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SAINT MÉTHODE, APOTRE DES SLAVES

ET LES LETTRES DES SOUVERAINS PONTIFES

CONSERVÉES AU BRITISH MUSEUM.

I

La question des sources doit servir de base à tout travail historique vraiment sérieux. Cette étude préliminaire devient d'une nécessité absolue, quand il s'agit d'un sujet rempli de difficultés et d'incertitudes, où l'on ne peut faire deux pas de suite sans se heurter contre un doute, sans rencontrer quelque obstacle imprévu. L'histoire des saints Cyrille et Méthode, surnommés les apôtres des Slaves, est un sujet de cette nature. Elle a tenté la plume de bien des écrivains, elle a inspiré une quantité de travaux signés des noms les plus estimables. L'étude critique des sources, en particulier, a reçu de nos jours une impulsion très sensible; on peut dire même qu'aucun historien moderne n'a cru pouvoir s'en dispenser entièrement dans ses recherches sur les deux apôtres-frères.

Malgré cela, malgré les travaux critiques d'écrivains de premier ordre tels que Dobrovski, Gorski, Schafarik, Ratchki, Wattenbach, Dümmler, Miklosich, Jagitch, Ginzel, les recherches ultérieures sont loin d'être superflues. Sans parler de nouvelles découvertes qui provoquent nécessairement de nouvelles études, que de divergences séparent encore les savants quand il s'agit d'apprécier la valeur relative des sources elles-mêmes! II n'y a pas longtemps, un professenr de Kiev, M. Voronov, frappé de cet état de choses, entreprit de réviser la question, en soumettant de nouveau à une analyse critique tout ce qui a été écrit de plus sérieux sur les sources historiques des saints Cyrille et Méthode. Son travail, remarquable à plusieurs titres et le plus

T. XXVIII. 1er OCTOBRE 1880.

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complet de tous, a paru il y a trois ans à peine, et déjà plus d'une des conclusions de l'auteur ont reçu un démenti, grâce à la découverte de sources nouvelles, dont il ne soupçonnait pas alors l'existence, mais qui sont d'une haute importance pour l'histoire des deux apôtres.

Il s'agit de régestes des souverains pontifes conservés au British Museum. La collection se compose de plusieurs centaines de lettres des papes, en partie inédites, et appartenant à des époques diverses (VIo, IXo, et XIe siècles). A vrai dire, ce trésor n'était pas entièrement ignoré des savants. Il y a plusieurs années, M. Pertz, d'illustre mémoire, en avait pris connaissance, lors de son voyage en Angleterre, et avait même rapporté des copies de fragments plus ou moins considérables; mais ces dépouilles n'ont vu le jour que l'an dernier, quand les continuateurs de ses Monumenta Germaniæ tenaient déjà entre les mains une copie complète du Recueil britannique, généreusement offerte par M. Edmond Bishop, qui l'avait prise sur l'original. En attendant que les doctes éditeurs de Berlin en publient le texte complet dans leur collection monumentale - ce qui ne se fera pas sans une étude préalable et approfondie du manuscrit lui-même conservé à Londres, - on sera bien aise d'en prendre connaissance dès maintenant.

Le manuscrit du British Museum qui contient ces Régestes est coté 3873 du supplément; c'est un in 4° du commencement du douzième siècle, exécuté par un seul copiste; il est muni de nombreuses corrections faites par quelque réviseur plus appliqué qu'instruit, s'il faut en juger par des contre-sens et des lacunes qu'il y a laissés en maints endroits. Évidemment, nous sommes en présence d'une collection canonique dans le genre de celles de Deusdedit, d'Ives, de Gratien: l'index des titres, le caractère éminemment fragmentaire des lettres papales, l'absence des formules usitées au début de chaque missive, la règle constante qui y est observée de ne donner que le nom du pape écrivant la lettre et celui du destinataire, le choix des pièces entrées dans le recueil, tout cela indique assez le but dans lequel celui-ci a été fait. De plus, on voit que l'auteur de la compilation a conservé, pour chaque série, l'ordre dans lequel les pièces étaient disposées dans l'original d'où il faisait ses extraits, non sans se permettre par ci-par là des déviations de la règle.

Hâtons-nous d'ajouter que, si le canoniste trouve dans cette collection le butin le plus riche, elle renferme aussi une foule de

données qui intéressent à un haut degré l'historien; et c'est à ce dernier point de vue surtout que nous tenons à appeler sur elle l'attention des savants, en particulier de ceux qui s'intéressent à l'histoire des apôtres des Slaves. Si la préférence est accordée à ces dernières, c'est parce que les régestes des papes Jean VIII et Etienne VI qui en parlent sont de nature à modifier plus d'une assertion ayant cours parmi les érudits,outre qu'ils ont le mérite de la nouveauté, sinon pour les spécialistes, au moins pour ceux qui ne le sont pas,c'est-à-dire pour presque tout le monde. Mais, avant d'aborder les questions partielles, il convient de donner une idée générale de la collection britannique, d'indiquer les matières qu'elle contient, et la place qu'elle occupe parmi les autres collections de même nature. Ici notre tâche devient facile, grâce à l'excellente étude ' publiée là-dessus par M. Ewald qui nous servira de guide. Son travail, — modèle de discussion critique n'épuise pas, il est vrai, la matière; mais tel qu'il est livré au public, il suffit pleinement pour apprécier la valeur historique de la collection; il en analyse les moindres parcelles avec un soin minutieux et d'une manière très détaillée.

Voici d'abord le tableau général des documents dont se compose le Recueil, et l'ordre dans lequel se succèdent les neuf sections ou séries qui en font le partage:

I. Première série (fol. 9-38b).

Elle contient les lettres des papes Gélase I (492-496), Pélage I (555-506) et Pélage II (578-590) en tout 138, dont 66 inédites.

