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pris les précautions nécessaires pour sauver les vénérables reliques et même d'être de connivence avec eux. L'évêque fut assassiné et le chapître fut accusé d'avoir trempé dans le crime. L'affaire fut portée devant le pape Nicolas Ier, qui condamna par une bulle les chanoines de la cathédrale de Bayeux à envoyer chaque année à perpétuité un d'entre eux à Rome, pour y chanter, les pieds nus et la corde au cou, l'épître de la messe de minuit. Quand Charles le Simple, pour mettre fin aux ravages des Northmans, leur eut accordé la province qui porte maintenant. leur nom, et que, convertis à la foi chrétienne, ils furent devenus de fameux croyants, Guillaume le Conquérant fit don au chapître de la cathédrale de Bayeux de la baronnie de Cambre

mer.

En 1539, maître Jean Patye était chanoine de cette prébende quand le sort le désigna pour aller à Rome accomplir la pénitence imposée autrefois par le pape. Il partit pour Rome sans en avertir personne. Les chanoines de Bayeux le croyaient à Cambremer; les habitants de Cambremer le croyaient à Bayeux et il était à Rome. L'évêque de Bayeux de Trivulce se trouvait à Rome en ce moment et ils résolurent ensemble de délivrer le chapître de cette servitude; cependant l'évêque ne voulut prendre aucune responsabilité. « Je me charge de l'affaire, » dit le chanoine. Il se rend ensuite à la cour de Rome et demande pour quelle raison on exigeait que chaque année un chanoine de Bayeux affrontât les rigueurs de la saison pour venir à Rome accomplir un acte de servitude. On lui remet alors la bulle de Nicolas Ier. « C'est faire durer la pénitence trop longtemps, » dit-il. Il déchire la bulle et la jette dans le feu, laissant les témoins stupéfaits de tant d'audace. Il sort tranquillement, reprend le chemin de la France et revient à Cambremer.

La grande solennité de Noël approchait, et maître Patye, au lieu d'être à Rome comme c'était convenu, était à Bayeux. Il se trouva dans sa stalle pour entonner le Domine labia des Matines, puis il disparut. Quelques heures après, au moment où l'on finissait les Laudes, le chanoine se retrouva dans sa stalle: « Votre conduite est loin d'être édifiante, au lieu de nous aider à chanter, vous allez dormir; d'ailleurs, vous devriez être à Rome et votre mauvais vouloir sera cause que nous paierons une forte rançon, lui dirent ses confrères.» « Soyez tranquilles,

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messires, répondit Patye, je suis allé à Rome, l'épître a été chantée et désormais vous ne paierez plus d'amende, je me suis fait remettre le titre qui vous y obligeait et je l'ai brûlé. « C'est donc le diable qui vous a porté ! » lui dit-on. Le chanoine, qui se repentait d'avoir assumé tant de responsabilité, répondit : « Oui, oui, c'est bien le diable qui m'a porté. » Comme il pensait qu'au lieu de fuir il aurait dû aller se jeter aux pieds du pape, « et c'est bien le diable qui m'a ramené, » ajouta-t-il. Ses confrères ne comprirent pas ce qu'il disait et crurent qu'il était devenu fou. Quand on apprit quelque temps après que le chanoine de Cambremer était véritablement allé à Rome, le peuple, qui était porté à la superstition, crut que le diable l'avait porté et qu'il avait accompli son périlleux voyage dans l'espace de temps qui sépare les Matines des Laudes. C'est ce qui a donné lieu à la légende.

Quel est celui qui dans son enfance n'a pas entendu raconter l'aventure du chanoine de Cambremer, qui, pendant la veillée de Noël, fend les airs vers Rome, monté sur l'échine du diable, qui a pris la forme d'un bouc! Le tentateur, honteux du rôle humiliant que le chanoine lui faisait jouer, voulut le précipiter à la mer et l'engagea à faire le signe de la croix pour accélérer sa marche. « Va, va, dit le chanoine, celui qui est porté par le diable est bien porté. » C'est l'idée populaire du distique, que le diable, qui est poète à ses heures, lui adressa :

Signa te, signa temere, me tangis et angis,
Roma tibi subito motibus ibit amor.

C'est un chef-d'œuvre d'habileté et d'une construction vérita

blement infernale, puisqu'on peut les lire de droite à gauche et de gauche à droite, sans que les mots ni le sens soient changés. On voyait autrefois, sur un vitrail de la cathédrale de Bayeux, le chanoine à califourchon sur le diable, en forme de bouc, et dont il tient les deux cornes dans les mains.

Saint-Pair-du-Mont, le 31 mars 1892.

LEMONNIER.

VIII

Les Artistes de la Manche au Salon

Notre terre de la Manche, si fertile en écrivains, en peintres et en sculpteurs, dont les annales artistiques et littéraires de France gardent les noms, est loin d'être épuisée : peu d'années se passent, en effet, sans que la littérature nationale s'enrichisse de l'œuvre d'un de nos compatriotes; hier, Jean de la Brète entrait dans la carrière par la grande porte celle du demi cent d'éditions; - aujourd'hui, M. de Traynel fait ses premières armes dans un petit livre, pétillant de belle humeur, rempli d'intérêt, et écrit dans une langue très pure; chaque semaine, M. Eugène Le Mouël les sème diamants de ses rimes dans nos meilleures publications, en attendant que la Comédie française s'en empare pour l'écrin de son répertoire; chaque jour, le public attend la suite promise, dans le numéro de la veille, aux dramatiques inventions de M. Bailleul, aux récits mouvementés de M. Datin, aux descriptions saisissantes du Commandant Stany.

