a controverse.

En ce qui concerne l'enfant adoptif, la majorité des auteurs admettent que sa présence doit faire obstacle au retour légal comme celle d'un enfant légitime. On induit cette solution de l'art. 350, aux termes duquel : « L'adopté... aura sur la suc» cession de l'adoptant les mêmes droits que ceux qu'y aurait l'enfant né en mariage...

La jurisprudence est fixée en sens contraire, et nous nous joignons à la minorité respectable qui estime qu'il y a lieu de l'encourager à persévérer dans cette voie. Si l'on consulte l'intention probable du donateur, qui sert de base au retour successoral, on est obligé de convenir qu'il n'a disposé qu'en vue du donataire et de sa descendance réelle, mais non en vue de sa descendance adoptive qui est une des. cendance fictive; celle-ci ne doit donc pas faire obstacle au retour. Les textes viennent à l'appui de cette induction. Le mot postérité, dans la langue du droit comme dans celle du monde, ne désigne que les personnes qui nous sont unies par les liens du sang en ligne descendante. On dit bien postérité légitime ou postérité natu

relle, mais peut-on parler de postérité adoptive ? D'ailleurs nous voyons que l'ouverture du droit de retour de l'adoptant est subordonnée au prédécès de l'adopté sans descendants légitimes (art. 351). La présence d'un enfant adoptif de l'adopté ne ferait donc pas obstacle au retour légal de l'adoptant; comment ferait-elle dès lors obstacle au retour de l'ascendant, qui est exactement de la même nature? Quant à l'argument tiré de l'art. 350, il repose sur une pétition de principe manifeste. Sans doute l'adopté a les mêmes droits qu'un enfant légitime, sur la succession de l'adoptant; mais il s'agit de savoir sur quelle succession. Or il est peu vraisemblable que le législateur ait eu en vue la succession anomale de l'art. 747 : il est bien plus probable qu'il ne songeait qu'à la succession ordinaire, dont les biens donnés ne font pas partie.

Les arguments, qui viennent d'être produits au sujet de la question précédente, peuvent être invoqués avec une force à peu près égale pour démontrer que la présence d'un enfant naturel reconnu du donataire ne fait pas obstacle au retour légal. Il est vrai que le mot postérité, qui, ainsi qu'on vient de le voir, ne comprend pas dans le langage usuel les enfants adoptifs, pourrait paraître comprendre les enfants naturels; car lato sensu ce mot désigne toutes les personnes qui descendent de nous légitimement ou illégitimement. Mais il n'est pas vraisemblable que le législateur l'ait employé en ce sens dans l'art. 747; ce texte est en effet enchâssé dans une série d'articles, où le mot postérité est certainement employé pour désigner la postérité légitime.

*Nous ne parlerons que pour mémoire d'une opinion intermédiaire, basée sur l'art. 757 al. 2 in medio, d'après laquelle l'enfant naturel reconnu ferait obstacle à l'exercice du droit de retour légal pour la moitié. On l'a réfutée d'une manière péremptoire par le dilemme suivant : Ou bien le mot postérité de l'art. 747 comprend les enfants naturels, et alors leur présence fait obstacle au retour légal pour le tout; ou il ne les comprend pas, et alors leur présence ne saurait aucunement y faire obstacle.

96. DEUXIÈME CONDITION. Il faut que la chose donnée se retrouve en nature dans la succession du donataire (art. 747). En nature, c'est-àdire dans son identique individualité. La raison en est que l'ascendant ne succède qu'à ce qu'il a donné. La loi recherche ici l'origine des biens, contrairement aux règles du droit commun. Il faut donc que l'origine du bien que veut reprendre l'ascendant donateur soit certaine,et elle ne l'est, aux yeux du législateur, que lorsque la chose donnée se retrouve en nature. Si donc le donataire l'a aliénée, il n'y aura pas lieu au retour successoral. Peu importe d'ailleurs que l'aliénation soit à titre gratuit ou à titre onéreux.