II. (Fol. 38 52). Alexandre II (1061-1073); 87 lettres, parmi lesquelles 56 inédites.

III. Varia, 1re partie (fol. 52-102).

IV. Jean VIII (872-882): 55 lettres dont 30 inédites (fol. 102136).

V. Lettres (18) à saint Boniface, archevêque de Mayence (747755) fol. 136b-142.

VI. Urbain II (1088-1099); 31 lettres inédites sur 47 (fol. 142b-153).

1 Elle a paru dans le Neues Archiv. de 1880, vol. Vme (p. 275-415-505 et 507), sous le titre : Die papstbriefe der Brittischen Sammlung (lettres des papes de la collection britannique). Les Nouvelles Archives, dont la direction est confiée à M. Wattenbach, font suite au Recueil que publiait Pertz depuis 1820 jusqu'à 1874; elles paraissent régulièrement en, livraisons formant un volume par an.

VII. Etienne VI (885-891); 31 lettres dont 26 inédites (fol. 153-159b).

VIII. Léon IV (847-855), en tout 45 lettres avec 26 inédites (fol. 159b-171).

IX. Varia, 2de partie (fol. 171210b). Contient environ 100 fragments de lettres.

De la sorte, les Régestes du British Museum nous donnent un contingent nouveau de deux cent trente trois lettres émanées du Saint-Siège. Il suffit d'énoncer ce chiffre pour faire ressortir l'importance du Recueil, d'autant que rien ne permet d'élever le moindre doute sur leur parfaite authenticité ni sur leur provenance des archives romaines. Il n'y a que le Vatican pour accumuler dans ses archives tant de documents consacrés à des personnages si divers de tous les pays du monde.

On remarquera que l'ordre des séries ne s'accorde guère avec celui des temps: après les papes du sixième siècle, viennent pêle-mêle ceux des onzième, neuvième et huitième, puis encore du onzième, avec une intercalation de Varia. M. Ewald a jugé à propos de suivre une marche différente que lui indiquait la nature même des documents à discuter. Il voulut procéder du connu à l'inconnu; analyser d'abord les pièces déjà connues, pour passer à celles qui le sont moins. Ainsi, il commence par la correspondance de saint Boniface de Mayence, représentée par 18 lettres, précisement parce que n'offrant aucun élément nouveau, elle permet d'établir une comparaison entre cette rédaction et le texte des autres collections manuscrites et imprimées, et d'en découvrir ainsi la genèse et la formation. Pour les mêmes motifs, après cette correspondance viennent les régestes de Jean VIII, dont le contrôle était facilité par la partie déjà publiée et bien plus considérable; parmi les autres papes, la priorité est donnée,non à ceux du neuvième siècle (Léon IV et Étienne VI), mais à Urbain II et à Alexandre II, qui vivaient au x1° siècle. — Les trois pontifes les plus anciens viennent, avec les Varia, en dernier lieu, dans la seconde partie de l'analyse 1. En adoptant cet ordre, qu'on pourrait appeler scientifique, l'auteur fait en quelque sorte croître l'intérêt de la discussion avec chaque nouvelle série. On ne saurait discuter avec plus de sagacité ni avec plus de science des matières aussi ingrates que le sont les

1 Neues Archiv, p. 505-568.

dates : à mesure que vous avancez dans la lecture, la lumière afflue de plus en plus abondante, et vous êtes étonné de voir le parti que l'auteur a su tirer d'éléments en apparence si faibles, si dénués d'intérêt. La méthode suivie par le critique allemand est partout la même. Il donne d'abord le titre des lettres, avec des sommaires plus ou moins concis et quelquefois des textes; il en discute ensuite la chronologie et en établit les dates; puis il compare ces documents à ceux des autres collections (de Deusdedit, d'Ives et de Gratien); le tout est accompagné d'un perpétuel commentaire historique et de notes fort variées. Presque chaque série a conduit l'auteur à des résultats importants et inattendus. dont nous allons indiquer les principaux.

La première chose qui a dû attirer l'attention de l'observateur, c'est l'index des titres occupant les premiers huit feuillets et s'arrêtant à la cinquième lettre de Jean VIII, sans aller plus loin. Il débute brusquement par les mots suivants : cap. 1. De vidua ab episcopo servanda, c'est-à-dire par le sommaire de la première lettre du pape Gélase I, et de la collection toute entière. Les autres titres de l'index sont conçus avec la même brièveté, sans donner les noms de celui qui écrit la lettre ni du destinataire. Chacune des trois premières séries a une numération distincte, en correspondance avec les rubriques de l'index; la seconde commence même par la formule: ex registro Alexandri II, répétée dans le texte ; mais la quatrième section, comprenant les lettres de Jean VIII, continue, chose étrange, la numération précédente, sans qu'il y ait le moindre indice annonçant une nouvelle série. Chose plus étrange encore, arrivés à la cinquième lettre, l'index et la numération cessent entièrement.

Comment expliquer cette brusque interruption? Supposer qu'à cet endroit il y a dans le manuscrit de Londres une lacune? Mais l'examen minutieux qu'en a fait M. Ewald montre le contraire; il fait voir, en outre, une sensible différence qui existe entre la première partie et la seconde, celle où commencent les régestes de Jean VIII, et qui est bien plus négligée.Apparemment, le compilateur a copié lui-même son élucubration, mais la patience ou le temps lui ont manqué pour donner à l'œuvre sa dernière forme, ce que l'état mutilé de l'index rend assez plausible. La correspondance de saint Boniface a donné des résultats non moins curieux. En la comparant au texte imprimé par Jaffé et aux manuscrits de Munich, de Carlsruhe et de Vienne, ainsi qu'aux

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