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988. Mais voici une nouvelle complication. Parmi les codébiteurs solidaires il y en a un qui a été déchargé de la solidarité. Devra-t-il supporter lui aussi sa part contributoire dans la perte résultant de l'insolvabilité de l'un des codébiteurs? La loi résout cette question dans le sens de l'affirmative : « Dans le cas où le créancier a renoncé à l'action » solidaire envers l'un des débiteurs, si l'un ou plusieurs des autres » codébiteurs deviennent insolvables, la portion des insolvables sera con» tributoirement répartie entre tous les débiteurs, même entre ceux pré» cédemment déchargés de la solidarité par le créancier» (art. 1215). Ainsi, en reprenant notre espèce, le créancier a déchargé Secundus de la solidarité, après avoir reçu de lui les 1,000 fr. qui représentent sa part; Primus devient insolvable, et Tertius paie au créancier les 2,000 fr., qui lui restent dus. Il pourra recourir contre Secundus pour 500 fr., lui faisant ainsi supporter pour la moitié la perte résultant de l'insolvabilité de Primus.

Mais le codébiteur déchargé de la solidarité n'aura-t-il pas au moins une action récursoire contre le créancier, pour se faire rembourser la somme représentant sa portion contributoire dans la part de l'insolvable ? Secundus, dans notre espèce, ne pourra-t-il pas dire au créancier: «< Vous m'aviez déchargé de la solidarité en recevant le paiement de ma part, et par conséquent je devais compter que je n'aurais rien à supporter en sus dans le fardeau de la dette solidaire; or voilà que, contrai- * rement à mes prévisions, fondées sur les légitimes espérances que me donnait la remise de la solidarité, je me trouve obligé de payer 500 fr. pour ma portion contributoire dans la part de l'insolvable; remboursez-moi ces 500 fr. ». Nous croyons que cette prétention ne serait pas fondée. D'abord le texte ne parle nullement de ce recours. D'un autre côté, la remise de la solidarité, par cela seul qu'elle est une renonciation à un droit, est de stricte interprétation; le doute, qui peut exister sur le point de savoir quelle est son étendue, doit donc s'interpréter en faveur du créancier; or rien ne prouve qu'il ait entendu garantir le codébiteur qu'il a déchargé de la solidarité contre les conséquences de l'insolvabilité possible de l'un de ses codébiteurs. On dira peut-être : Mais alors la remise de la solidarité n'a pas de sens; elle ne procure aucun bénéfice au débiteur qui l'a obtenue; il faut bien admettre cependant que les parties ont entendu faire un acte sérieux! L'objection n'est pas fondée. Même en refusant au codébiteur déchargé de la solidarité le recours dont il s'agit, la remise de la solidarité lui procure toujours cet avantage de le dispenser de faire l'avance des fonds; le créancier ne pourra plus le choisir, de préférence aux autres codébiteurs solvables, pour exiger de lui le paiement intégral de la dette; c'est peu si l'on veut, mais c'est bien quelque chose cependant.

D'ailleurs, si l'on reconnaît au codébiteur déchargé de la solidarité le droit d'exercer contre le créancier l'action récursoire dont il s'agit, il faut, pour être conséquent, décider que le créancier devra déduire de la demande qu'il dirige contre l'un des débiteurs solidaires une somme égale à la portion contributoire du codébiteur déchargé de la solidarité dans la part de l'insolvable. Dans notre espèce, il faudrait dire que le créancier n'a le droit de demander que 1,500 fr. à Tertius; car on ne comprendrait pas qu'il pût le forcer à payer 2,000 fr. pour être obligé ensuite de restituer sur cette somme 500 fr. à Secundus, après que celui-ci les aurait luimême remboursés à Tertius. Et c'est là en effet qu'en sont venus quelques auteurs. Mais, cette étape une fois franchie (et on s'y trouve conduit par la force irrésistible

de la logique), qu'on veuille bien retourner la tête en arrière et jeter les yeux sur l'art. 1215, qui ordonne que la part de l'insolvable soit répartie entre tous ses codébiteurs, y compris ceux déchargés de la solidarité. Que devient-il? On le supprime. Cette façon d'interpréter la loi n'est pas admissible.

No 6. Y a-t-il plusieurs espèces de solidarité ?

