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MÉLANGES

I

L'ORIGINE FRANÇAISE

DE

SAINT FRANÇOIS XAVIER

Après avoir exercé dans leur siècle une influence que constate l'histoire, les grands saints ont, auprès de la postérité, le privilège de ne la laisser jamais indifférente à rien de ce qui les concerne; aussi pensons-nous que des renseignements nouveaux sur l'origine de saint François Xavier recevront un bon accueil des lecteurs de la Revue.

Les historiens sont unanimes dans la désignation de celui qui fut son père: il s'appelait don Juan de Jaso 1. D'où était-il? Quelles étaient sa race et sa noblesse? Aucun ne l'indique. Ce silence est déjà étonnant; il le devient plus encore quand on remarque que ses enfants ne portent pas son nom. Ce père, négligé par l'histoire, et laissé presque dans l'oubli, l'a-t-il été avec raison? Qu'était-ce donc que ce don Juan de Jaso? Nous croyons pouvoir apporter à cette question une ample et complète réponse, en même temps que fournir sur l'origine de saint François Xavier des renseignements précieux et inconnus.

I.-Les ancêtres de saint François Xavier, qu'on les cherche du côté maternel ou qu'on remonte la ligne paternelle, lui constituent une noble naissance. Sa mère, fille unique de Martin d'Azpilcuéta et de Jeanne d'Aznarès, dame de Xavier, avait apporté à son mari deux seigneuries

Les auteurs écrivent aussi Jasso, d'autrefois Jasu, tantôt même Jassa, et en français Jasse. Pure affaire d'orthographe : c'est évidemment le même personnage.

en héritage. Aussi s'appelait-elle Marie d'Azpilcuéta et Xavier 2. Ce dernier nom, qui désignera notre saint, remontait assez haut dans la famille d'Aznarès. Environ deux siècles auparavant, Thibaut de Champagne, roi de Navarre, avait donné, comme récompense, à Martin d'Aznarès en échange de sa terre d'Ordoïz, le bourg et le château de Xavier, avec tous les droits qui y étaient attachés. Dans l'acte daté d'Olite, en l'octave de l'Épiphanie de 1252, Thibaut loue hautement les services que le concessionnaire et ses ancêtres ont rendus aux rois de Navarre 3. Cette gratification fut confirmée à Rodrigue d'Aznarès, l'un des arrière-petits-fils de celui qui en avait été favorisé le premier; il reçoit aussi le titre de parent du Roi, la dignité de chambellan, de membre du conseil, et, outre une somme d'argent, plusieurs privilèges, entre autres celui que ni lui ni ses successeurs ne pourront être arrêtés qu'en vertu d'un mandat signé par le Roi lui-même, ou par ceux du conseil, ou par l'alcade de la cour, et si l'on venait saisir jamais les seigneurs de Xavier en dehors de ces conditions, ils peuvent se défendre sans encourir aucune peine 1.

1Anales del reyno de Navarra (Pampelune,1766), t. V,p.125, et les biographes de saint François Xavier.-Azpilcueta est dans la vallée de Bastan, au nord de Pampelune, non loin de la frontière française, du côté de Baïgorri et SaintJean-Pied-de-Port; tandis que Xavier se trouve vers l'extrémité orientale de la Navarre espagnole, à 4 kilomètres est de Sanguésa, sur les bords de l'Aragon et confin ant à la province qui emprunte son nom de ce dernier.

Les Espagnols ont coutume de joindre au nom de leur père, toujours placé le pre ier, celui de leur more. Mais, indépendamment de cet usage, il y avait ici pour la double dénomination un motif particulier.

3 Anales de Navarra, t. V, p. 125; Yanguas y Miranda, Diccionario de Antiguedades del reino de Navarra, t. II, p. 103. Le fait dont il est question ici a été extrait des Archives de la cour des comptes de Navarre, caj. 6, n°97. — Thibaut Ir de Navarre, mentionné plus haut, est ce comte de Champagne connu dans l'histoire de France par sa révolte contre Blanche de Castille, suivie bientôt d'un chevaleresque retour de fidélite, et célèbre dans l'histoire littéraire du moyen-âge, comme poète, par ses chansons, qu'on a publiées à Paris en 1742, 2 vol. in-12. La mort de Sanche VIII le Fort, son oncle maternel, qui ne lissait pas de postérité, le fit héritier d'une couronne. Thibaut, devenu roi de Navarre, se rendit à Pampelune et administra son royaume de 1231 à 123, annee de sa mort.

'Les Anales de Navarra, t. V, p. 125, racontent exactement ce fait; mais elles commettent une erreur évidente en lui assignant la date impossible de 1502, et en nommant comme auteur de cette confirmation le roi Jean. Il est surprenant qu'on ait laissé subsister encore cette erreur dans la seconde édition de cette excellent histoire. Yanguas, Diccion. de Antig., t. II, p. 104, est dans le vrai en disant que Rodrigue reçut cette faveur en 1329 du roi Philippe et de la reine Jenne. - Jeanne, fille de Louis Xle Hutin, avait épousé en 131 Philippe d'Évreux. En 1328, à la mort de Charles-le-Bel, son oncle, elle et son mari nontèrent sur le trône de Navarre. Ils eurent pour fils et successeur Charles II, trop connu dans les troubles de notre histoire sous le nom de Charles-le-Mauvais.

