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montraient déjà des pointes vertes: on avait envie de vivre. Pâques était tard cette année : il tombait le 25 avril, aussi les jours gras coïncidaient-ils avec l'arrivée du beau temps. Heureuse coïncidence! Les rigueurs du carême seraient plus faciles à supporter et l'on fêterait la Résurrection avec plus d'entrain. C'est ce que se disait Gilles, tout en pensant qu'il serait bon de se préparer au jeûne par un bon repas, mais sa bourse était vide, et il ne voyait guère moyen de la remplir. Son désir devait être exaucé, mais s'il avait su à quel danger il allait se trouver exposé.

Le samedi précédant le mardi gras, Gilles fit rencontre d'un de ses amis, Pierre Thibaut, tisserand à Céaux; c'était un de ceux avec qui il aimait à festoyer. Il lui raconta de quelle manière il avait passé l'hiver, exprima toute la satisfaction qu'il éprouvait de voir le beau temps revenu; il demanda à son ami si la campagne n'était pas déjà belle et lui dit qu'il irait un de ces jours à Céaux s'assurer des progrès de la végétation.

- Eh bien, lui dit Pierre Thibaut, si tu veux venir mardi, nous fêterons ensemble; j'ai tué une oie que j'ai bien engraissée cet hiver tu en mangeras ta part. J'inviterai deux amis à se joindre à nous.

Gilles accepta une invitation faite si gracieusement, et le mardi, après avoir sonné la grosse cloche pour annoncer le commencement du jeu de la crosse, auquel prenaient part sur la grève l'évêque, les hauts dignitaires et le bas choeur, il se mit en route pour Céaux, se rejouissant intérieurement du bon repas qu'il allait faire. Il prit au plus court et traversa hardiment les grèves. Malgré sa préoccupation, il ne s'était pas engagé dans la plaine de tangue qui engloutit si facilement les voyageurs inexpérimentés sans avoir adressé une fervente prière à saint Michel, ce qu'il ne manquait jamais de faire quand il se mettait

en route.

Vers quatre heures, il arriva chez Pierre Thibaut, chez qui il trouva deux gais compagnons; on n'attendait plus que lui pour se mettre à table. L'oie était à point et, en la voyant, Gilles sentit augmenter son vigoureux appétit. Le repas commença ; s'il fut gai, inutile de le dire. Il se prolongea assez avant dans la soirée et, tout en restant dans des limites raisonnables, les convives avaient cette pointe d'ébriété qui fait voir tout du bon côté. Il fallut se séparer, et Gilles songea à se remettre en route pour regagner Avranches.

Malheureusement il restait encore un friand morceau. Quel dommage de le laisser perdre, dit Gilles, c'est demain le Mercredi des Cendres et, d'ici Pâques, défense absolue de se mettre une bribe de chair sous la dent. Si minuit n'était pas sonné, dit Thibaut, je te dirais de manger ce qui reste, mais il est trop tard, bien que ce soit grand dommage, je vais le donner à mon chien. Es-tu bien certain, répliqua Gilles qu'il est passé minuit et que la sainte quarantaine soit commencée ? - Absolument certain, allons, mon pauvre Gilles, c'est dur pour toi, je le sais, mais tu ne voudrais pas risquer ton salut éternel pour satisfaire ta gourmandise. -Tu te trompes, répondit Gilles, et puis tant pis, Avranches est loin, la nuit est fraîche, j'ai besoin de me réconforter avant de partir. En disant ces. mots, bien que sa conscience lui criât qu'il faisait mal, il prit le reste de l'oie et le mangea en disant qu'il regrettait qu'il n'y en eût pas davantage. Il partit. Le temps avait changé, la nuit était profondément obscure, le vent soufflait lugubrement dans les arbres, imprimant dans l'âme une terreur insurmontable. Gilles regretta de s'être entêté à partir, et de n'avoir point accepté l'offre obligeante de Thibaut qui l'avait engagé à passer la nuit dans sa maison; mais ne voulant pour rien au monde revenir sur ses pas, il continua sa marche d'un pas peu assuré et atteignit la grève. Là il se trouva bien embarrassé : la mer y était. Comment passer ? Attendre qu'elle se fût retirée, c'était bien long. Si le diable, dit tout haut le malheureux Gilles, m'envoyait une barque, il me rendrait grand service.

Au même instant, il aperçut un bateau dans lequel se trouvait un homme portant le costume des pêcheurs de la côte. — Tu es bien embarrassé, dit cet homme à Gilles, et tu voudrais bien passer ; je puis te rendre ce service, viens dans ma barque. - Sans réfléchir à l'invocation imprudente qu'il venait de faire, et sans penser au péché qu'il avait commis, Gilles accepta et sauta dans la barque. A peine y était-il qu'il fut effrayé de la lueur qui sortait des yeux du marin; il voulut retourner à terre, mais il était trop tard; d'un coup de rame, la barque s'était trouvée au milieu de la rivière. En même temps, un rire aigu se fit entendre et le diable apparut sans aucun déguisement aux yeux épouvantés de Gilles. - Tu m'appartiens, Gilles, tu m'as appelé, je suis venu, tu vas me suivre de gré ou de force. - Tu es en