989. Parmi les effets que le code civil fait produire à l'obligation solidaire, il y en a plusieurs dont il est difficile de rendre un compte satisfaisant, si l'on ne suppose pas l'existence d'une société, et par suite d'un mandat, entre les divers débiteurs solidaires : ce sont principalement ceux qu'indiquent les art. 1205, 1206 et 1207. De là certains auteurs ont conclu que ces divers effets ne sont pas produits par l'obligation solidaire, lorsque le lien de la société, et par suite du mandat, ne peut pas être considéré comme existant entre les divers débiteurs tenus de l'obligation solidaire. La solidarité ne produirait plus alors qu'un seul effet : permettre au créancier de s'adresser à celui des débiteurs qu'il veut choisir, pour exiger de lui le paiement intégral de la dette. Il en serait ainsi notamment de la solidarité que l'ancien art. 1734 établissait entre les divers colocataires d'une maison incendiée, et de celle que l'art. 55 du code pénal établit entre les différents auteurs ou complices d'un même crime ou d'un même délit. La solidarité ainsi restreinte est appelée solidarité imparfaite.

Nous repoussons absolument la théorie de la solidarité imparfaite comme n'ayant aucune base dans les textes. Le code civil ne parle que d'une seule obligation solidaire, dont il indique les effets dans les art. 1203 et suivants. Rien n'autorise à dire que certaines obligations solidaires ne produiront que quelques-uns de ces effets. Et s'il est vrai que l'idée d'une société ou d'un mandat facilite l'explication de plusieurs d'entre eux, il y a au moins exagération à dire qu'on ne peut pas les expliquer autrement, et en tout cas la loi ne dit nulle part que ces effets soient subordonnés à l'existence ou à la possibilité d'une société ou d'un mandat entre les divers débiteurs.

D'après une jurisprudence constante (1), au sujet de laquelle il y aurait beaucoup à dire, les divers auteurs d'un même délit civil ou d'un même quasi-délit sont tenus chacun pour le tout de la réparation du préjudice causé par ce délit ou par ce quasi-délit, alors du moins qu'il y a impossibilité de déterminer la part de responsabilité qui incombe à chacun dans le fait dommageable comme si par exemple plusieurs individus ont incendié ma récolte par imprudence, ou si ma propriété a été endommagée par les vapeurs pestilentielles émanées de plusieurs établissements industriels voisins. Chacun des coauteurs est alors condamné à la réparation intégrale du préjudice causé, comme s'il en était seul l'auteur. Est-ce là une obligation solidaire? La jurisprudence paraît l'admettre (voyez notamment Cass., 15 janvier 1878, Sir., 78. 1. 293); elle emploie du moins les expressions solidarité, débiteurs solidaires. La doctrine n'y voit en général qu'une simple obligation in solidum, dont l'unique effet est d'autoriser le créancier à demander le tout, solidum, à chaque débiteur, parce qu'on manque de base pour diviser entre eux la condamnation, sans qu'il y ait lieu d'ailleurs d'appliquer les autres effets de la solidarité indiqués par les art. 1205, 1206 et 1207.

(1) Cass., 14 mars 1882, Sir., 84. 1. 238, 28 janvier et 8 juillet 1885., Sir., 85. 1. 480 et 494, 25 octobre 1887. Sir., 87. 1, 411.

SECTION V

DES OBLIGATIONS DIVISIBLES ET INDIVISIBLES

990. Entre toutes les matières juridiques, celle de la divisibilité et de l'indivisibilité a toujours passé, et non sans raison, pour l'une des plus difficiles et des plus ardues, nous ajouterons et des plus obscures. C'était bien sans doute l'idée de Dumoulin, quand il intitulait le traité spécial qu'il a écrit sur ce sujet : Extricatio labyrinthi dividui et individui. Continuant dans l'intérieur de l'ouvrage l'image qu'il fait figurer au frontispice, Dumoulin indique sous le nom de fils ou clés les diverses règles qui doivent servir à guider le lecteur dans ce dédale. Malgré ou peut-être à cause de ces nombreux fils, on se perd facilement dans ce labyrinthe comme dans les autres. Deux cents ans plus tard, Pothier vint rendre cette matière un peu plus accessible en résumant dans quelques pages le volumineux traité de Dumoulin. C'est à cette source que notre législateur a puisé les art. 1217 à 1225, qui composent notre section.