Nos peintres ne produisent pas, comme nos littérateurs, en toute liberté, à leurs heures, et suivant leurs aises : leurs travaux sont, en quelque sorte, réglementés par les Salons périodiques du Champ-de-Mars et des Champs-Elysées : hors des Salons, pas de renommée.

Aussi, quand vient le printemps, l'ouverture des Salons estelle attendue avec grande impatience: Celui-ci cherche les peintures de son école; celui-là, les peintres de ses amis; heureux ceux qui, comme moi, trouvent les peintures de leur goût, sous la signature des peintres de leurs amis ! Notre pays est d'ailleurs privilégié les distinctions, qui mettent annuellement en relief quelque nom d'enfant de la Manche, sont là pour l'attester. Ce n'est pas que ces distinctions viennent toujours à temps:

comment le jury de peinture a-t-il osé laisser, durant près de dix ans, avec une simple mention honorable, un peintre de la valeur de M. Fouace? Il est vrai qu'en 1891, les bouchées ont été mises doubles : une troisième médaille en peinture, et une mention honorable en sculpture, pendant que l'Etat ouvrait le Luxembourg à l'une de ses meilleures toiles... La justice a toujours son heure... même en ce monde.

M. Fouace est un de ces vaillants qui ne connaissent pas le repos sur les lauriers: ses deux toiles, merveilleusement placées sur la cimaise, dans une petite salle de choix, en face du chefd'œuvre de Detaille, et à côté des deux magnifiques portraits de Paul Dubois, ne souffre en aucune façon d'un voisinage d'aussi haute lignée. Il le supporte au contraire fort bien.

Je lui voue, pour ma part, un gré infini d'avoir protesté contre la légende du homard, sacré cardinal des mers par Jules Janin : les habitués de Tortoni savent aujourd'hui à quoi s'en tenir sur la riche variété des tons de l'animal sortant de l'eau ; il ne leur est plus permis d'ignorer qu'il ne faut rien moins que la question par l'eau bouillante pour lui faire prendre une teinte uniformément rouge, fort appétissante sans doute, mais aussi fort peu artistique. La même hardiesse pour le lot de crevettes ne m'eût pas déplu. L'artiste n'a dû renoncer à leur transparence qu'à regret; leur cuisson n'a évidemment pour but que de réveiller le tableau un peu sombre avec son homard, ses moules et ses huîtres. C'est égal, le sacrifice lui a certainement coûté. — Son déjeuner maigre fait, comme toujours, un pendant des plus heureux aux bêtes de belle race, et cuites à point, d'où le jus s'apprête à sortir abondant et gras, dès que le couteau pénétrera dans les chairs à l'heure du déjeûner gras.

La justice, si lente pour M. Fouace, s'est montrée moins boîteuse pour nos compatriotes, MM. Constantin Leroux et Orange.

N'était-ce pas hier que M. Constantin Leroux faisait ses premières études dans l'atelier de notre ami M. Fouqué, qui sacrifie trop la gloire d'être artiste au bonheur de faire des artistes? Le maître, se consacrant tout entier à son enseignement, oublie, dans la joie des succès de ses élèves, ceux que lui présageait naguères l'accueil fait par le public à ses envois au Salon.

En ce temps-là, Leroux était toujours mécontent de lui; <<< Ce n'est pas ça, disait-il; ce n'est pas vrai, la nature n'est pas

» comme ça. » Et il jetait ses pinceaux avec colère, et il repoussait sa toile presque avec haine. En deux ans, une mention honorable et une médaille de 3° classe... M. Leroux doit être rassuré désormais sur la valeur de ses œuvres : il a enfin trouvé la réalité, cherchée avec une si âpre obstination. Il l'a trouvée, et rendue peut-être même avec excès. La lumière aussi est dans la nature; elle l'éclaire autrement que de ces teintes enténébrées devant lesquelles il est de mode aujourd'hui de se pâmer; tantôt elle l'embrase de ses feux éclatants, et tantôt elle la caresse de ses ombres mobiles... Mais, si M. Leroux ne la voit pas, gardezvous de lui demander de l'inventer. Sa conscience repousse toute transaction. Par exemple, ce qu'il voit clairement, c'est le modelé des chairs; aussi le rend-il à la perfection dans sa «< Lecture » et dans sa « Normande à l'illet. »

Franchissant d'une maîtresse emjambée la mention honorable, M. Orange a obtenu d'emblée, en 1891, une 3o médaille et une bourse de voyage.

Avant même que l'Officier étudiant une carte, par lequel il débuta au Salon, ait eu le temps de passer capitaine -- même au choix - il entrait dans l'état-major de l'art français, où large place lui était faite parmi les peintres militaires. - M. Orange a rapporté de son voyage deux Gitanes prises sur le vif dans l'ensoleillement de l'Andalousie. Le choix du sujet n'est pas une infidélité au genre adopté par l'artiste. Mais, pourquoi voyager, si non pour se meubler de souvenirs? Au surplus, on retrouve dans le nouveau tableau de M. Orange le brillant coloris, le dessin sûr et la savante composition de ses peintures militaires. Madame Lucas-Robiquet a, de son côté, tiré grand profit de son voyage en Algérie : le soleil pénètre hardiment dans l'Intérieur arabe à Ourellah, dont l'huis est cependant mesuré chichement; il y règne en maître : il bleuit étrangement la fumée du foyer, joue dans les cheveux des personnages, et s'ébat dans leurs rires; quand même il ne ferait pas les cent mille coups, sa présence se révèlerait encore dans les couleurs qui semblent faites d'un de ses rayons dérobé. Le sujet est intéressant et bien traité; la tonalité est chaude; la disposition heureuse; les figures sont vives et animées. Lors du prochain Salon, le Jury ne pourra guère différer la troisième médaille, attribuée dès cette année par le grand public à l'auteur de la Mort de la Vierge.

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