Ces privilèges et ces honneurs attachés à la seigneurie de Xavier passérent avec elle, par les femmes, de la misɔn d'Aznarès dans celle d'Azpilcuéta, et de celle-ci dans la maison paternelle du futur Apôtre des Indes, dont il nous faut parler maintenant.

Cette maison était déjà distinguée en Navarro, lorsque son chef, Arnaud Pérez, l'aïeul de François Xavier, en augmenta l'éclat en épousant une noble dame, Guillerma d'Atondo, dont le père a droit à une mention spéciale.

Jean d'Atondo, seigneur d'Idocin et auditeur des comptes et finances, rendit un signalé service au roi Jean II et à la princesse Léonor, sa fille et son lieutenant en Navarre, en ouvrant à leurs troupes une des portes de Pampelune, appelée dès lors un moment par le parti contraire la porte de la trahison; elle aurait dû s'appeler plutôt la porte de la fidélité 2.

Pour ce fait, l'auditeur Atondo reçut plusieurs faveurs, dont la plus remarquable fut de pouvoir placer désormais les armes royales dans le premier quartier des siennes, afin que associées ainsi à celles de sa maison, elles fussent un souvenir prpétuel de sa loyauté et un témoignage que la fidélité et l'amour envers les rois sont le plus noble moyen de former avec eux des liens de parenté 3.

3

C'était là un honneur peu commun. Toutefois, la maison à laquelle il se trouvait transmis était digne de le recevoir. Ayant déjà rang parmi les plus nobles de la Basse-Navarre, elle va en devenir la plus solide gloire. C'était la maison de Jaxu.

Il n'y en avait que quatre dans toute la Navarre. Le tribunal des comptes et finances fut établi, du moins d'une manière réguli re, par Charles II en 1364. Il ne connaissait de supérieur en appel que le conseil même du roi. Une ordonnance royale l'a supprimé en 1833. Ses archives, qui offrent sur les diverses familles de Navarre et sur les souverains de ce pays les renseignements les plus variés et les plus authentiques, se conservent à Pampelune et ont été confiées à la députation de la province.

2 Jean Il était à la fois roi d'Aragon, de Sicile et de Novarre. Sa fille Léonor avait épousé Gaston, comte de Foix. Pendant qu'elle ad ministrait la Navarre au nom de son père, la faction des Baumontais, maîtres de Pampelune, capitale du royaume, en refusait l'entrée à la pr ncesse. C'est ce qui donna lieu à l'acte de fidélité d'Atondo. Jean II, après la mort de la reine de Navarre sa première femme, se maria de nouveau de cette seconde union naquit Ferdinand le Catholique.

:

3 «El rey le hizo una insigne merced, cual fue el que pudiese poner las armas reales en el primer cuartel de su Escudo, par que juntas con las demas de su casa fuesen perpetua recordacion de su lealtad y documento de que el amor grande á los reyes es un nuevo modo de emprentar con ellos. Anales de Navarra, t. IV, p 634.

4 Jaxu est une petite commune du département les Basses-Pyrénées, peuplée d'environ 380 âmes, et faisant partie du cinto de Saint Jean-Pied-dePort dans l'arrondissement de Mauléon. Nous ne dirons rien ici de son château, sur lequel on trouvera plus loin des renseignements.

Avec le droit de faire souche de noblesse, possédant, pour ne parler que des biens qu'il avait de ce côté des Pyrénées, le péage de Saint-Palais, la dîme d'Arberoue, plusieurs maisons et autres domaines à Saint-Jean-Pied-de-Port, le château de Jaxu était de premier ordre dans la terre de Cise 2.

Arnaud Pérez, après son mariage, devint auditeur des comptes et finances de Navarre, comme l'avait été son beau-père; il eut six enfants: deux fils, Jean et Pierre de Jaxu, et quatre filles, destinées toutes à de belles alliances, soit avec des conseillers du roi, soit avec de jeunes seigneurs qui portèrent vaillamment l'épée au service de leurs souverains 3.

Nous devons signaler l'une d'elles, parce que ses fils se rattachent intimement à la vocation de François Xavier, et que Ribadeneira, en les citant dans la Vie de saint Ignace, ne laisse pas soupçonner leur filiation.