Indiquons tout d'abord en quelques mots, et sauf à y revenir plus tard, quel est l'intérêt du sujet que nous allons traiter. Entre le créancier et le débiteur, il importe assez peu de savoir si l'obligation est divisible ou indivisible. En effet, dans leurs rapports respectifs, l'obligation susceptible de division doit être exécutée comme si elle était indivisible (art. 1220). Ainsi le débiteur d'une somme d'argent ne peut pas forcer son créancier à recevoir un paiement partiel (art. 1244 al. 1), et cependant une obligation ayant pour objet une somme d'argent est essentiellement divisible, c'est-à-dire susceptible d'être prestée par fractions. Quand donc apparait l'intérêt de la question? Il se présente principalement, lorsque le créancier ou le débiteur est mort laissant. plusieurs héritiers. Il sera très intéressant en pareil cas de savoir si l'obligation est divisible ou si elle ne l'est pas. Est-elle divisible? elle se divisera de plein droit entre les héritiers du débiteur ou entre ceux du créancier, de sorte que chaque héritier du débiteur ou du créancier ne pourra être tenu de payer la dette ou n'aura le droit d'en exiger le paiement que dans la mesure de sa part héréditaire. Au contraire, si l'obligation est indivisible, elle ne se divisera ni activement ni passivement; un seul des héritiers du débiteur pourra être forcé de payer le total, de même qu'un seul des héritiers du créancier pourra exiger le paiement intégral.

L'intérêt de notre sujet étant ainsi délimité, nous allons rechercher successivement ce que c'est qu'une obligation indivisible et dans quels cas une obligation est indivisible.

991. Et d'abord qu'est-ce qu'une obligation divisible? Qu'est-ce

qu'une obligation indivisible? Pothier répond (n. 287): « Une obligation dividuelle est celle qui peut se diviser; l'obligation individuelle, celle qui ne peut pas se diviser ». A force d'être claire, cette définition ne se comprend pas; il faut préciser un peu plus. Une obligation est divisible, lorsque la prestation qu'elle a pour objet peut se faire pour partie, indivisible si la prestation ne peut se faire pour partie. En précisant davantage encore, on peut dire que, pour savoir si une obligation est divisible ou indivisible, il faut se référer à son objet : l'obligation est divisible, toutes les fois qu'aucune impossibilité juridique ni physique ne s'oppose à ce que son objet puisse être divisé soit maté riellement, soit intellectuellement (art. 1217).

La division matérielle est une division réelle, effective, physique, qui sépare la chose en plusieurs parties distinctes les unes des autres comme si l'on divise le vin contenu dans une barrique en le mettant dans 300 bouteilles, ou si l'on divise une prairie en diverses portions dont la configuration matérielle est indiquée par des bornes.

La division intellectuelle est celle qui se fait à l'aide de l'intelligence, solo intellectu. Elle peut s'appliquer, non seulement aux choses qui sont susceptibles de division matérielle, mais aussi à certaines choses qui n'en sont pas susceptibles. Ainsi un moulin n'est pas divisible matériellement, en ce sens tout au moins que la division matérielle en amènerait la destruction; mais il est divisible intellectuellement on comprend très bien par exemple qu'un moulin appartienne à l'un pour le tiers et à un autre pour les deux tiers, et que les deux copropriétaires aient le droit de s'en servir alternativement, le premier pendant un jour, le second pendant deux, et ainsi de suite.

Eh bien ! toutes les fois que l'objet d'une obligation sera susceptible de division soit matérielle, soit intellectuelle, l'obligation sera divisible; elle sera indivisible au contraire, toutes les fois que son objet ne sera susceptible ni de division matérielle, ni de division intellectuelle. Nous allons voir tout à l'heure que cela peut arriver dans certains cas, rares il est vrai.

992. Cela posé, Pothier, d'après Dumoulin, distingue trois espèces d'indivisibilité : l'indivisibilité absolue, l'indivisibilité d'obligation et l'indivisibilité de paiement.