En ce qui concerne l'aliénation à titre gratuit, il faut remarquer que celle que le donataire aurait faite par testament rendrait le retour successoral impossible aussi bien que celle qu'il aurait faite par acte entre vifs. En d'autres termes, si le donataire a légué la chose donnée, le retour successoral s'évanouit, aussi bien que s'il l'a donnée entre vifs. On a objecté inutilement que, la donation testamentaire ne produisant effet qu'à la mort du testateur (arg. art. 895), la chose léguée existe encore en nature dans le patrimoine du testateur au moment de son décès; d'où résulterait pour l'ascendant donateur le droit de la reprendre. Matériellement, oui, la chose est encore dans le patrimoine du testateur, mais juridiquement elle n'y figure plus; car, au moment où le testateur a rendu le dernier soupir, la chose léguée est devenue la propriété du légataire (arg. art. 741 et 1014). Or c'est au point de vue juridique qu'il faut se placer pour résoudre la question de savoir si la chose existe ou non en nature dans le patrimoine du donataire.

* 97. Que décider, si le donataire, après avoir aliéné la chose, en est redevenu propriétaire ? L'ascendant donateur pourra-t-il exercer son droit de retour? Cette question doit être résolue d'après la distinction suivante :

a. Le donataire a-t-il recouvré la propriété de la chose par lui aliénée, ex causa antiqua ou primæva, c'est-à-dire par suite de la résolution de l'aliénation qu'il avait consentie, comme si, après avoir vendu la chose à réméré, il a exercé le rachat dans le délai convenu? En pareil cas, l'aliénation, que le donataire avait consentie, a été rétroactivement anéantie; c'est donc comme si elle n'avait jamais existé. D'où la conséquence que l'ascendant donateur pourra exercer son droit de retour comme si la chose n'avait jamais été aliénée.

b. Le donataire, après avoir aliéné la chose, l'a acquise en vertu d'un titre nouveau, ex causa nova, en vertu d'une cause qui laisse subsister l'aliénation par lui consentie par exemple, après avoir donné la chose, il l'a achetée. Le droit de retour ne s'ouvrira pas dans ce cas au profit de l'ascendant donateur. La chose existe en nature, il est vrai, dans le patrimoine du donataire; mais elle n'y existe pas en tant que chose donnée par l'ascendant; or l'ascendant donateur ne peut succéder qu'aux choses par lui données (art. 747). Voyez d'ailleurs où nous conduirait la solution contraire. Supposez qu'un enfant ait vendu l'immeuble que lui a donné son père; son aïeul le rachète, et lui en fait de nouveau donation; l'enfant prédécède sans postérité. Incontestablement il y a lieu au droit de retour au profit de l'aïeul, car la chose existe en nature dans la succession en tant que chose donnée par lui. Comment faire, si l'on admet que le droit de retour existe aussi au profit du père? 98. En principe, l'aliénation consentie par le donataire fait défaillir le droit de retour successoral d'une manière absolue. L'ascendant donateur ne peut alors reprendre ni la chose, ni son équivalent, quand bien même il se retrouverait dans le patrimoine du donataire. A cette règle, la loi apporte une double exception.

11༠ «Si les objets ont été aliénés, les ascendants recueillent le prix » qui peut en être dû ». La loi attribue donc aux ascendants la créance du prix au lieu et place de la chose qui n'existe plus en nature.

Au cas où le prix consisterait en une rente perpétuelle, l'ascendant succèdera à la rente. On a peine à comprendre que le contraire ait pu être soutenu.

Si le prix a été payé en partie, l'ascendant succède à la portion qui reste due; il n'a aucun droit à celle qui a été payée du vivant du donataire, car la loi dit qu'il succède au prix qui peut être dû.

12 « Ils (les ascendants) succèdent aussi à l'action en reprise que » pouvait avoir le donataire » (art. 747 in fine). On appelle action en reprise toute action par le moyen de laquelle nous pouvons faire rentrer dans notre patrimoine un bien qui en est sorti. Telle est l'action en rescision d'une vente pour cause de lésion (art. 1674); telle encore l'action en résolution d'une vente pour défaut de paiement du prix (art. 1634), ou l'action en révocation d'une donation pour cause d'inexécution des charges (art. 934) ou d'ingratitude du donataire (art. 955).

D'une manière générale, les actions en nullité ou rescision, en révocation et en résolution sont des actions en reprise. On doit aussi considérer comme telle l'action qui appartient à la femme, sous les divers régimes nuptiaux, pour obtenir la restitution en nature ou par équipollent des biens qui composent sa dot.