état de péché, rien ne saurait t'arracher à ma puissance. — Le malheureux se sentit perdu. Il leva les yeux au ciel et aperçut une étoile brillant au milieu des nuées sombres au-dessus du Mont Saint-Michel. — O grand saint, dit-il, me laisserez-vous ainsi périr pour l'éternité?-Sur un monticule de sable non submergé apparut le grand Archange. A sa vue, le diable poussa un rugissement qui fit trembler toute la campagne, de livides éclairs sillonnèrent les nues, l'eau se mit à bouillonner! un cataclysme épouvantable se préparait. - Où vas-tu, Satan, dit saint Michel, et quel est ce malheureux que tu veux entraîner avec toi? - Ce malheureux est bien à moi, il a péché, il m'a appelé et je l'entraîne au fond de l'abîme où tu m'as précipité. Gilles, ranimé par la présence de l'Archange, sentit l'espoir rentrer dans son cœur ; il confessa sa faute et implora l'aide du grand Saint. Saint Michel, renversant alors la barque, précipita dans l'eau ceux qui la montaient; mais le diable saisit en même temps sa victime et allait disparaître avec elle, lorsque saint Michel, faisant un signe de croix, bénit l'eau. Aussitôt le diable commença à rugir et à pousser de tels hurlements qu'on l'entendit au-delà de Cancale et de Granville. - Grâce! grâce! criait Satan. Laisse ta victime et je te délivrerai. Tu m'as encore vaincu, dit le maudit, mais je reprendrai ma revanche. Il disparut, laissant le malheureux Gilles que le flot porta évanoui sur la plage.

-

A soleil levant, Gilles reprit ses sens. Sans perdre un instant, il se rendit pieds nus à l'abbaye pour remercier son sauveur. Il vécut de longues années encore, faisant l'édification de tous ceux qui le connaissaient. Il ne retomba plus dans son ancien péché, fuyant les occasions avec autant d'empressement qu'il en mettait autrefois à les rechercher.

12. -
-Pasteur jugé par les Etrangers

L'Institut Smithsonien, avec lequel nous sommes en relations d'échange, nous envoie chaque année un volume, résumé non seulement de ses propres travaux, mais de tout ce qui peut fixer l'attention chez les savants de tout pays.

Ainsi le volume reçu cette année contient un article sur Eiffel et sa tour, puis, un mémoire assez étendu lu à l'Institut de Bermingham par le Président et ayant pour titre : La vie et l'œuvre d'un chimiste. Bien que ce sujet s'éloigne un peu de nos travaux ordinaires, j'ai cru que l'éloge de Pasteur et le résumé succinct de ses travaux, dû à un étranger, méritaient votre attention bienveillante.

Ici, d'ailleurs, ne sommes-nous pas tous loin des questions irritantes, unis dans l'amour du bien et du beau, heureux de tout ce qui rend notre France grande et honorée, et Pasteur n'en est-il pas une des gloires les plus pures?

Voici le résumé du travail lu par le Président de l'Institut de Berminghan and Midland, Sir Henry E. Rosco.

J'ai cru que je ne pouvais aujourd'hui faire mieux que vous montrer ce que peut accomplir un chimiste lorsqu'il est dévoué cœur et âme à l'étude de la nature, quand il est le type idéal du savant, dont l'exemple doit stimuler jusqu'au moindre d'entre nous à marcher sur ses traces suivant nos moyens, homme dont la vie est un effort continuel à la recherche de la vérité, dont la devise est simplicité, fidélité, travail, dont la seule ambition est d'élargir le sentier du savoir pour que les générations futures voient leurs routes éclairées et moins dangereuses.

De tels hommes ne sont pas rares parmi les chimistes. Je choisis entre eux Pasteur, le grand chimiste français. Il débuta comme chimiste, c'est comme chimiste qu'il achève sa carrière. Car bien que ses plus importantes recherches, ainsi que j'espère vous le démontrer, soient entrées dans des champs jusqu'à lui défrichés avec peu de succès par les biologistes, elles ont, par

l'application de méthodes chimiques, produit une abondante moisson de faits nouveaux et des plus essentiels au bien-être et au progrès de la race humaine.

Le premier et principal effort de tout piocheur de la science ne doit-il pas être un tel but?

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Pasteur a dit Il n'y a pas de plus grand charme pour l'investigateur, le chercheur, que de faire des découvertes; mais la joie est plus que doublée quand on voit qu'elles trouvent leur application directe dans la vie pratique.

Faire de telles découvertes a été la bonne fortune, la récompense de Pasteur, jusqu'à la dernière et peut-être la plus remarquable de toutes, celle qui a trouvé un remède à l'épouvantable maladie de la rage; ses découvertes n'ont pas été d'heureux hasards, mais le fruit de longues et patientes investigations.

Suivons le dans sa lutte pour arracher à la nature les secrets des maladies qui tour à tour défiaienr les efforts des biologistes; dans ses travaux pour trouver la cause et les remèdes des maladies de la bière et du vin, celle des vers à soie qui dans une seule année faisait perdre à la France plus de cent millions. Comment est-il arrivé à détruire ce fléau appelé choléra des volailles, l'anthrax ou fièvre splénique du bétail qui tuait des millions. de têtes ? Et enfin comment est-il parvenu à découvrir la marche intérieure du plus terrible des poisons, le virus de l'hydrophobie?

Je ne puis, limité comme je le suis par le temps, que vous indiquer l'esprit qui a guidé les travaux de Pasteur et en quelque's mots vous en donner une idée sommaire.

C'est à lui que nous devons les fondements de cette science appelée Bactiologie ou étude des organismes nommées microbes, ces infiniments petits dont l'action est si grande que la vie de l'animal et, peut-être celle du végétal, en dépend, science qui révolutionne la médecine et qui, entre les mains savantes de Sir Joseph Lister, a donné naissance à une nouvelle et bienfaisante application de la chirurgie antiseptique.

De toutes les merveilleuses découvertes de la chimie moderne, la plus importante peut-être est celle de l'illustre savant suédois Berzélius, celle des corps isomériques. Il découvrit et démontra que deux composés identiques, c'est-à-dire formés des mêmes éléments; dans les mêmes proportions peuvent être, jugés par leurs propriétés, deux substances absolument différentes.

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