1. Indivisibilité absolue.

993. L'indivisibilité absolue, que Dumoulin appelle individuum natura ou encore individuum contractu, est celle qui résulte de la nature même de l'obligation; la volonté des parties n'y est pour rien. L'obligation est de telle nature que l'esprit ne concevrait pas la possibilité d'une division dans l'accomplissement de la prestation qu'elle a pour objet. Comme le dit fort bien Pothier, cette indivisibilité a lieu lorsque l'obligation a pour objet une chose qui n'est pas susceptible d'être stipulée ou promise pour partie. Ainsi vous vous êtes obligé à établir sur votre fonds une servitude de passage au profit du mien; la partie de votre fonds, qui servira d'assiette à la

servitude, doit être déterminée par une opération ultérieure (1). L'obligation dont vous êtes tenu envers moi est indivisible natura ou contractu. L'esprit ne conçoit pas ici en effet la possibilité d'une prestation partielle. En quoi consisterait-elle ? A me conférer le droit de passage pour partie, pour un tiers ou un quart par exemple? Cela n'a pas de sens : on passe ou on ne passe pas, il n'y a pas de moyen terme. L'objet de la prestation, et par suite la prestation et l'obligation elle-même sont donc indivisibles. Il en serait de même de l'obligation de faire ou de ne pas faire un voyage déterminé. Nous pouvons dire ici encore: on fait un voyage ou on ne le fait pas. Si celui qui s'est obligé à faire un voyage de Bordeaux à Paris va jusqu'à Orléans et meurt à cette étape, dira-t-on qu'il a satisfait à son obligation pour les quatre cinquièmes? Il est évident qu'il n'y a pas satisfait du tout.

C'est à cette première espèce d'indivisibilité, l'indivisibilité absolue, que l'art. 1217 fait allusion lorsqu'il dit : « L'obligation est divisible ou indivisible selon qu'elle a » pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l'exécution, est » ou n'est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle ».

Et toutefois on a remarqué avec raison que, prise à la lettre, la définition de ce texte pourrait convenir à l'indivisibilité solutione tantum, aussi bien qu'à l'indivisibilité natura ou contractu. Pour éviter cette amphibologie, aurait fallu, à la place des mots : «< une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l'exécution »>, substituer ceux-ci : une chose ou un fait qui PAR SA NATURE...

2. Indivisibilité d'obligation.

994. L'indivisibilité d'obligation, individuum obligatione, d'après la terminologie de Dumoulin, est celle qui résulte de la volonté des parties. L'objet de l'obligation et par suite l'obligation elle-même sont parfaitement divisibles par leur nature, mais les parties ont voulu que l'obligation fût indivisible. Ainsi l'obligation de livrer un terrain d'une certaine étendue est parfaitement divisible par sa nature; car son objet est susceptible de division : rien ne s'opposerait à ce que le terrain qui fait l'objet d'une semblable obligation fût stipulé ou promis pour partie. Mais la volonté des contractants pourra rendre cette obligation indivisible, de sorte qu'elle ne pourra se diviser, le cas échéant, ni entre les héritiers du débiteur ni entre ceux du créancier. Cette volonté peut être manifestée expressément ou tacitement. Elle le serait tacitement dans l'hypothèse suivante : Vous m'avez vendu un certain nombre de mètres de terrain à prendre dans un terrain plus grand à vous appartenant; il est expliqué dans le contrat que ce terrain est destiné à la construction d'une usine qui doit avoir une superficie égale à celle du terrain vendu. Ces circonstances démontrent que nous avons considéré la prestation du terrain vendu comme n'étant pas susceptible de division, et par suite l'obligation elle-même comme indivisible. En effet une prestation partielle ne me procurerait pas ici une utilité proportionnelle à celle que me procurerait la prestation totale; que pourrais-je faire d'une partie du terrain, puisque la totalité est nécessaire à ma construction? L'obligation sera donc indivisible en vertu de notre volonté : si je meurs avant qu'elle soit exécutée, un seul de mes héritiers aura droit d'en exiger l'exécution intégrale; si c'est vous qui mourez, je pourrai exiger l'exécution intégrale d'un seul de vos héritiers.

La question de savoir s'il y a indivisibilité d'obligation est donc une question d'intention des parties contractantes. En cas de difficulté sur le point de savoir si cette intention existe, il appartiendra au juge de statuer.

C'est à l'indivisibilité d'obligation que se réfère l'art. 1218, ainsi conçu : «

L'obliga

(1) Si elle etait déterminée par la convention même, la servitude serait immédiatement établie comme droit réel, et il n'y aurait plus à considérer l'obligation de la créer, puisque cette obligation ser ait réputée immédiatement exécutée. Arg. art. 1138 al. 1.

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