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Il est bien entendu que l'ascendant donateur, qui succède à l'action en reprise que pouvait avoir le donataire, doit satisfaire de suo aux diverses prestations que peut nécessiter suivant les cas l'exercice de cette action. Ainsi l'ascendant donateur, qui exercera le droit de rachat en cas de vente à réméré, devra rembourser de ses deniers le prix de la vente et les divers accessoires qu'indique l'art. 1673.

Le législateur paraît accorder l'action en reprise à l'ascendant donateur par application de la maxime Qui actionem habet ad rem recuperandam, ipsam rem habere videtur. L'action en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix est, nous l'avons vu, une action en reprise; elle appartient à ce titre à l'ascendant donateur. Et comme l'action en résolution peut être exercée tant que le prix n'est pas payé, le législateur, tenant compte sans doute du lien qui existe entre la dette du prix et l'action en résolution, a été conduit à attribuer à l'ascendant la créance du prix. Cette disposition est peut-être aussi un souvenir du droit romain, d'après lequel l'acheteur ne devenait pas propriétaire avant le paiement du prix.

99. Le donataire a vendu le bien que lui a donné son ascendant, et il a employé le prix à en acheter un autre qui se retrouve en nature dans sa succession; ou bien il a placé le prix après l'avoir touché; ou enfin ce prix se trouve encore dans son coffre-fort. On demande si l'ascendant peut reprendre la chose nouvellement achetée, ou profiter du placement, ou s'emparer du prix qu'il retrouve. C'est demander si l'on peut étendre en dehors de ses termes une disposition qui déroge au droit commun. La négative est certaine, si l'on s'en tient aux règles les plus élémentaires de l'interprétation. On comprend d'ailleurs à merveille que le législateur ait enfermé dans des limites très étroites le droit de l'ascendant donateur. Il ne faut pas oublier que, dans la succession spéciale dont il s'agit, la loi recherche l'origine des biens, contrairement au principe de l'art. 732. L'ascendant donateur succède aux biens par lui donnés. Donc il ne peut pas reprendre d'autres biens à la place de ceux qu'il a donnés. Voilà pourquoi notre article exige que les biens donnés se retrouvent en nature hypothèse à laquelle il assimile celle où il existe dans la succession une action en reprise, ou une action en paiement du prix, qui peut conduire à une action en reprise par application de la règle Qui actionem habet ad rem recuperandam, ipsam rem habere videtur. Là s'arrête le droit de l'ascendant. Aucune extension du texte de la loi ne saurait être admise à son profit dans une matière où l'interprétation restrictive est de rigueur. Aussi ne reconnaîtrions-nous même pas à l'ascendant donateur le droit de reprendre le bien, que le donataire aurait acquis en échange du bien donné.

Voilà ce que semble commander la rigueur des principes. Bien peu d'auteurs y sont demeurés fidèles. Mais il y a dans le camp des dissidents comme une véritable anarchie. La difficulté vient de ce qu'après avoir franchi les limites légales, il a fallu établir des limites doctrinales pour l'exercice du droit de retour; or on est loin de s'entendre à ce sujet. L'un pose en principe que l'on doit autoriser l'ascendant donateur à reprendre dans la succession du donataire, soit le bien donné luimême, soit toute autre chose qui pourra être considérée comme étant son équivalent positif et certain : par exemple le bien acquis en contre-échange, qui certainement ne se trouverait pas dans la succession du donataire sans la donation faite par l'ascendant, et qui est par conséquent un produit indirect mais certain de cette donation. Puis, l'accord fait sur cette prémisse, chacun applique ensuite le principe à sa manière. D'autres partent de l'idée que le législateur autorise l'ascendant à succéder à la créance du prix et à l'action en reprise, par suite d'une subrogation réelle; aux deux cas admis par le législateur, ils en ajoutent plusieurs autres, ne remarquant pas que la subrogation réelle est de droit étroit, et qu'on ne peut pas l'admettre sans un texte ni l'étendre d'un cas prévu à un autre non prévu. Quelques-uns prennent pour point de départ l'adage In judiciis universalibus res succedit loco

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