La seconde des filles d'Arnaud Pérez et de Guillerma, Catherine de Jaxu, veuve sans enfants d'une première union, en contracta une nouvelle avec le noble seigneur Nicolas d'Eguia; elle eut cette fois de nombreux fils, dont la célébrité fut grande et honorable dans la Navarre. Deux d'entre eux, Estéban et Diégo d'Eguia, nous intéressent plus particulièrement. Le premier était devenu le chef de sa noble maison lorsqu'il demeura veuf avec des enfants au sein de la splendeur et de l'opulence. Diégo, son frère, engagé dans l'état ecclésiastique, jouissait lui aussi d'un riche patrimoine. A ce moment la Compagnie de Jésus venait de se former, et la nouvelle arriva tout-à-coup que leur cousin-germain François Xavier en faisait partie. Un pareil acte d'abnégation saisit vivement l'âme des deux nobles Navarrais. Ils prennent aussitôt pieusement toutes leurs dispositions, règlent leurs affaires domestiques, disent adieu au monde brillant qui les entoure, partent pour Rome, et se présentent au chef de la Compagnie comme à un capitaine sous lequel ils viennent servir. Ignace reçut avec joie ces

Les maisons les plus anciennes et les plus illustres avaient seules ce privilège, du moins avant la fin du XVIIe siècle. Les châteaux servant ainsi d'origine de noblesse et sur la porte desquels étaient placées les armoiries de la famille, s'appelaient dans la Navarre Palacios de Cabo de Armeria. Vizcay nous fait connaître les armes de Jaxu: l'écusson était d'argent à un arbre de sinople ayant au pied un ours de sable. « Jassu. De plata, con árbol verde, y al pie de él, un osso negro. Martin de Vizcay, presbytero, Derecho de Naturaleza que la Merindad de San Juan del Pie del Puerto, etc., p. 66.

2 Le territoire de Cise était un district de la Navarre française, comme celui d'Arberoue et celui de Mixe; ce dernier avait pour capitale Saint-Palais. Le pays de Cise correspondait au canton actuel de Saint-Jean-Pied-de-Port. 3 Voir le tableau généalogique très complet que nous avons pu dresser au moyen des indications fournies par les Anales de Navarra, t. V, p. 125-127.

deux gentilshommes, les premiers à s'adjoindre à lui après ses neuf compagnons primitifs, et eut toujours en grande estime leur vocation généreuse. Tous les historiens de sa vie signalent le cas qu'il faisait surtout de Diego d'Eguia. Prêtre, et ayant fait déjà de bonnes études théologiques avant son entrée, joignant à ces avantages un tact parfait et des vertus devenues bientôt éminentes, il fut choisi par saint Ignace pour son confesseur. Le saint fondateur, qui le connaissait bien, disait de lui à ses compagnons : « Diégo se trouvera si haut élevé par dessus nous au ciel quand nous serons un jour en paradis, qu'à peine le pourrons-nous voir. » Parti d'une telle bouche, cet éloge était glorieux. C'était là, il faut en convenir, de dignes membres de la famille paternelle de saint François Xavier 1.

Guillerma survécut à son mari. En vertu des pouvoirs que ce dernier lui avait laissés, et pour se conformer à ses volontés, elle fonda, par un testament daté de 1490, après avoir assuré la dot de ses filles, deux majorats en faveur de ses deux fils. Confirmant à Jean de Jaxu, l'aîné, ce dont il jouissait depuis la mort de son père, c'est-à-dire le château paternel et les biens qui en dépendaient, elle lui légua Idocin, ainsi que tous les châteaux et toutes les terres qu'elle ou son mari possédaient en Espagne. Pierre de Jaxu reçut pour sa part d'autres biens, et de préférence ceux qui restaient dans la Basse-Navarre.

Lorsque Jean fut devenu seigneur d'Azpilcuéta et de Xavier du chef de sa femme Marie, il réunit sur sa tête plus de titres que n'en avait possédé encore aucun de ses ancêtres.

Mais Jean de Jaxu eut une valeur personnelle supérieure à tous ces titres. Son père et son aïeul avaient été auditeurs des comptes et finances; lui fut auditeur du conseil souverain de Navarre, dans lequel il ne tarda pas à occuper la position la plus éminente. En outre, on le voit figurer comme ambassadeur, comme homme d'État, dans plusieurs grands événements du royaume; son nom est dans beaucoup de documents royaux, et les actes des Cortès ne le nomment jamais sans la qualification de docteur remarquable 3; enfin il a laissé une intéres

1 Anales de Navarra, t. V, pp. 127, 374, 380; ainsi que Ribadeneira et autres dans la vie de saint Ignace. Il serait trop long de citer les textes des Anales dont cet alinéa est le fidèle résumé.

2 Pour ces terres et ces châteaux, et aussi pour les biens assignés au se cond majorat, voir l'intéressante énumération qui en est faite à la page 127 du Ve tome des Anales.

3 < Egregio doctor don Juan de Jassu. » Diccionario des Antigued., t, III, artic. Reyes, p. 196 et 198. Dans cet ouvrage, nous citons souvent et de préférence les pièces originales dont il contient le texte. Cette fois les pièces sont extraites de l'Archivo general del reino, secc. de casamientos, leg. 1o, carp. 27 et 28.

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